Université de Montréal Le charme kabbalistique d’Aurélia de Nerval par Lise Cho

Université de Montréal Le charme kabbalistique d’Aurélia de Nerval par Lise Chouraqui Département des littératures de langue française, Faculté des Arts et des Sciences Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales en vue de l’obtention du grade de Maître ès Arts (M.A.) en littératures de langue française Juillet, 2018 © Chouraqui Lise, 2018 i Résumé Le courant romantique du XIXe siècle renoue avec l’œuvre ésotérique de la mystique juive qu’est la Kabbale. Gérard de Nerval, à partir de ses fréquentations mais aussi par son œuvre, s’inscrit pleinement dans ce contexte de redécouverte et d’appropriation. Néanmoins, il s’agit pour nous de nous demander ce que la Kabbale représente spécifiquement pour Nerval et le narrateur d’Aurélia, qui s’en empare de façon singulière et conformément à ses propres préoccupations. Ce dernier y trouve notamment le moyen d’apaiser ses angoisses en leur conférant une cohérence d’ordre kabbalistique, de prolonger ses aspirations et de voir ses rêves s’accomplir. Des images, des fragments et des représentations d’inspiration kabbalistique peuplent effectivement le récit d’Aurélia. Plus généralement, c’est au travers de la question du langage qu’Aurélia et la Kabbale présentent une profonde ressemblance. En établissant un rapport entre la Kabbale et Aurélia il s’agira moins d’annexer Nerval à une traduction particulière que de penser ce que signifie le fait de rêver autour du mot « Kabbale » dans une perspective poétique. Mots-clés : Kabbale, XIXe siècle, Gérard de Nerval, langage, mysticisme. ii Abstract In the XIXth century, during the romantic period, a vivid curiosity for Kabbalah re- appears in the French society. Through his readings as well as through his companions, Gérard de Nerval is affected by this mystical renewal of interest. We will ask ourself how he and Aurélia’s narrator were specifically influenced by this tendency. In accordance with his own sensitivity and preocupations, Nerval brings a very singular perspective on the Kabbalah. For him, this old literary and esoteric tradition is a way to treat his fears, ambitions and dreams. Indeed, kabbalistic images and representations are everywhere in Aurélia’s story. All in all, as we have no intention to draw Nerval into a tradition he does not belong to, we will wonder what dreaming of Kabbalah can mean. Since language is the main bond between Kabbalah and Aurélia, our work will be focused on questions of poetics. Keywords : Kabbalah, poetry, representations, mysticism. iii Table des matières Résumé ......................................................................................................................................... i Abstract ....................................................................................................................................... ii Table des matières...................................................................................................................... iii Remerciements ........................................................................................................................... vi Introduction ................................................................................................................................. 1 I- La Kabbale fait l’objet d’une redécouverte au XIXe siècle, dans les milieux artistique et mystique. ..................................................................................................................................... 6 A) L’influence de la tradition kabbalistique juive à l’époque romantique porte sur des questions religieuse et littéraire. ............................................................................................. 6 1) L’époque romantique se caractérise par un rapport à Dieu changeant que conforte la Kabbale. .............................................................................................................................. 6 2) Le point de rencontre entre la Kabbale et la pensée romantique s’enracine particulièrement d’un point de vue littéraire. .................................................................... 10 B) Nerval se range aux côtés de ses contemporains, se nourrissant essentiellement de Kabbale chrétienne................................................................................................................ 12 1) L’attrait de Nerval pour la Kabbale se traduit par la rencontre d’œuvres, majoritairement chrétiennes, s’inspirant de Kabbale juive dans une perspective d’apologétique................................................................................................................... 12 2) L’érudition de Nerval se concentre néanmoins autour du désir d’identifier une origine commune aux différentes traditions. ................................................................................. 15 C) L’influence de la Kabbale sur Nerval est tangible tout en se prêtant à la rêverie. ........ 17 1) La Kabbale a pu mener Nerval à la lisière de la folie. .............................................. 18 2) On constate qu’Aurélia est truffée de références kabbalistiques plus ou moins explicites. .......................................................................................................................... 20 II- Le narrateur-personnage d’Aurélia vit sous la loi kabbalistique. Il s’adapte effectivement à ses rigueurs................................................................................................................................ 23 A) Les pratiques de lecture et d’écriture du personnage sont conformes à celles la Kabbale. 23 iv 1) Le Zohar requiert un lecteur savant que l’on pourrait qualifier d’épistémophile. .... 23 2) Le narrateur partage le rapport à l’écriture qui a cours au sein du Zohar. ................ 26 B) Le narrateur personnage est prédisposé à l’étude de la Kabbale dont la lecture nourrit les tendances. .............................................................................................................................. 29 1) Le fait de renouer avec le Zohar se comprend en termes de sensibilité humaine. ... 29 2) L’étude de la Kabbale implique une capacité à raisonner et un goût pour l’abstraction mystique, deux tendances que l’on retrouve chez le narrateur d’Aurélia. ........................ 32 C) Le narrateur déploie une vision kabbalistique du monde et de sa création. ................. 34 1) Un monde placé sous le signe de la faute est dépeint par le narrateur d’Aurélia. .... 34 2) Le narrateur semble moins convoquer quelques références kabbalistiques destinées à planter un décor mystique qu’à s’en emparer. .................................................................. 35 3) Le narrateur-personnage d’Aurélia s’imprègne du récit de Création. ...................... 37 III- Aurélia est une œuvre qui s’apparente à un texte kabbalistique. .................................. 41 A) Aurélia et le Zohar recèlent des possibilités interprétatives. ........................................ 41 1) Aurélia et le Zohar sont des œuvres dont l’appréhension pose problème conformément à une volonté avérée de brouillage. ................................................................................... 41 2) La polysémie rassemble le Zohar et Aurélia. ........................................................... 43 B) L’oiseau confère une trame kabbalistique à l’œuvre de Nerval. .................................. 46 1) L’oiseau, figure kabbalistique salvatrice assure la cohérence narrative d’Aurélia. .. 46 2) Il s’agit donc pour le narrateur de décrypter le mouvement de l’« oiseau signe » dont traite le Zohar. ................................................................................................................... 48 3) L’oiseau porte les caractéristiques que lui prête le Zohar : « […] oiseau messager, oiseau dans le nid caché où le messie attend son heure ». ................................................ 50 4) L’oiseau, élément de cohérence narrative, ré-émerge à la fin d’Aurélia, accomplissant la promesse kabbalistique qu’il formule tout au long du récit. ......................................... 52 C) Aurélia porte une dimension à la fois kabbalistique et hétérodoxe. ............................. 55 1) Le narrateur présente un caractère impie, situant l’œuvre dans un état de contradiction religieuse, fût-elle dotée d’une résonance kabbalistique. ................................................. 55 2) La réconciliation à l’œuvre s’opère auprès de l’être féminin aimé. ......................... 58 3) Aurélia constitue l’idéal kabbalistique du narrateur. ................................................ 61 Conclusion ................................................................................................................................ 65 v Bibliographie............................................................................................................................. 67 vi Remerciements Merci infiniment À Mes parents, discrets architectes de ma pensée, pour leur soutien inconditionnel et leurs conseils avisés, Hanna Bechiche, Zeïna Tmart et Viet Anh Ha, dont l’amitié, le secours furent et demeurent salutaires, Monsieur Michel Pierssens, dont l’expérience, la confiance témoignée et l’aide apportée constituent le fondement de ce travail. Introduction Dès sa parution en 1855, Aurélia de Nerval pose des difficultés de lecture. Cela est autant lié à l’état d’inachèvement de l’œuvre qu’aux difficultés d’interprétation qu’elle présente. Bien que le texte d’Aurélia soit recouvert de lectures mystique, clinique, surréaliste et érudite, il ne cesse de soulever des interrogations depuis sa publication. En 1881, dans la Revue politique et littéraire, le journaliste Louis Ulbach témoigne : « Je me souviens du manuscrit bizarre qui me fut remis par Gérard de Nerval pour la Revue de Paris : des bouts de papier de toute dimension, de toute provenance, entremêlés de figures cabalistiques […]1. » Le premier aspect de l’œuvre annonce d’emblée le désordre ésotérique de son contenu. Or, cette apparence n’est pas sans résonance textuelle : des références plus ou moins explicites à la Kabbale ponctuent l’œuvre, accentuant les difficultés de lecture pressenties. Il convient de rappeler l’attrait qu’exerçaient les mouvements occultistes et théosophiques sur la société de l’époque, attrait dont les travaux d’Auguste Viatte ont largement traité2. Si l’adjectif « cabalistique » est souvent employé comme innocent synonyme d’ « étrange » – c’est probablement là l’usage qu’en a fait le journaliste Ulbach - le terme de Kabbale ou Cabale revêt un sens singulier et complexe. Issu de l’hébreu qabbalah, la Kabbale renvoie aux courants ésotériques du judaïsme conformément à une des traductions qu’on associe à ce terme, celle de 1 Gérard de Nerval, Aurélia, Paris, Gallimard, 2005 [1855], Notices et notes p. 266. 2 Cf. Auguste Viatte, Les sources occultes du romantisme. Illuminisme et théosophie, 1770-1820. I, Le Préromantisme. II, La Génération de l’Empire, Paris, Honoré Champion, 1979. 2 « tradition ». Gershom Scholem, qui livra un travail intellectuel inédit et monumental autour de la Kabbale, écrit que ce terme désigne plus précisément: les doctrines ésotériques et la mystique du judaïsme, notamment sous les formes qu’elle revêt à partir du XIIe siècle. Au sens large, il correspond à tous les mouvements ésotériques qui, apparus au sein du judaïsme à partir de la fin du second Temple, sont devenus des facteurs déterminants de l’histoire juive2. Scholem indique que la Kabbale ne désigne pas un corpus de textes défini en ce qu’elle renvoie à une vaste tradition peuplée d’œuvres innombrables. Pour pouvoir aborder la Kabbale en dépit de cette multitude, nous ferons essentiellement référence au Zohar dans le cadre de ce travail car il constitue la pièce maîtresse de la Kabbale. Le Tanya, guide érudit écrit au XVIIIe siècle et qui constitue l’œuvre canonique et accessible en matière de Kabbale, parle du Zohar comme de l’« Œuvre kabbalistique de base par excellence3. » Considéré comme la source des traditions ésotériques, le Zohar était perçu comme tel jusqu’aux recherches uploads/Litterature/ chouraqui-lise-2018-memoire.pdf

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