1 Christian Morgenstern et notre époque Essai d’un accès personnel Andreas Laud
1 Christian Morgenstern et notre époque Essai d’un accès personnel Andreas Laudert Christian Morgenstern et Wolfgang Herrndorf, qui n’eut que peu le temps de vieillir, appartenaient à deux tournants de siècles. Un ancrage motivé commun, c’est leur manière de fréquenter la maladie et leur humour, pourtant l’accord finale de leurs deux vies est du genre polaire. « Depuis la plus précoce enfance j’avais l’idée de ne pas être de ce monde. Moi, […] je venais en réalité du Soleil […]. À partir de mes origines énigmatiques, pour moi-même, je ne pouvais parler à personne de ma provenance […] une seule et unique fois, je révélai mon secret à mon meilleur ami […] devant le bassin de poissons rouges1 […]. J’espérai aussi qu’il se reconnût aussi extra-terrestre. L’idée disparut, lorsque j’eus huit ou neuf ans et je sais encore que sa disparition me laissa vide. » Ce passage se trouve dans le journal de Wolfgang Herrendorf « Travail et structure ». Né en 1965, il étudia la peinture et mourut en 2013 à Berlin. Son succès mondial « Tschick » raconte la vie de deux adolescents de 15 ans — mais non pas vraiment le côté solaire de la vie — qui volent une automobile en vacances. Ils n’arrivent pas loin, mais à eux-mêmes. Au moment où l’auteur l’écrivait, sa tumeur au cerveau fut découverte ; Dans le blog cité ci-dessus, publié à titre posthume en 2013, il écrit cela à l’encontre de la mort. 2 — Christian Morgenstern et Wolfgang Herrndorf, qui n’eut que peu de temps pour vieillir, appartenaient à deux tournants de siècles. Un ancrage motivé commun, c’est leur manière de fréquenter la maladie et leur humour, pourtant l’accord final de leurs deux vies est du genre polaire. Dans la préface encore de la biographie de Morgenstern, rédigée par Michael Bauer, la mesure de celui-là est citée : « Le lecteur doit se voir placé au cours de la biographie devant toutes les interrogations archétypes de notre vie et doit lutter avec et chercher avec le poète pour finalement le découvrir. »3 Le cheminement de Morgenstern passe pour achevé. Chez le nihiliste laconique, Herrndorf, aucun lecteur n’est censé devoir quelque chose. Accomplissement signifie : se précipiter en productivité en ayant la fin devant ses yeux et donner de la structure aux jours qui restent — et achever ce projet de roman. Le 26 août 2013, Wolfgang Herrndorf se tira une balle dans la tête. Le plan conçu plus tôt fut une consolation pour lui. Il voulait rester maître de sa vie, car il n’en eût pas été définitivement digne. C’est-à-dire : en ne pouvant plus communiquer. Seul celui qui aime le monde — a aussi le droit de le haïr — Seul celui qui ne fuit pas est en droit de le quitter — Tu dois accepter le monde — comme tu te donnes à lui — Il ne change que si tu l’aimes. Ce poème naquit, alors que j’avais 20 ans, soudainement il me tomba dessus. Un lecteur de Morgenstern aurait bien encouragé l’auteur en riant, à poursuivre de cette manière. Herrndorf y eût rattaché plutôt des remarques sarcastiques. Un ami de jeunesse qui s’était précocement tourné vers l’anthroposophie, fut alors étonné de ces vers et demanda si réellement la haine peut être une conséquence de l’amour. Je ne sais plus ce que je répondis alors, peut être que je ne haïssais ni la mort ni la maladie, mais l’injustice. Car qu’il y eût aussi de sainte colère et passion, c’est mieux que l’équanimité de la conscience morale de soi. La vie s’éloigna bientôt de ce que j’avais écrit en tant qu’exhortation (ou pressentiment) lyrique dans l’album. Le monde se scinda en deux : dans l’anthroposophie (l’ami avait bien deviné une disposition pour elle) et dans la littérature, qui sur la distance, passe dans l’encaissement d’autrui. En elle, ainsi le croyais-je, on a le droit de rester non- délivré. Mais dans les deux mondes se pose en tout premier la question de forme, le problème de l’action responsabilisée, la transformation de la substance personnelle dans l’or du supra- personnelle. Se détacher de la déchirure entre les mondes, resta difficile ; souvent elle sembla s’arrêter, plus honorable. Elle rendit réceptif, dans un sens problématique et spirituel. Vraiment, en tant que modèle et étoile se trouvait en soi le cheminement achevé de Morgenstern devant 1 Goldfischteich, an allemand, le poisson « rouge » est en fait un poisson « d’or » donc solaire. ndt 2 W. Herrndorf « Tschick », roman, Vberlin 2010. Comme „Travail et structure » paraissent chez Rowohlt. 3 Michael Bauer « Christian Morgenstern — Vie et oeuvre », Stuttgart 2014. En cas de citation, merci d'indiquer la source : Les traductions de Daniel Kmiecik - www.triarticulation.fr/AtelierTrad 2 quelqu’un, l’admiration fut le sentiment dominant. C’est l’empathie, la solidarité diffuse qui se présentent plutôt vis-à-vis de quelqu’un comme Hernndorf, l’impression qu’on n’a besoin ici que d’une traduction, pour débarrasser le chemin des pierres du préjugé, des terminologies déterminées et de cette pseudo-spiritualité délavée, soit missionnaire soit endurcie ou familière, qu’on a interposée devant la perception. Comment l’être humain se relie à la Terre, comment il doit la cultiver pour accomplir des évolutions, un auteur doit précisément organiser des terrains de roman, des actions justement. En tant que poète, Il s’agit pour Morgenstern de son Je, du soi en tant que connaissance du monde, responsabilité du monde. Tôt il éluda la grande forme, l’épopée ou la scène. En acceptant l’échec avec une subtile auto-ironie mélancolique, il put devenir celui qu’il était. Car il ne disposa d’autres conditions, ni non plus de temps de vie, pour les acquérir, il demeura fidèle au lyrisme et à l’aphorisme et forma sa vita, quoi qu’elle restât projet, pour ainsi dire achèvement de forme jusqu’au fondement de gloire et d’écrit, qui pouvait la porter. C’est pourquoi son personnage peut devenir si important à quiconque : moins dans un style au surplus incomparable car en tant qu’œuvre d’art du chemin de vie. C’est compréhensible par le sentiment combien il fut pour cela reconnaissant, dans le contexte anthroposophique, au fait de rencontrer des êtres humains qui comprirent son cheminement, qui l’accompagnèrent en s’en inspirant nouvellement. Reconnaissants sommes-nous à présent aujourd’hui parfois en tant que mouvement anthroposophique, qu’il y eut un Morgenstern dans nos rangs, dont l’appel au monde ennoblit tout un chacun devant le monde culturel. Non seulement l’anthroposophie éclaire son œuvre — mais lui aussi éclaire l’anthroposophie. C’est le prodige véritable et le rang de cette biographie qu’ici une grandeur devient connaissable, qui va au-delà des critères du grand être personnel et crée totalement de neuf à partir de la dynamique d’une biographie individuelle. Là où Morgenstern mis en avant ces dimensions spirituelles-là, qui était déjà propres à son aspiration, là l’être humain Herndorf — désenchanté du 21ème siècle, selon ses propres dires — n’aperçut que l’absence de sens du néant. Dans l’œuvre se trouvent des récriminations acrimonieuses sur une vision du monde ésotériquement intégrale et d’un art de la médecine. Il œuvre en étant emprisonné dans des considérations matérialiste et technicisées, parfois triviales sur le grain de poussière qu’est nonobstant l’être humain dans l’univers. Son milieu spirituel et social ce sont des amis actifs dans la culture berlinoise ; la reconnaissance pour le genre de son existence est décelable. — Dans « Tschick », il y a le grandiose passage cosmique, où le conteur rapporte sa rédaction scolaire, pour laquelle l’enseignant allégua des « paroles charmantes », par exemple Dieu. Sans métaphore l’adolescent écrivait sur sa mère alcoolique, qui torpillait les thérapies, et de ce carton-là au plafond dans lequel on était censé projeter ses soucis, ne s’appelait pas Dieu, mais Karl Heinz. Il ne la faisait pas sourire, il décrivait ce qui est risible : des gens qui « ont toujours l’air aliénés, comme s’ils savaient à quoi s’en tenir ». L’enseignant entre temps s’insurgeait sur ce texte qui a perdu toute honte à ses yeux. — Dans l’œuvre de Herrndorf se rencontrent de nombreuses « paroles charmantes » dont les oreilles bourgeoises ne se gargarisent qu’à peine (avec le délice d’utiliser une image louche). Que l’humour n’apparaisse pas toujours uniquement humoristique, le Christ, pas exclusivement « chrétien », c’est le sérieux de l’histoire entière.4 Aucune trace chez Herrndorf de cette arrivée dans un pays natal philosophique, d’une mission d’écrire personnelle, comme finalement elle fut caractéristique chez Morgenstern. Pourtant pour « Tschick » aussi brille un amour pour l’existence, qui n’émeut pas sans raison. Les contenus de Herrndorf peuvent bien ne pas être spirituels au premier coup d’œil, pourtant il recherche dans une mise en parole consciente à édifier un pont vers l’âme. Il thématise même qu’il rédige le roman très 4 Rudolf Steiner a aussi persiflé dans ses conférences des positions d’autres penseurs et artistes. Il utilisait ou mettait à profit parfois de telles digressions symptomatologiques au tableau noir, quand bien même il ne rendait pas justice en tout à la personne concernée. Il allait ensuite recherché ce qui faisait défaut uploads/Litterature/ christian-morgenstern.pdf
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- Publié le Oct 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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