« Chrétiens du monde arabe, héritage et avenir ». Exposé de Samir Khalil Samir
« Chrétiens du monde arabe, héritage et avenir ». Exposé de Samir Khalil Samir samedi 12 mai 2007 Le titre proposé est : « Le christianisme arabe, singularité, héritage », et cela dans le cadre de cette journée sur : « Chrétiens du monde arabe, héritage et avenir ». Je vais donc un peu joindre les deux, et voir d’abord ce qu'est le « christianisme arabe », ce que l’on entend par là, c'est l'introduction. Puis : Quelle est sa singularité, quelles sont ses caractéristiques. Enfin l'héritage : passer en revue cet héritage arabe chrétien pour déboucher sur: quel avenir, quelle mission, quel rôle peut-il avoir et a-t-il ? Parler de Christianisme arabe semble paradoxal. Dès qu'on dit arabe, en général, on pense musulman, et quand on dit christianisme, on ne pense pas du tout ni à l'Arabie - qui ne s'identifie pas avec arabe - ni au monde arabe. C'est là vraiment la caractéristique essentielle, le paradoxe que vivent les chrétiens du monde arabe jusqu'à nos jours et à travers toute l'histoire. Qu'est ce qu'on entend d'abord par « arabe » ? Le mot “arabe” ne qualifie pas une race… en dehors des chevaux ! Allez dans n'importe quel pays dit arabe - il y en a 22 - vous trouverez toutes les races, non seulement d'un pays à l'autre, mais à l'intérieur d'un pays. Les spécialistes disent que, même en Arabie Saoudite, à la naissance du christianisme, on peut distinguer trois provenances diverses, trois « races ». Le mot “arabe” ne qualifie pas non plus une religion. Avant l'Islam, les arabes étaient massivement polythéistes, ils n'adoraient pas le Dieu unique. Mais il y avait parmi eux des juifs, et ensuite des chrétiens. Des juifs arabes sont une réalité, même si, de nouveau, la proximité des deux termes surprend - mais c'est essentiel pour notre culture arabe. De même, évidemment, il y a des chrétiens arabes. Quand l'Islam est né, à partir de 610 et avec la mort de Mohammed en 632, l'Islam et le Coran se réfèrent, bien sûr aux polythéistes (Al Mouchrikoune), mais ils se réfèrent constamment à ce qu'ils appellent les gens du livre, les possesseurs d'un livre révélé, juifs et chrétiens. Et le terme s'applique tantôt à l'un, tantôt à l'autre, tantôt aux deux. Et c'est même eux qui vont soutenir au départ la mission de Mohammad de proclamer le Dieu unique, avec des conséquences éthiques dans la vie quotidienne. Ils se dissocieront de lui quand apparaîtra la seconde partie du témoignage de l'Islam (la chahada), quand Mohammad, toujours plus, se proclamera le prophète de Dieu ; à partir de ce moment, juifs et chrétiens ne le suivent plus. C'est ce qui va créer d'ailleurs la rupture à l'année 2 de l'Hégire, en 624, que l'on voit bien dans le Coran, rupture avec les juifs essentiellement. Le mot “arabe” ne qualifie pas plus une religion aujourd'hui que dans le passé. Même si les chiffres sont très discutés et discutables - et ça tient au fait qu'on n'a pas vraiment de statistiques valables - mais en tout cas, il y a un certain nombre de millions de chrétiens arabes. C’est en Egypte qu’on trouve la plus grosse communauté arabe chrétienne. Les chiffres varient, on avance le chiffre de 6 à 7 millions. Vous verrez des gens qui disent moins, et d'autres plus. Arabe alors, qu'est ce que c'est? Si je prends un célèbre « hadith » du prophète de l'Islam, est arabe qui parle l'arabe, et c'est en fait le sens utilisé aujourd’hui. « La ligue arabe » inclut le Liban qui n'est pas un pays musulman, mais surtout se distingue bien de « la ligue des états islamiques » qui sont 57 pays, au sein du monde arabe ; dans des pays comme l'Egypte, la Syrie, le Liban, la Palestine, l'Irak où les chrétiens sont présents, tout le monde sait que l'on ne peut pas identifier arabe et islam. Et il est essentiel de le rappeler, tant dans le monde arabe qu’en Occident, pour éviter ces formules globalisantes qui, à trop forcer les détails, donnent une image fausse du global. Arabe, c'est un élément culturel, c'est aussi un peu géographique et historique. Nous avons un passé, une histoire commune très fortement marqués par le monde musulman, mais marqués culturellement, sociologiquement par les chrétiens ; on estime - c'est également difficile à préciser – que, jusqu'au 10ème siècle, les chrétiens dans le monde arabe étaient majoritaires en nombre, et ce serait au tournant de l'an 1000 que la proportion bascule progressivement jusqu'à tomber, dans beaucoup de pays, au niveau de 10%. On estime cela pour l'Egypte, mais on dit que c'est avec les mamelouks, surtout lors de la seconde période du 14ème siècle, que vraiment le nombre et la proportion de chrétiens se sont réduits de façon drastique. L'élément historique est essentiel. S'il fallait prendre une comparaison, je dirais que “arabe” correspond un peu à “européen” pour l’Europe. Nous avons des pays différents, ayant une culture commune mais qui n’ont pas aujourd'hui de langue commune. Nous avons, dans le monde arabe, une langue classique commune, mais tout le monde sait que ce sont des dialectes qui sont pratiqués par la majorité des gens, et des dialectes différenciés. Reste que ce serait une erreur de sous estimer l'importance de la langue classique qui, aujourd'hui encore, reste un lien très fort entre tous les pays arabes même si cette langue diffère beaucoup de celle du Coran. Donc, unité culturelle essentiellement, historico-géographique d'autre part. Alors, les chrétiens arabes, ce sont les chrétiens de cette région qui ont, au cours de l'histoire, changé de culture pour intégrer de nouvelles cultures. Ces chrétiens étaient de culture grecque dans certaines régions, de culture copte dans d'autres, de culture syriaque dans une grande partie, plus tard même de culture arménienne, voire pendant une période en Occident de culture latine, mais ils se sont arabisés. Nous avons le premier psautier écrit en poésie, en vers simples à vrai dire, et composé en Espagne au 9ème siècle par un évêque de Cordoue, qui est lui même, son nom l'indique « El Hafez Ibn Albar Al Gouti » - « El Hafez » c'est typiquement une dynastie arabe, nord africaine - les « Albar » de «Alvarez », plus espagnol, on ne fait pas mieux, mais arabe aussi. Il prend le nom, lui évêque, de Hafez, c'est pour dire qu'il ne faut pas réduire. Le concept de chrétien arabe inclut tout. Il est évident, pour ceux qui sont de culture grecque, on les appelle Melchites; Melchite n'est pas un mot arabe, ce n'est pas un mot grec, c'est un mot syriaque qui vient de « melcho », l’empereur. Donc, ils sont passés du grec au syriaque, dans ses divers dialectes, et à l'arabe ; de même, on ne sait pas, ils passent au français, à l'anglais, à l'espagnol là où ils se trouvent. Les syriaques sont dans la région de Mésopotamie, mais aussi en Perse. Pour les Syriaques, Mésopotamie, Syrie, Palestine, Liban, c'est aussi leur territoire. Plus tard, ils vont s'arabiser, mais tout le monde est arabisé ; le musulman est un arabisé. Il est faux de dire et de penser que les arabes sont musulmans et que les chrétiens sont des arabisés. La plupart des musulmans qui ont contribué à la renaissance intellectuelle et spirituelle de l'Islam sont persans, au 9ème, 10ème, 11ème siècle, tous les grands noms, et nous le savons bien. Il s'agit donc essentiellement d'une culture. Les chrétiens de cette culture ont un héritage très substantiel. La 1ère fois, j'ai vécu moi même une espèce de conversion intellectuelle. Je préparais une thèse de 3ème cycle avec le Pr André Miquel à Aix en Provence, et je suis allé en Allemagne pour m'initier à l'allemand. Me trouvant là, on m’avait confié un travail complémentaire qui était d'étudier « Ghazali » et de produire un texte sur lui. Et donc, je travaillais cet auteur pendant les vacances. J'étais à la bibliothèque de Munich, nous étions deux dans le département sémitique, un moine et moi. Lui était en soutane, et moi j'étais en soutane. Alors on fait connaissance, et lui me dit: « Qu'est ce que vous faites? », je lui dis « J'étudie l'islam, l'islamologie, je travaille sur Ghazali ». Il me dit : « Mais pourquoi, vous chrétiens, vous intéressez vous plus à l'islam qu'au christianisme arabe? » J'allais lui répondre, mais je voulais continuer mon travail ; alors je l'ai gentiment laissé parler et disparaître. Le lendemain, il est revenu et il m'a dit: « Mais pourquoi ne vous intéressez vous pas à la littérature arabe chrétienne? » J’ai essayé d'être plus aimable, mais je l'ai quand même envoyé promener. La 3ème fois, de guerre lasse et pour en finir, je lui dis: « Mais qu'est ce que c'est? », et alors il m'a apporté cinq gros volumes imprimés à l'allemande, c'est à dire bien tassés, 2400 pages, « La grande histoire de la littérature arabe chrétienne » de Graf, que l’auteur uploads/Litterature/ chretiens-du-monde-arabe 2 .pdf
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- Publié le Sep 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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