GAULE ET FRANCE (1833) ALEXANDRE DUMAS Gaule et France LE JOYEUX ROGER 2008 Cet
GAULE ET FRANCE (1833) ALEXANDRE DUMAS Gaule et France LE JOYEUX ROGER 2008 Cette édition a été établie à partir de celle de Michel Lévy Frères – Libraire nouvelle, Paris, 1875. Nous en avons conser- vé l’orthographe et la ponctuation, à quelques corrections près. ISBN-13 : 978-2-923523-55-2 Éditions Le Joyeux Roger Montréal lejoyeuxroger@gmail.com Avant-propos L’histoire de France, grâce à messieurs Mézeray, Vély, et Anquetil, a acquis une telle réputation d’ennui, qu’elle en peut disputer le prix avec avantage à toutes les histoires du monde connu : aussi le roman historique fut-il chose complètement étrangère à notre littérature jusqu’au moment où nous arrivèrent les chefs-d’œuvre de Walter Scott. Je dis étrangère, car je ne pré- sume pas que l’on prenne sérieusement pour romans historiques le Siége de la Rochelle, de madame de Genlis, et Mathilde, ou les Croisades, de madame de Cottin. Jusqu’à cette époque nous ne connaissions donc réellement que le roman pastoral, le roman de mœurs, le roman d’alcôve, le roman de chevalerie, le roman de passion, et le roman sentimental. L’Astrée, Gil Blas, le Sofa, le petit Jehan de Saintré, Manon Lescaut, et Amélie Mansfield, furent les chefs-d’œuvre de chacun de ces genres. Il en advint que notre étonnement fut grand en France lorsque, après avoir lu Ivanhoe, le Château de Kenilworth, Richard en Palestine, nous fûmes forcés de reconnaître la supériorité de ces romans sur les nôtres. C’est que Walter Scott aux qualités ins- tinctives de ses prédécesseurs joignait les connaissances acqui- ses, à l’étude du cœur des hommes la science de l’histoire des peuples ; c’est que, doué d’une curiosité archéologique, d’un coup d’œil exact, d’une puissance vivifiante, son génie résurrec- tionnel évoque toute une époque, avec ses mœurs, ses intérêts, ses passions, depuis Gurth le gardien de pourceaux jusqu’à Richard le chevalier noir, depuis Michaël Lambourn le spadassin, jusqu’à Elisabeth la reine régicide, depuis le chevalier de Léo- pard jusqu’à Sallah-Eddin le royal médecin : c’est que sous sa plume enfin, hommes et choses reprennent vie et place à la date où ils ont existé, que le lecteur se trouve insensiblement transpor- té au milieu d’un monde complet, dans toutes les harmonies de GAULE ET FRANCE 6 son échelle sociale, et qu’il se demande s’il n’est pas descendu par quelque escalier magique dans un de ces univers souterrains comme on en trouve dans les Mille et une Nuits. Mais nous ne nous rendîmes point ainsi tout d’abord, et nous crûmes longtemps que cet intérêt inconnu que nous trouvions dans les romans de Walter Scott tenait à ce que l’histoire d’An- gleterre offrait par ses événemens plus de variétés que la nôtre. Nous préférions attribuer la supériorité que nous ne pouvions nier à l’enchaînement des choses, plutôt qu’au génie de l’homme. Cela consolait notre amour-propre, et mettait Dieu de moitié dans notre défaite. Nous étions encore retranchés derrière cet argu- ment, nous y défendant du moins mal qu’il nous était possible, lorsque Quentin Durward parut et battit en brèche le rempart de nos paresseuses excuses. Il fallut dès lors convenir que notre histoire avait aussi ses pages romanesques et poétiques ; et, pour comble d’humiliation, un Anglais les avait lues avant nous, et nous ne les connaissions encore que traduites d’une langue étran- gère. Nous avons le défaut d’être vaniteux ; mais en échange nous avons le bonheur de ne pas être entêtés : vaincus, nous avouons franchement notre défaite, par la certitude que nous avons de rat- traper quelque jour la victoire. Notre jeunesse, que les circonstan- ces graves de nos derniers temps avaient préparée à des études sérieuses, se mit ardemment à l’œuvre ; chacun s’enfonça dans la mine historique de nos bibliothèques, cherchant le filon qui lui paraissait le plus riche ; Buchon, Thierry, Barante, Sismondi et Guizot en revinrent avec des trésors qu’ils déposèrent généreu- sement sur nos places publiques, afin que chacun pût y puiser. Aussitôt la foule se précipita sur le minerai, et pendant quel- ques années il y eut un grand gaspillage de pourpoints, de cha- perons et de poulaines ; un grand bruit d’armures, de heaumes et de dagues ; une grande confusion entre la langue d’Oil et la lan- gue d’Oc : enfin du creuset de nos alchimistes modernes sortirent Cinq-Mars et Notre-Dame de Paris, deux lingots d’or pour un AVANT-PROPOS 7 monceau de cendres. Cependant les autres tentatives, tout incomplètes qu’elles étaient, produisirent du moins un résultat, ce fut de donner le goût de notre histoire : mauvais, médiocre ou bon, tout ce qui fut écrit sur ce sujet fut à peu près lu, on se figura que l’on connais- sait aussi leurs chroniques. Chacun alors passa de la science de l’histoire générale au désir de connaître l’histoire privée : cette disposition d’esprit fut habilement remarquée par les Ouvrards littéraires : il se fit aussitôt une immense commande de mémoires inédits ; chaque époque eut son Brantôme, sa Motteville et son Saint-Simon ; tout cela se vendit jusqu’au dernier exemplaire : il n’y eut que les Mémoires de Napoléon qui s’écoulèrent difficile- ment : ils arrivaient après la Contemporaine. L’école positive cria que tout cela était un grand malheur ; qu’on n’apprenait rien de réel ni de solide dans les romans histo- riques et avec les mémoires apocryphes ; que c’étaient des bran- ches fausses et bâtardes qui n’appartenaient à aucun genre de lit- térature, et que ce qui restait de ces rapsodies dans la tête de ceux qui les avaient lues ne servait qu’à leur donner une idée inexacte des hommes et des choses, en les leur faisant envisager sous un faux point de vue ; que d’ailleurs l’intérêt dans ces sortes de pro- ductions était toujours absorbé par le personnage d’imagination, et que, par conséquent, c’était la partie romanesque qui laissait le plus de souvenirs. On leur opposa Walter Scott, qui certes a plus appris à ses compatriotes de faits historiques avec ses romans que Hume, Robertson et Lignard avec leurs histoires : ils répondirent que cela était vrai, mais que nous n’avions rien fait qui pût se comparer à ce qu’avait fait Walter Scott ; et sur ce point ils avaient raison : en conséquence, ils renvoyaient impitoyablement aux chroniques mêmes ; et sur ce point ils avaient tort. À moins d’une étude particulière de langue, que tout le monde n’a pas le temps de faire, et qui cause une fatigue que les hommes spéciaux ont seuls le courage de supporter, nos chroniques sont assez difficiles à lire depuis Villehardoin jusqu’à Joinville, c’est- GAULE ET FRANCE 8 à-dire depuis la fin du douzième siècle jusqu’à la fin du quator- zième ; et cependant dans cet intervalle sont compris les règnes les plus importans de notre troisième race monarchique. C’est l’époque où le monde chrétien de Saint-Louis succède au monde païen de Charlemagne ; la civilisation romaine s’efface, la civi- lisation française commence ; la féodalité a remplacé la cheftai- nerie ; la langue se forme à la rive droite de la Loire ; l’art revient d’Orient avec les croisés ; les basiliques croulent, les cathédrales s’élèvent ; les femmes marquent dans la société les places qu’el- les y occuperont un jour ; le peuple ouvre les yeux à la lumière politique ; les parlemens s’établissent, les écoles se fondent ; un roi déclare que, puisqu’ils sont Francs de nom, les Français doi- vent naître francs de corps. Le salaire succède au servage, la science s’allume, le théâtre prend naissance, les États européens se constituent ; l’Angleterre et la France se séparent, les ordres chevaleresques sont créés, les routiers se dispersent, les armées s’organisent, l’étranger disparaît du sol national, les grands fiefs et les petits royaumes se réunissent à la couronne ; enfin le grand arbre de la féodalité, après avoir porté tous ses fruits, tombe sous la hache de Louis XI, le bûcheron royal : c’est, comme on le voit, le baptême de la France qui perd son vieux nom de Gaule ; c’est l’enfance de l’ère dont nous sommes l’âge mûr ; c’est le chaos d’où sort notre monde. Il y a plus, c’est que, si pittoresques que soient Froissart, Monstrelet, et Juvénal des Ursins, qui remplissent à eux trois un autre intervalle de près de deux siècles, leurs chroniques sont plu- tôt des fragmens réunis qu’une œuvre complète, des journaux quotidiens que des mémoires annuels ; point de fil conducteur que l’on puisse suivre dans ce labyrinthe, point de soleil qui pénètre dans ces vallées sombres, point de chemins tracés dans ces forêts vierges ; rien n’est centre : ni peuple, ni noblesse, ni royauté ; tout, au contraire, est divergent, et chaque ligne tend à un nouveau point du monde. On saute sans liaison de l’Angle- terre en Espagne, de l’Espagne en Flandre, de la Flandre en Tur- AVANT-PROPOS 9 quie. Les petits calculs sont si multipliés qu’ils cachent les grands intérêts, et que jamais on n’entrevoit, dans cette nuit obscure, la main lumineuse de Dieu tenant les rênes du monde et le poussant invariablement vers le progrès : ainsi uploads/Litterature/ gaule-et-france.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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