Chapitre I : Concepts fondamentaux en didactique de l'écrit Mme S. Benabbes, Ma

Chapitre I : Concepts fondamentaux en didactique de l'écrit Mme S. Benabbes, Maitre de conférences A, U-OEB 2019 Introduction Le premier chapitre a pour objectif de situer les différents concepts de la matière. Il permet de clarifier les différentes approches théoriques liées à l’activité d’écriture : nous y définissons l’acte d’écrire selon plusieurs auteurs, nous présentons l’écriture en tant que marqueur social et professionnel et nous mettons en exergue le rapport entre « l’oral et l’écrit » et « la lecture et l’écriture ». Nous examinerons aussi la place accordée à la production écrite dans les différentes méthodologies de l’enseignement des langues étrangères et étudierons enfin les différents concepts clés, à savoir la compétence scripturale et le rapport à l’écrit. 1. Qu'entend-on par écrire ? L’écriture est une activité extrêmement complexe, surtout quand il s’agit d’écrire en langue étrangère. Ce constat a été testé par la prolifération des recherches sur la production écrite en langue étrangère au cours de ces trente dernières années. C’est une activité complexe où plusieurs opérations mentales et motrices sont conjointement mobilisées. En langues étrangères, notamment depuis l’essor de l’approche communicative, la production écrite se présente, au même statut que le savoir-écrire en langue maternelle, comme une activité de construction de sens et vise à l’acquisition de la compétence à produire divers types de textes qui répondent à des intentions communicatives. Pour D. Bucheton : « La tâche n’est pas jamais simple ! Elle l’est encore moins quand ce que l’on écrit modifie au fur et à mesure ce qu’on voulait écrire [...] fait surgir de nouvelles idées ou une nouvelle représentation d’une question » (Bucheton, ibid, p.22). Les travaux menés en psychologie cognitive ont montré que cette activité n’est plus considérée comme un don, mais plutôt comme un acte complexe impliquant plusieurs composantes. Pour J. Daury et R. Drey, il s’agit de s’impliquer dans un acte de communication en vue de présenter un message ou d’exprimer des sentiments : « Écrire, c’est s’engager, s’impliquer, s’exposer. Écrire ; c’est choisir, adapter un type d’écrit, un mode d’écriture, retenir des éléments, en écarter d’autres, choisir des structures, des mots…Des choix non successifs, mais concomitants, et en interaction, obéissent à l’exigence de communiquer une pensée précise et complète » (Daury & Drey, 1990, p.10-12). 2. L’écriture : marqueur social et professionnel Quand un jeune apprenant entre dans l’écrit, il est obligé d’une part à prendre en considération plusieurs normes rédactionnelles et conventions graphiques (aspects 5 Chapitre I : Concepts fondamentaux en didactique de l'écrit Mme S. Benabbes, Maitre de conférences A, U-OEB 2019 visuographiques, orientation des lettres…). D’autre part, il doit segmenter ses écrits (mise en place de blancs graphiques lexicaux pour séparer les traces graphiques, puis utiliser le point et la majuscule. Toutes ces contraintes et difficultés démontrent que l’on n’écrit pas « gratuitement », la recherche du sens est essentielle (Levesque, Lavoie & Marin, 2008) et il faut penser l’écrit comme une pratique sociale et cognitive (Bautier, 2008). Les travaux des années 1990 ont montré la complexité́ des compétences qu’exige l’acte d’écrire. Il appartient donc aux enseignants de stimuler l’envie d’écrire dès le plus jeune âge via des activités sociales : « C’est en écrivant qu’on apprend à écrire, aux antipodes des deux logiques qui consistaient à croire qu’il faut apprendre à écrire avant d’écrire » (l’imitation de modèles du début du XXe siècle) « ou qu’il faut apprendre à écrire après avoir écrit (l’expression libre des années 1970) » (Lumbroso, 2008). Y. Reuter a longuement analysé la dimension sociale de la production écrite : « Une pratique sociale, historiquement construite, impliquant la mise en œuvre généralement conflictuelle de savoirs, de représentations, de valeurs, d'investissements et d'opérations, par laquelle un ou plusieurs sujets visent à (re)produire du sens, linguistiquement structuré, à l'aide d'un outil, sur un support conservant durablement ou provisoirement de l'écrit, dans un espace socio- institutionnel donné » (Reuter, 2002, p.58). Autrement dit, l’écriture ne se réduit pas à l’apprentissage des techniques scolaires, mais on devrait mettre en valeur les relations que l’écriture entretient avec l’histoire de l’élève lui- même, son rapport à la société, au monde et à toutes les pratiques qui le lient aux autres individus. Dans le même sens, D. Bucheton précise que : « Le développement des compétences d’écriture d’un élève s’inscrit dans son histoire globale : familiale, sociale, scolaire » (Bucheton, ibid, p.23). Selon Y. Reuter, l’écriture est une pratique socialisée et socialisante (Reuter, ibid, p.4). Socialisée, puisqu’elle se pratique dans des formes diversifiées ; elle est issue de multiples sphères socio-institutionnelles qui en régissent le fonctionnement et en codifient l'usage, lui-même régi par des normes socialement établies. Socialisante, parce qu'elle conçoit le scripteur en tant qu’acteur social. Il est à distinguer l’écrit scolaire qui s’effectue dans un cadre formel et institutionnel et l’écrit social ou personnel. Les représentations et les enjeux du premier type diffèrent du second. Quand on écrit à l’école, c’est souvent pour montrer ce qu’on est capable de faire ou pour 6 Chapitre I : Concepts fondamentaux en didactique de l'écrit Mme S. Benabbes, Maitre de conférences A, U-OEB 2019 répondre aux exigences de l’enseignant, c’est-à-dire pour être évalué. Y. Reuter distingue la sphère scolaire et les sphères extra-scolaires ; la première étant « un lieu où l'on apprend à écrire et où l'écriture sert à apprendre ; où le rapport entre le professeur et l'élève est fondamental avec des enjeux évaluatifs constants ; où l'on est envoyé par ses parents en fonction de lois régissant ce pays » (Reuter, ibid, p.60). Les sphères socio-institutionnelles ont une influence sur les pratiques scripturales car elles organisent et régissent ces pratiques de manière variable en fonction de plusieurs facteurs. Le premier concerne la finalité de l'écriture : dans la sphère scolaire, entre autres, l'écriture est un moyen (d'apprendre, de retenir, de communiquer, d'être évalué, ...etc.) tandis qu'ailleurs, elle peut être une fin (écriture esthétique, juridique, professionnelle,...etc.) La variabilité des pratiques scripturales a fait de l’écrit un instrument efficace de communication et de conservation de l’information, voire même un puissant instrument de régulation de la société et de contrôle de l’individu. À partir du moment où l’usage de l’écriture s’est généralisé, la société moderne s’appuie de plus en plus sur l’écriture pour accorder aux décisions un caractère officiel que la parole exprimée ne suffit pas à garantir. Ainsi, l’écriture n’a pas seulement une vocation utilitaire, elle vise à atteindre certains objectifs plus larges des programmes scolaires car en apprenant à écrire, l’élève scripteur apprend à penser, à s’exprimer et à développer les compétences nécessaires à sa participation sociétale. Par ailleurs, les travaux portant sur l’écriture dans les domaines professionnels sont tout à fait récents car celle-ci a longtemps été perçue sous un aspect de littérarité, et non pour ses qualités de communication dans la sphère professionnelle et formationnelle. Il est nécessaire de distinguer l’écriture, en tant que pratique professionnelle et l’écriture comme processus de professionnalisation. Sans compter les usages professionnels habituels, tels que ceux du médecin (rédaction d’une ordonnance ou ceux de l’architecte faisant un compte rendu de travaux), l’écrit est un moyen de formation et peut devenir un outil de professionnalisation. (Cros, 2007). En évoquant l’écriture réflexive dans un contexte professionnel, Kaddouri (2006) expose les quatre formes qu’elle peut avoir : 7 Chapitre I : Concepts fondamentaux en didactique de l'écrit Mme S. Benabbes, Maitre de conférences A, U-OEB 2019 l’écriture dans sa pratique professionnelle (écrits dans l’immédiateté de l’action, par exemple, la prise de note) ; l’écriture pour sa pratique professionnelle (écrits pour la préparation de l’action, par exemple, pour l’élaboration de projets de formation) ; l’écriture sur sa pratique professionnelle (écrits dans des moments réflexifs et rétrospectifs pour soutenir une démarche analytique et interprétative, par exemple, questionner sa pratique) ; l’écriture à partir de sa pratique professionnelle (écrits qui interrogent le sens de sa pratique et visent la compréhension de phénomènes, par exemple, écrire à propos de certaines approches pédagogiques pouvant devenir un essai en éducation). 3. Le rapport entre l’oral et l’écrit L’oral et l'écrit se distinguent selon l’ordre d’acquisition : si l’on se situe dans le champ de la langue maternelle, l’enfant parle déjà sa langue lorsqu'il entre à l’école, mais il sera confronté à une nouvelle forme de cette langue, « l’écrit », qui devient un nouveau code à s’approprier. Le passage de l’oral à l’écrit pose de véritables problèmes car l'apprentissage du code graphique obéit à de multiples nomes. L’oral est associé à ce qui est immédiat et en situation. Une autre distinction est liée aux circonstances et aux conditions d'utilisation. La présence de l'interlocuteur dans une situation spatiotemporelle fait en sorte que la production du message et sa réception se passent en même temps sans compter que la présence d'éléments non verbaux favorise l'économie de moyens linguistiques nécessaires à la compréhension du message. Cette absence du récepteur à l’écrit permet au scripteur de réfléchir à ce qu’il veut exprimer afin de produire son texte au plus près de ses intentions. Selon G. Vigner (1982), cette non présence des locuteurs dont uploads/Litterature/ chapitre-11.pdf

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