COLETTE BECKER LA FABRIQUE DES ROUGON-MACQUART1 [Bien que cet article ne porte

COLETTE BECKER LA FABRIQUE DES ROUGON-MACQUART1 [Bien que cet article ne porte pas sur Mirbeau, il nous a semblé qu’il avait néanmoins toute sa place dans nos Cahiers, ne serait-ce que pour mettre en évidence la différence de méthode, dans l’élaboration romanesque, entre Mirbeau et Zola, dont Colette Becker est une éminente spécialiste. Nous la remercions bien vivement de nous avoir offert cette précieuse synthèse. P. M.] Depuis ses premiers écrits, lettres, articles, projets de poèmes ou de pièces de théâtre, Zola aime réfléchir la plume à la main. Cette pratique devient habitude à partir de 1867-1868, lorsqu’il songe à écrire une vaste fresque qui concurrencerait la Comédie humaine de son maître et modèle, Balzac. Il a ainsi rédigé environ 10 000 folios de notes préparatoires aux Rougon-Macquart, qui sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France, département des Manuscrits, Nouvelles Acquisitions Françaises. Ils font l’objet de cette édition. Zola a procédé de la même manière pour Les Trois Villes, 4233 folios conservés à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence, et pour les Évangiles, 3158 folios conservés avec les notes pour les Rougon-Macquart. Une partie du dossier du Docteur Pascal se trouve en Suisse, à la Bibliothèque Bodmer, à Cologny. Ces textes sont en très grande partie inédits. Un seul dossier, celui de Germinal, a été publié dans son intégralité2. Pour les autres, on n’en trouve que des extraits dans les diverses éditions des œuvres3. Henri Mitterand a, par ailleurs, donné sous le titre Carnets d’enquête, une grande partie des notes prises sur le terrain par Zola4. Ce dernier, en effet, n’a jamais édité ce travail préparatoire. À la différence de ce qu’a fait Victor Hugo, pour ce qu’on trouverait de lui à sa mort, il n’a pas légué ses dossiers à la Bibliothèque Nationale. C’est son épouse, Alexandrine, qui a pris cette initiative après sa mort. Mais, le soin avec lequel il les a conservés, le fait qu’il les ait souvent évoqués devant des amis ou des journalistes, qu’il en ait recopié certains folios pour les donner à des correspondants privilégiés comme le critique Jacques Van Santen Kolff, qu’il ait laissé publier, en 1884, par Jules Lermina, dans son Dictionnaire universel et illustré, biographique et bibliographique de la France contemporaine, les premiers plans et l’arbre généalogique donnés à l’éditeur Lacroix en 1868, qu’il ait, aussi, approuvé le passage en vente publique, le 16 janvier 1890, lors de la 1 Voir l’édition des dossiers préparatoires par Colette Becker et Véronique Lavielle, fac-similés et transcription diplomatique, préfaces, descriptifs, sources, lettres de Zola, etc., Paris, Honoré Champion éditeur. Trois volumes parus : - T. I : Notes générales (B.N.F., Ms, NAF10 345), dossiers de La Fortune des Rougon (NAF 10 303, La Curée (NAF 10 282), Le Ventre de Paris (NAF 10 338), - T. II : La Conquête de Plassans (NAF 10 280), La Faute de l’abbé Mouret (NAF 10 295), Son Excellence Eugène Rougon (NAF 10 292), L’Assommoir (NAF 10 271), - T. III : Une page d’amour (NAF 10 318), Nana (NAF 10 313), Pot-Bouille (NAF 10 321). 2 Émile Zola, La Fabrique de Germinal. Dossier préparatoire de l’œuvre. Texte établi, présenté, annoté par Colette Becker, SEDES, 1986. 3 Voir, en particulier, les éditions des Rougon-Macquart dans La Pléiade et dans la collection « Bouquins » (Robert Laffont). 4 « Terre humaine », Plon, 1986. 1 dispersion de la collection de Louis Ulbach, d’un manuscrit de 56 pages intitulé « Une histoire d’amour »1, montre le grand intérêt qu’il leur portait. Paul Alexis, son premier biographe, consacre, en effet, le chapitre IX de son Émile Zola. Notes d’un ami2 à la « méthode de travail » du romancier, en reprenant ce que celui-ci lui avait confié et ce qu’il avait expliqué, peu auparavant, à Edmondo de Amicis, qui le rapporte dans ses Souvenirs de Paris et de Londres3. En montrant ses dossiers préparatoires, Zola voulait, en effet, répondre aux critiques qu’on ne cessait de lui faire, en donnant de lui l’image d’un romancier sérieux, ne se contentant pas d’une documentation hâtive et superficielle, travaillant avec logique et méthode, s’appuyant sur les dernières découvertes scientifiques et visant à la vérité, souhaitant, en un mot, imposer une esthétique nouvelle opposée aux formes romanesques à la mode : roman romanesque, roman « honnête », roman-feuilleton. C’est, du moins, la vision qu’il a voulu imposer et, qu’après lui, on reprend très souvent, alors qu’elle est loin de correspondre à la réalité, comme on le verra à la lecture de ses dossiers. Les notes générales (Ms, NAF 10 345) On trouvera, d’abord, dans cette édition, les réflexions générales faites par Zola, au fil de la plume, sur la manière de concevoir la fresque projetée. Ces notes, comme celles qui suivent, révèlent un trait dominant du caractère de l’écrivain et de sa manière d’écrire: le soliloque avec lui-même, le besoin de se barder de théories et de consignes, qui tiennent sûrement moins à une conception du roman qu’à des zones profondes du moi, zones de doute, d’angoisse, de faiblesse. N’avoue-t-il pas à Albert Wolff le 23 décembre 1878 : Je passe des semaines à me croire idiot et à vouloir déchirer mes manuscrits. Il n’y a pas un garçon plus ravagé que moi par le doute de lui-même. Je ne travaille que dans la fièvre, avec la continuelle terreur de ne pas me satisfaire. Doute, tourment qui reviennent en leitmotiv dans la correspondance et que l’écrivain Sandoz, son double, exprime dans L’Œuvre. Les notes rassemblées sous la cote NAF 10 345 sont l’aboutissement des réflexions menées par Zola depuis 1860 dans ses lettres, dans des dizaines d’articles sur le roman, le théâtre, la peinture, et d’une déjà longue pratique de l’écriture. Outre ses nombreux articles, il a composé des contes, cinq romans et il s’est essayé au théâtre. Elles constituent une mise au point, à la fois retour sur le passé, sur les œuvres déjà écrites, en particulier Thérèse Raquin et Madeleine Férat, sur les critiques et les conseils reçus de Sainte-Beuve et Taine, et projection vers l’avenir. Zola définit son projet par rapport aux modèles qu’il s’est choisis : Balzac, Stendhal, Flaubert, les Goncourt, auxquels il se réfère nommément pour faire entendre une voix originale et se frayer une voie personnelle. Il est difficile de savoir exactement l’ordre dans lequel ces folios ont été écrits. Ce n’est certainement pas, pour ce manuscrit comme pour les autres, celui dans lequel nous les publions, qui est l’ordre dans lequel ils ont été numérotés et reliés par les soins de la Bibliothèque Nationale lorsqu’elle les a reçus en dépôt. Si nous reprenons cette numérotation, qui n’est ni zolienne ni génétique, c’est parce qu’on a pris l’habitude de la suivre depuis qu’on fait allusion aux dossiers. Au lecteur de s’essayer à rétablir la genèse des œuvres. La Fabrique de Germinal comme l’édition des Rougon-Macquart de la Pléiade proposent un ordre plus conforme à la conception, mais qui n’est pas totalement sûr; la découverte d’un 1 Nouvelle parue dans Le Figaro du 24 décembre 1866 sous le titre « Un mariage d’amour » et qui est à l’origine de Thérèse Raquin. 2 Charpentier, 1882. Ce témoignage, très sûrement nourri et revu par Zola, dont Alexis fut un des intimes, vient d’être réédité par les soins de René-Pierre Colin aux Éditions Du Lérot, 2001. 3 Traduit de l’italien par Mme J. Colomb, Hachette, 1880. Sur Zola, voir les pages 162-220. On trouvera le chapitre IX d’Alexis, intitulé « Méthode de travail » dans La Fabrique de Germinal, op. cit., pp. 18-25. 2 document nouveau peut, en effet, venir bouleverser l’hypothèse faite à partir de ce qui est conservé et qui, assurément, ne constitue pas la totalité du matériel de la genèse. Toute reconstruction génétique reste en effet, pour cela, hypothétique. Par ailleurs, Zola a mené parallèlement plusieurs étapes de sa genèse, qui restent notées sur le même folio : ainsi les ajouts qui suivent chaque premier plan ne viennent, chronologiquement, qu’une fois tous les premiers plans mis en place et qu’une fois relues toutes les notes rassemblées. Il est possible, dans un article, de faire apparaître ces strates en décortiquant les folios et en rappelant toujours ce que l’opération a d’hypothétique, mais pas dans une édition telle que celle que nous entreprenons, qui vise à donner aux chercheurs des matériaux. Zola a probablement commencé par rédiger les « Différences entre Balzac et moi » qui, de toute évidence, sont le fruit de la relecture qu’il fait, en 1867, de Balzac, à l’occasion de la sortie de l’édition Michel-Lévy. Le 29 mai, il précise à Anthony Valabrègue : Avez-vous lu tout Balzac? Quel homme ! Je le relis en ce moment. Il écrase tout le siècle. Victor Hugo et les autres – pour moi – s’effacent. Et il ajoute : « Je médite un volume sur Balzac, une grande étude, une sorte de roman réel. » On peut penser que, à la suite de cette relecture de la Comédie humaine présentant une société composée de sphères diverses, Zola a établi la grille du uploads/Litterature/ colette-becker-la-fabrique-des-quot-rougon-macquart-quot.pdf

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