Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA Hors-série n° 7 | 201

Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA Hors-série n° 7 | 2013 Les nouveaux horizons de l'ecclésiologie : du discours clérical à la science du social Qualifications de la communauté et autorité de la Tradition : l’histoire des dogmes comme construction ecclésiale, de Torquemada à Lethmaet (XVe-XVIe siècles) Frédéric Gabriel Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cem/12901 DOI : 10.4000/cem.12901 ISSN : 1954-3093 Éditeur Centre d'études médiévales Saint-Germain d'Auxerre Référence électronique Frédéric Gabriel, « Qualifications de la communauté et autorité de la Tradition : l’histoire des dogmes comme construction ecclésiale, de Torquemada à Lethmaet (XVe-XVIe siècles) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n° 7 | 2013, mis en ligne le 05 août 2013, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/cem/12901 ; DOI : 10.4000/cem.12901 Ce document a été généré automatiquement le 1 mai 2019. Les contenus du Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre (BUCEMA) sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. Qualifications de la communauté et autorité de la Tradition : l’histoire des dogmes comme construction ecclésiale, de Torquemada à Lethmaet (XVe-XVIe siècles) Frédéric Gabriel 1 Pour le lecteur de nombreux ouvrages antihérétiques, une impression de fond se dégage d’elle-même : le discours se déploie, par-delà les spécificités de chaque hérésie, comme une sorte de long plain-chant uniforme, la voix toujours identique de la Tradition qui donne indéniablement un air de lieu commun à cette littérature pléthorique. La diversité des fronts ne masque pas la répétition de l’orthodoxie, ils lui sont toujours ramenés comme à une instance ultime et insurpassable de qualification. Si problème il y a quant à la qualification, cela ne concerne que l’étape préliminaire de caractérisation des thèses de l’adversaire potentiel et le relatif accord au sujet des termes de la condamnation 1, car, a posteriori, je définirais l’hérésiologie comme le discours de l’évidence : évidence du négatif, évidence de la faute du dissident, évidence de la résolution et du triomphe de l’Église, évidence de son histoire et de sa mise en scène. Sur bien des points, hérésiologie et ecclésiologie se croisent et se réclament, en un miroir unificateur, de la même évidence. C’est cette série d’évidences, comme lieux communs de l’autorité compétente, qui retient mon attention pour examiner les détails de sa construction et les raisons théologiques de sa présence. 2 Que systématise l’hérésiologie dans cette évidence, quelle raison y trouve-t-elle, et comment l’ecclésiologie s’y inscrit-elle ? Quelles voies et quels modes de distinction empruntent ces discours pour aboutir à cette évidence qui glorifie la doxa institutionnelle ? Qualifications de la communauté et autorité de la Tradition : l’histoire des ... Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n° 7 | 2013 1 L’Église, lieu de vérité 3 Commençons par l’évidence d’une position d’autorité et d’un genre autorisant par excellence : la Summa de Ecclesia d’un théologien officiel s’il en est, le maître du Sacré Palais Jean de Torquemada (1388-1468). Élevé au cardinalat en 1439, il rédige son grand ouvrage à partir de 1440 2 et toute la dernière partie est consacrée à l’hérésiologie 3. Le premier chapitre est un classique « quid sit haeresis » qui insiste d’emblée sur la « divisio » d’une opinion particulière contre celle de la communauté, décrite comme une communauté de pensée et de savoir (« cognitio »). Torquemada propose rapidement une définition, la première d’une longue série : « Quod haeresis sit opinio, vel assertio falsa sive dogma falsum catholicae veritati contrariam in eo qui Christianam fidem professus est » 4. D’emblée, l’accent est mis sur le contenu et l’énonciation dogmatiques. Torquemada s’appuie sur deux autorités : l’Augustin du Contra Faustum pour le contexte institutionnel (« Haeresis est quae diversa opinatur ab his quae catholica credit ecclesia »), et Jérôme pour la qualification dogmatique (« haeresis perversum dogma habet »). 4 L’hérétique se détache de l’institution ecclésiale qui parle en lui et prétend, de par sa propria mens trouver ou retrouver la véritable Ecclesia 5. L’hérésiologie est la réponse seconde à cette subjectivité dissidente qui choisit l’erreur, puisque l’un des termes les plus importants de la définition est celui de vérité. L’hérésie est avant tout décrite comme un problème de « cogitatio » qui débouche sur l’expression publique d’une « assertio non recta » contre l’« assertio recta » de la foi, son antonyme 6. L’individu hérétique « sentiret contra catholicam veritatem » 7, Torquemada précisant : « Veritas autem catholica principaliter dicitur articulus fidei ». 5 Geste théorique fondamental, la théorie de la vérité est déterminée par un cœur dogmatique d’où découlent les différentes dimensions du problème hérétique. En effet, Torquemada explicite ainsi son expression : Dicitur etiam veritas catholica quaecumque in canone bibliae assertive posita, vel per apostolos Christi nobis ex eius instructione, vel instinctu spiritussancti tradita seu per universalem ecclesiam seu generalia concilia determinata & approbata […] 8. 6 Texte, tradition et institution dessinent le lieu de vérité qu’est l’Église. Canon, transmission de la Parole et définitions conciliaires précisent les sources dogmatiques et les coordonnées principales de ce lieu longuement détaillées dans un chapitre ultérieur auquel Torquemada renvoie. Avant d’en arriver aux fameux genres des propositions damnables, des téméraires aux hérétiques9, il commence par insister sur l’adjectif « catholique » 10. La vérité est par principe et par nature universelle, une universalité sans exception identifiable à la « fides Christi » 11 – première évidence qui utilise une équivalence suivie par bien d’autres. Cette vérité dogmatique est renforcée par la catholicité qui ajoute à la dimension cognitive une preuve matérielle, géographico- historique : « veritas dicitur catholica, quia ubique praedicanda est & omnibus gentibus credenda proponitur. Unde dominus Math. ult. ait. Euntes docete omnes gentes » 12. La force et le poids de cet impératif christique testamentaire et de sa médiation apostolique identifient plus encore la vérité dogmatique à sa réalité institutionnelle dont la prétention est universelle. Outre l’héritage du canon lérinien, cette dimension est fréquemment rappelée dans la littérature antihérétique. Dans le De origine haeresium nostri temporis de l’évêque polonais Stanislas Hosius (1504-1579), souvent allégué dans la Qualifications de la communauté et autorité de la Tradition : l’histoire des ... Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n° 7 | 2013 2 littérature des XVIe-XVIIe siècles, les premiers mots donnent de cet universalisme unanimiste un tableau éloquent : L’Estat de toute nostre Republique Chrestienne, devant ces quarante ans derniers, a tousjours esté tel, que avec juste occasion on eust peu aysément dire d’iceluy, ce qui est escrit en Genèse 11 : en toute la terre n’y avoit qu’un langage, & forme de parler. Et aussi ce que nous trouvons escrit aux actes des Apostres (Act. 4), de ceux qui premierement receurent la foy de Iesuschrist : Toute la multitude des fideles, estoit d’un cœur & d’une ame. Tout ainsi qu’un Dieu estoit communément adoré, aussi n’y avoit qu’une foy. Par tout a esté une mesme façon d’administrer les sacrements. Par tout ont esté presque semblablement les cérémonies observées. 7 L’unité de parole et d’expression constitue l’Église et permet à l’hérésiologue de souligner une profondeur de champ aussi bien géographique qu’historique prouvée par l’intériorisation du sentiment d’appartenance et du nom qui le scelle : Tous disoyent une mesme chose, tous sentoient une mesme chose, tous croyoient une mesme chose, de sorte qu’il eust esté aisé de recognoistre celle saincte Cité (Psal. 121), la participation de laquelle est en soymesmes. Ce n’estoit donc sans raison veu qu’ils estoient unis par mesme volonté, qu’ils s’appelloient d’un mesme nom. Ils ne se nommoient point les uns Gnostiques, les autres Apostoliques, les autres Evangeliques, ny par autres noms quelconques, mais de Christ, auquel conformement ils croyoient, & auquel seul ils tenoyent asseurément estre licite, se glorifier, se denommoient tous Chrestiens […] 13. 8 L’impératif biblique de la mission apostolique qui réalise l’Église avec la « praedicatio veritatis » est bien évidemment déjà présent dans les premiers textes hérésiologiques, comme chez Irénée de Lyon – redécouvert au XVIe siècle – dont le deuxième chapitre du premier livre de l’Adversus haereses commence ainsi : « Ecclesia enim per universum orbem usque ad fines terrae seminata, & ab Apostolis & à discipulis eorum accepit eam fidem, quae est in unum Deum Patrem omnipotentem […] » 14. Quand le franciscain ligueur François Feuardent (1536-1610) commente cet emploi d’Ecclesia, il insiste sur cette catholicité opportunément reliée au Symbole de foi « quod paulo supra nominabat Regulam veritatis per Baptismum acceptam » 15. La médiation apostolique étend la communauté de réception que permet et développe l’Église comme lieu de vérité qui instruit et constitue à proprement parler l’esprit et la parole de ceux qui y entrent. 9 Une fois constatée la nature de la catholicité, Torquemada propose de distinguer huit genres, ou grades de vérité qui enregistrent une hiérarchie des arguments et une histoire de la transmission ou de l’élaboration dogmatique 16 : l’Écriture sainte, les conséquences nécessaires qui en découlent (par exemple : « Christus est verus uploads/Litterature/ cem-12901.pdf

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