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EHESS FRAL SANTIAGO ROBLEDO PÁEZ COMPTE RENDU: GRUZINSKI, Serge. 2008 Quelle heure est-il là-bas ?: Amérique et islam à l’orée des temps modernes , Paris, Éd. du Seuil. Serge Gruzinski, directeur de recherche au CNRS et directeur d´études à l´Ehess, au long de sa carrière s ´est principalement dédié à l´étude des sociétés ibéro-américaines de la première modernité et, plus récemment, a l´analyse de la « mondialisation » des XVIe et XVIIe siècles. Avec le développement de son argumentation dans Quelle heure est-il là-bas ?, Gruzinski s’interroge sur l´apparition et le développement d´une « conscience- monde » dans la conjoncture de cette première modernité. Ce sujet est travaillé soigneusement en utilisant des approches de type micro et « meso » historiques1 sur les neuf chapitres, ainsi que dans l´introduction et la conclusion, qui composent le texte. Quelle heure est-il là-bas? Est plus qu’un livre répondant aux critères et aux attentes auxquels devrait répondre un écrit professionnel d’historien, en effet, l´appareil critique modéré ainsi que la rédaction agile et accessible font de cet ouvrage une lecture qui peut s’adresser aussi aux non spécialistes. L´auteur réalise une étude focalisée sur deux sources : le Tarih-i Hind-i garbi (« Histoire de l´Inde de l ´ouest ») et le Repertorio de los tiempos. Le premier document est une chronique qui traite de la conquête espagnole de l´Amérique, écrite vers 1580 à Istanbul par un auteur inconnu; le second, rédigé par Heinrich Martin au Mexique et publié en 1606, est une œuvre de portée encyclopédique dans laquelle quelques chapitres sont consacrés à l´histoire et la « géopolitique » de l´Empire Ottoman. Bien que d’emblée ces deux sources n´aient pas un rapport direct entre elles, à l’instar de la Turquie et la Nouvelle-Espagne à cette époque, une lecture de l ´ensemble permet d´entrevoir l´émergence d´un intérêt pour l´autre, à la fois dans le milieu turc/islamique et dans le contexte ibérique/américain. Que l´écrivain anonyme d´Istanbul réagisse si fortement face à l´inaccessibilité de l´Amérique pour l´Islam et à l´incapacité du savoir islamique de saisir le nouveau monde, ou le fait que Martin introduise l´histoire ottomane comme support de la lecture astrologique qu´il fait de l´Histoire et l´avenir, sont autant de symptômes de la manière dont les quatre parties du monde devenaient une portion de l´imaginaire collectif dans ces deux sociétés2. 1 Terme utilisé par BERTRAND, Romain., 2010, “Histoire Globale, histoire connectée”, en C. Delacroix, et al. (eds.), Historiographies: concepts et débats I, Paris, Gallimard, p. 374. 2 Même si l´analyse de la participation à cette « conscience-monde » des sociétés africaines et d ´autres parties d´Asie n´est pas très extensive, elle est énoncée. Sur la base de sa lecture du Tari-i Hind-i et du Repertorio, Gruzinski soutient que la relation, même indirecte et interposée, qu´entretenaient ces deux sociétés avait comme axe l´intérêt pour l´autre. Bien que la curiosité pour les autres sociétés n´ai pas été la preuve d´une cosmovision tolérante, la réalité se révélant toujours moins généreuse, la figure de l´autre, ou des autres, faisait partie intégrale de l´appareil discursif que les sociétés utilisaient pour organiser leurs mondes. Par exemple, même si la présence des populations islamiques en Amérique était négligeable, le musulman diabolisé fut une partie constitutive non négligeable de la vision métisse du monde qui se construisait dans les domaines américains de la Monarchie Catholique. Même si l´objet d´enquête proposé par l´auteur, et donc le type des questions qu´il pose à ses sources, a une portée globale, en principe, il ne recourt pas aux généralisations totalisantes comme moyen explicatif. Précédemment il a été mentionné que le noyau de l´argumentation de Gruzinski suivait le travail herméneutique fait sur deux textes spécifiques, situation qui influe sur le développement de ce noyau. Une partie fondamentale de l´effort de contextualisation des textes est l´enquête biographique de ses producteurs, indubitablement spéculative dans le cas de l´anonyme turc. La perspective biographique permet cependant à Gruzinski d´introduire ses lecteurs à un niveau différent de sa réflexion, celui qui concerne « l´outillage mental » des sujets, d´extraction musulmane et européenne, particulièrement soucieux des questions historiques et géographiques, et participants des moyens « savants » de ses sociétés respectives. Gruzinski met ainsi en évidence la manière dont le substrat classique gréco-latin des savoirs des mondes chrétiens et islamiques avait conduit à l´établissement de conceptions du monde qui, bien que divergentes, n’étaient pas totalement incompatibles3. L´intérêt pour l´autre qui commençait à se manifester dans l´œuvre des historiens, géographes, et les autres lettrés de cette période aurait été le produit tant des préoccupations assez prosaïques sur la richesse et les possibilités de commerce avec des terres et nations des distantes, que d´une vraie volonté de savoir. Les réseaux d ´échanges des connaissances géographiques et historiques établis à ce moment franchirent les frontières des états, des langues et des religions. Il est surprenant de constater que grâce aux intermédiaires italiens les œuvres des chroniqueurs des Indes espagnoles devenaient accessibles pour les lecteurs ottomans, ou comment l´atlas d ´Ortelius contribua à générer une « conscience-monde » au milieu d´un public multiconfessionnel. Mexico et Istanbul étaient des points privilégiés de ces réseaux d´échange, car les deux villes fonctionnaient comme lieux de rencontre entre différentes sociétés. 3 À propos des risques inhérents à l'utilisation sans discernement des concepts tels que «incommensurabilité culturelle », voire SUBRAHMANYAM Sanjay., 2007, “Par-delà l’incommensurabilité: pour une histoire connectée des empires aux temps modernes”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 5, pp. 34–53. La problématique traitée dans le cadre de la première modernité, l´utilisation des différentes échelles d ´analyse et l´effort de lecture attentif des sources, permettent de placer Quelle heure est-il là-bas? Comme participant d’une des alternatives historiographiques nées dans le champ de la world/global history : « l´histoire connectée ». Dans un compte rendu de Gruzinski sur le livre Histoire du monde au XVe siècle, ouvrage collectif dirigé par Patrick Boucheron, il fait référence au procédé historiographique qui caractérise le livre dont traite la présente fiche de lecture : « On peut également faire le choix de l’histoire globale en adoptant des angles encore peu fréquentés des historiens. Ainsi, lire la découverte et la conquête du Nouveau Monde depuis Istanbul ne balaie ni nos clichés ni nos réflexes d’historiens européens, mais l’exercice nous contraint à faire “un pas de côté “ en nous distanciant à la fois de l’Europe et du Nouveau Monde, comme nous l’avons tenté dans un ouvrage récent »4. Le « pas de côté » est l´analogie énoncée par Sanjay Subrahmanyan, qui a aussi proposé la notion «d ´histoire connectée », pour décrire la méthode à suivre par les adeptes de cette pratique historiographique5. L´histoire connectée, plutôt qu´un courant dans le champ de l´histoire globale, est un « plaidoyer en faveur d´un dispositif pratique de recherche » 6. Apparue dans la dernière décennie du XXe siècle, c´est un type de pratique d´écriture de l´histoire constituée comme réaction envers l´eurocentrisme, ou « occidentalocentrisme », qui a caractérisé une grande partie des ouvrages rédigés depuis la perspective de l ´histoire globale. Comme l´a exprimé l´historien Indien Sanjay Subrahmanyam, ses partisans chercheraient la rupture avec des cadres d´analyse d´échelle nationale et impériale qui avaient été dominants dans la recherche historiques, afin de mettre en évidence les interactions entre les dynamiques « micro » et « macro » qui se développent à l´intérieur et entre les diverses sociétés7. Dans la pratique, l´histoire connectée n´envisage pas simplement l´observation des objets de l´historiographie traditionnelle en partant d’échelles différentes, elle se propose de donner le « pas de côté » de sorte qu´il soit possible de questionner le passé de manières inattendues et diverses. Cette approche a été celle de Gruzinski dans Quelle heure est-il là-bas? Cet ouvrage donne un éclairage nouveau sur le processus de formation de la « conscience-monde » en mettant à jour des relations inattendues entre les contextes américain et musulman. Sans être un spécialiste de l ´Islam et de l´Empire Ottoman, situation manifeste dans le fait que l’étude sur le texte mexicain tend à être plus riche, Gruzinski a pu établir une argumentation assez cohérente pour être convaincante au sujet de son hypothèse sur l´émergence pendant la première modernité d´une « conscience-monde » au milieu des sociétés étudiées. Pour 4 GRUZINSKI, Serge., 2011, « Faire de l’histoire dans un monde globalisé », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol.66, p. 1090. 5 DOUKI, Caroline., MINARD, Philippe., 2007, « Histoire globale, histoires connectées: un changement d’échelle historiographique? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007, No. 5, p. 20. 6 BERTRAND, R., 2010, p. 372. 7 DOUKI, Caroline., MINARD, Philippe, ibid. résumer, nous pouvons dire que la spécificité de l'ouvrage réside dans l´expansion du cadre géographique d´étude, l´utilisation des échelles d´analyse micro et mesohistoriques, une lecture approfondie des sources et l´utilisation d ´un style littéraire agréable. L´histoire connectée est une des alternatives qui a surgie du champ historiographique qui ont pour but la réalisation d´un questionnement critique des métarécits propres à la « modernité occidentale ». Cependant, l ´histoire connectée s´est maintenue aux frontières de la pratique historique professionnelle tel qu´elle est conçue aujourd’hui et en opposition aux uploads/Litterature/ compte-rendu-corrigee 1 .pdf

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