Caïn et Abel ou La Faute de Caïn Genèse 4, 1-16 Le nom de Caïn n’est jamais inv

Caïn et Abel ou La Faute de Caïn Genèse 4, 1-16 Le nom de Caïn n’est jamais invoqué. Comment donner à un enfant un tel patronyme ? Qui oserait infliger à son fils de porter le nom du premier des meurtriers ? Personne, assurément. Un nom maudit. C’est cela, que l’Écriture a prophétisé devant le geste fatal de Caïn : « Te voilà maudit par la terre ! » (Gn 4, 11). Cruelle annonce d’un lynchage universel. Mais rien n’est plus vrai que cette prophétie : l’humanité entière a condamné Caïn. Alors que Dieu n’en a rien fait, prenant au contraire sa défense : Et Yhwh mit un signe à Caïn, pour quiconque le trouvant, de ne pas l’attaquer (Gn 4, 15). Peine perdue ! Nous condamnons Caïn sans appel, sans l’avoir entendu. Reconnaissons que nous avons, avec ce lointain bouc émissaire incapable de protester, un alibi commode : c’est de sa faute si les hommes s’entretuent ! Pourtant, Dieu l’avait bien prévenu, que s’il n’agissait pas bien « la faute était tapie à sa porte ». Toutes nos bibles le disent ! (Gn 4, 7). Que n’a-t-il écouté la leçon du Ciel, au lieu de se laisser aller à la jalousie et à la colère ! Lisons-nous correctement la Bible en raisonnant ainsi ? En quoi consistait donc la faute de Caïn ? Pour un premier humain, sans culture, sans morale donc, que pouvait signifier le geste de tuer son frère ? Ce n’était pas une faute : il n’y avait aucune loi pour empêcher le meurtre. La culture venait à peine de naître, avec l’homme ; culture agraire, sans doute agreste, que Caïn pratiquait d’ailleurs plus volontiers que son frère Abel, mais déjà culture munie d’une loi pour cette humanité naissante, un code de conduite adapté à son âge mental : Tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. C’est donc ainsi, par rapport à cette loi et à elle seule, qu’il convient, en toute justice, d’instruire le procès en appel de notre ancêtre présumé meurtrier. Qui est Caïn Notre ancêtre ? Est-ce bien certain ? Commençons par asseoir l’identité de l’accusé. Caïn est le premier homme engendré, né d’une femme : Ève. Son père, ou plutôt son géniteur, n’était pas, lui, né d’une femme : créé, il n’a pas été engendré. Il faut bien commencer quelque part, et c’est avec Caïn que tout commence, que l’humanité s’éveille à l’apprentissage de la vie humaine. Alors que Adam, fraîchement pétri de l’argile adamah, était encore toute la « pâte humaine » en devenir, mais rien que des promesses, Caïn, de son nom « pointe forgée », premier homme engendré, ouvrait pour nous la route de l’expérience. Caïn est le « fer de lance » de l’humanité en partance pour la maîtrise du monde. Son statut de premier-né ne fait aucun doute ; mais cette position de chef de file a-t-elle été suivie d’une longue descendance d’héritiers ? La fin du chapitre 4 de la Genèse donne des noms, esquisse un embryon d’histoire qui peut le donner à penser. Mais ces engendrements n’appartiennent pas à l’Histoire. Dans la Bible, l’histoire est datée exclusivement au moyen de l’âge des hommes à leur mort et de celui de leur père à leur naissance. C’est vrai pour Seth, le « troisième » fils, engendré par Adam alors âgé de cent-trente ans (Gn 5, 3) ; c’était déjà en partie vrai pour Adam lui-même, certes né d’un préhominien anonyme, mais mort en homme à neuf cent trente ans (Gn 5, 5) ; ce n’est vrai ni pour Caïn, ni pour aucun de ses descendants : ne sont mentionnés ni l’âge du père à leur naissance ni la durée de leur vie ; leur mort même n’est pas mentionnée. Ainsi, puisque l’histoire ne commence qu’avec la mémoire de la vie des hommes, on doit reconnaître que ni Caïn ni sa descendance n’appartiennent à l’histoire biblique. Exception faite de la filiation entre Adam et Seth, qui ouvre l’Histoire au chapitre 5 de la Genèse, tous les noms mentionnés auparavant, Caïn et sa descendance — Abel aussi, pour les mêmes raisons —, sont des noms de figures mythiques qui ne correspondent à aucun personnage historique. Cela ne signifie nullement que ces personnages n’aient pas eu de réalité physique ; la Bible les tient non seulement pour réels mais encore pour humains, qui portent un nom comme les autres hommes. Cela signifie que, contrairement à Adam et Seth qui appartiennent à l’Histoire, Caïn et Abel sont restés dans la Préhistoire. Avec eux, la Bible ne nous expose aucun fait historique : elle dit une parabole. Elle nous livre la philosophie qui va nous ouvrir au difficile passage de la vie animale à la vie humaine, ce passage de l’évolution que chaque homme doit franchir sur les traces laissées par les aînés de son espèce. De Caïn, « fer de lance » qui ouvre la voie de l’humanité, fils aîné du Ciel offert en sacrifice pour notre salut, l’Écriture affirme la qualité d’homme, dès sa naissance : son humanité est reconnue par Ève, sa mère et la mère de tout vivant. C’est maintenant la relation de cet homme avec Dieu et avec son frère qui va retenir toute notre attention dans l’examen des faits. L’épreuve Ce qui arrive à Caïn est proprement inouï. Il ne peut rien comprendre, et de fait, il ne comprend rien. L’homme, nouvellement créé, est libre d’agir comme bon lui semble, sans autre loi restrictive que cet avertissement : ne pas manger de “ l’arbre de la connaissance du bon et du mauvais ” sous peine de mort. Dieu l’a placé dans le jardin pour cultiver (servir, ’abad) la terre (adamah) (Gn 2, 15), ce dont Caïn a fait sa profession même. Caïn a donc tout lieu d’être serein lorsque sonne l’heure du jugement de Dieu. Car c’est bien un jugement auquel nous allons assister à l’issue de ce temps (verset 3), comme il y a jugement à l’issue du déluge (Gn 8, 6), à l’issue de l’emprisonnement de Joseph (Gn 41, 1), à l’issue de l’esclavage des Hébreux en Égypte (Ex 12, 41), etc. Ce jugement est la toute première illustration du sens de notre vie d’homme : un temps d’épreuve, qui s’achève sur une confrontation avec Dieu. Si Caïn a tout lieu d’être serein, il ne l’est pas : il offre ses fruits à une divinité qui ne lui a rien demandé. Maladie endémique de l’homme : Abel n’en fait-il pas autant ? Maladie qui sévit tout au long de la Bible et qui rendra nécessaires des mises au point divines : Est-ce que je mange la chair des taureaux ? Est-ce que je bois le sang des boucs ? Offre pour sacrifice à Dieu des actions de grâces, Et accomplis tes voeux envers le Très-Haut (Ps 50, 13-14). Mais nous n’en sommes pas encore là, et quelles qu’en soient les raisons, l’offrande que Caïn fait à Dieu n’est pas agréée. Avant de rechercher pourquoi, ce que nous ferons plus loin, il sera bon de nous mettre à la place de Caïn, comme celui qui ne comprend pas ce qui lui arrive, pourquoi ce qu’il fait ne plaît pas à Dieu — alors que son frère est agréé, lui qui ne fait pourtant rien de mieux en apparence, au contraire. À l’issue des versets 3, 4 et 5, nous sommes avec lui. Caïn suivait les instructions divines connues à ce jour, aussi sommes-nous choqués par ce qui nous apparaît comme « l’arbitraire de Dieu », qui choisit Abel et repousse son frère aîné sans explication. Nous partageons sa déconvenue, nous comprenons sa colère. Mais avons-nous assez de foi pour croire, au-delà de l’incompréhensible, que Dieu agit par amour pour Caïn et non par brimade arbitraire ? Caïn, c’est certain, n’a pas cette foi. Comme un enfant que son père corrige, il se croit mal aimé, et le dépit, la colère, lui font perdre tous ses moyens ; que pourrait-il entendre, dans un tel état ? C’est pourquoi, comme un père à l’écoute de son fils, comprenant son désarroi, YHWH parle à Caïn (verset 6). Et cette initiative consolatrice est déjà preuve d’amour : Dieu vient au secours de l’homme qui se noie. Le remède Que dit Dieu ? En premier lieu, qu’il est bon de supporter ce qui t’arrive, même sans comprendre. Il est bon d’assumer, en dépit du sentiment mauvais que tu éprouves devant cet événement inconnu, soudain et douloureux : l’échec. L’homme naissant, que son innocence avait habitué à tout obtenir de Dieu sans effort, a vu tout à coup le sol se dérober sous ses pieds. Un vide vertigineux s’est ouvert en lui, arrachant une part de sa propre substance : Dieu s’est soudain retiré dans l’absence. Et il faudrait accepter comme bon ce vide qui fait tellement mal ? Comment boire une potion amère aussi redoutable ? Dieu, cependant, n’abandonne pas ainsi son blessé. Il lui décrit maintenant le chemin de sa guérison. uploads/Litterature/ commentaires-genese-4-1-16-hebrascriptur.pdf

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