22/2/22, 12:56 Conférence de Laurent Kloetzer https://journals.openedition.org/
22/2/22, 12:56 Conférence de Laurent Kloetzer https://journals.openedition.org/resf/823 1/6 ReS Futurae Revue d’études sur la science-fiction 7 | 2016 Le présent et ses doubles Entretien Conférence de Laurent Kloetzer Laurent Kloetzer https://doi.org/10.4000/resf.823 Résumé Texte remanié d’une conférence sur l’écriture de romans de science-fiction. Notes de la rédaction Lors des journées d’étude « Le présent et ses doubles », les deux organisateurs (Simon Bréan et Irène Langlet) proposèrent l’étude d’une œuvre résolument double et présente : celle de L.L. KLoetzer, jeune écrivain-e formé-e de Laure et Laurent Kloetzer, époux à la ville. Si Laurent Kloetzer publie régulièrement, depuis 1997, une œuvre romanesque de fantasy (par exemple Le Royaume blessé, 2006) et de science-fiction (par exemple Réminiscences, 2002), l’auteur-e composé-e n’a signé que deux romans : CLEER (2010) et Anamnèse de Lady Star (2013), qui formulent un présentisme très original et où la dualité anime tout autant les thématiques que les voix narratives, les affiliations génériques, le partage entre fait et fiction, le paratexte verbal ou graphique. (L’une des rosaces dessinées pour l’étonnante couverture du livre CLEER, signée par Daylon, a d’ailleurs servi d’illustration pour l’affiche des journées d’étude et pour ce numéro 7 de ReS Futurae, avec l’aimable autorisation du designer.) Pour d’évidentes raisons de conflit d’intérêt, les auteurs étant tout à la fois les organisateurs de la journée d’étude et membres de la rédaction de ReSF, l’étude de L.L. Kloetzer paraîtra ailleurs ; on peut en lire l’introduction sur le carnet associé à la revue (https://resf.hypotheses.org/3035). Sollicité-e pour tenir la conférence finale des journées « Le présent et ses doubles », l’auteur-e complet-e ne put répondre à l’invitation, mais Laurent Kloetzer y tint une lecture commentée de quelques passages de son oeuvre. Le texte qui suit en est la reformulation comme un entretien, qui synthétise ses remarques et les réponses aux questions qui lui furent posées par son public. Texte intégral Simon Bréan et Irène Langlet m’ont amené à intervenir à la fin de la journée d’études « le présent et ses doubles », durant laquelle a été longuement évoqué le travail de L.L. Kloetzer, sur lequel je vais me permettre de revenir un peu dans le texte qui suit. 1 22/2/22, 12:56 Conférence de Laurent Kloetzer https://journals.openedition.org/resf/823 2/6 Du présent de la Présence Réelle Au commencement, je n’avais qu’une seule voix. Contrairement à mon co-auteur, je n’ai pas de formation universitaire et je ne me suis jamais senti à l’aise dans le maniement des concepts et des idées. Le texte qui suit, en partie improvisé à partir de titres de chapitres préparés et conçus comme des tweets, est donc à prendre pour ce qu’il est, une forme de pensée construite à voix haute face à un public bienveillant, enregistrée et retranscrite grâce au travail de Simon Bréan. Quelques adaptations et précisions ont été apportées au texte pour rendre plus clair et plus précis ce qui m’a paru obscur à la relecture. 2 L’écriture est un acte intime dont il est difficile de parler. La construction d’un récit est celle d’un subtil mensonge tendant à la vérité. Le discours que je tiens ci-dessous n’échappe pas à cette règle : le narrateur est humain comme vous, il veut paraître à son avantage et il n’est pas très fiable. 3 « J’ai commencé par regarder le sens d’Anamnèse dans le dictionnaire » : beaucoup de comptes rendus de lecture du roman commencent par cette phrase. Le roman aurait aussi pu s’appeler « Présence Réelle ». Anamnèse, comme Présence Réelle sont des idées issues de la religion catholique. 4 « Présence réelle » renvoie au concept théologique selon lequel le Christ est présent dans l’hostie. Si le Christ est présent dans l’hostie consacrée, alors on doit montrer à ce petit morceau de pain la même révérence qu’à Dieu incarné sur la Terre. Les divergences sur ce point de doctrine ont fait les belles heures des disputes théologiques entre catholiques et protestants au xvie siècle. À quel point pouvons-nous rendre présent quelqu’un qui se caractérise par son absence ? 5 L’anamnèse est un concept liturgique (il s’agit du moment où le célébrant raconte les gestes et paroles du Christ durant le repas eucharistique : « Prenez, et mangez-en tous, ceci est mon corps… ») que j’ai saisi, curieusement, à la lecture de SIVA, de Philip K. Dick. Au moment où Horselover Fat, le narrateur, procède à une anamnèse christique à l’aide d’un bol de chocolat et d’un pain à hotdog, il fournit la plus belle explication de ce dont il s’agit. L’Anamnèse de Lady Star est un titre programmatique : tentons par l’évocation de produire la présence réelle d’un personnage. 6 Le titre de la journée d’études « Le présent et ses doubles » m’a immédiatement fait penser à « écrire au présent ». C’est un choix d’écrivain apparemment trivial : écrire au présent, au passé simple, pourquoi pas au futur. Au commencement, je n’avais qu’une seule voix, parce que - au début de mon activité d’écriture - je considérais qu’un récit se faisait nécessairement au passé simple, avec une narration à la troisième personne et une focalisation un peu extérieure : « Il dégaina son épée, le coinça dans une ruelle sombre et la lui planta entre les côtes. » Voilà ce que je savais faire ; puis j’ai eu une révélation. 7 Un soir, alors que j’attendais un coup de fil important, j’ai commencé à écrire une histoire au présent : « Je marche dans la rue, tout seul, des ombres derrière moi. Je commence à flipper sérieusement. » Avec l’écriture au présent, avec ce niveau de langage, j’ai trouvé une autre voix : une révélation pour l’apprenti romancier que j’étais. Je suis passé de la narration distanciée, la voix du maître de jeu de jeu de rôles, à la voix de « Monsieur K. ». C’est la voix de Réminiscences 2012. Un écrivain, par son travail, se fabrique des voix, au présent, au passé simple, d’autres encore : une autre des voix qui a vraiment apporté du nouveau, c’est celle du terroriste dans « Trois singes » ; une voix que je ne suis pas sûr d’accepter de porter. Une lecture en public de ce texte m’a mis 8 22/2/22, 12:56 Conférence de Laurent Kloetzer https://journals.openedition.org/resf/823 3/6 Nous nous nourrissons de notre vie En guise de parenthèse : Pourquoi les histoires de Conan le barbare écrites très mal à l’aise : assumer personnellement la voix du terroriste m’a été très désagréable. L’écriture collective a apporté d’autres voix, d’autres possibilités, d’autres légitimités de voix. Pour moi, l’écriture au présent montre une histoire en train de se faire. Le point de vue du passé simple est rétrospectif, et l’inquiétude éprouvée devant les difficultés des personnages n’est pas essentielle. L’écriture au présent nous fait avancer sur la ligne de front avec le personnage, et on ignore dans quelle direction le récit nous porte. Impossible de se rassurer en se disant que le narrateur survit aux aventures. 9 Le présent est aussi la présence de l’auteur, qui nourrit l’œuvre. Dans toute démarche artistique, la vie de l’auteur, ce qu’il porte en lui, infuse le travail créatif, fournit un carburant, ou du matériau. Pour sonner juste, il faut parler de ce qu’on connaît, par expérience personnelle. Au départ, le ratio entre expérience et écriture facilite les choses : tant qu’on n’a pas beaucoup écrit, on livre ce qu’on a dans le ventre. Puis, il devient nécessaire de creuser un peu plus loin, dans la mesure où le plus évident, le plus accessible, a déjà été porté à la lumière. 10 En ce qui me concerne, les textes sont tous autobiographiques en un sens ou un autre. Ils sont nourris de ce que j’ai vécu – peu de choses – de ce que j’ai lu – qui est un peu plus conséquent – de ce que j’ai joué aussi – les histoires inventées en jeu de rôles, avec des amis et ma femme, expérience vécue qui nourrit aussi le travail. Mémoire vagabonde et La Voie du cygne sont des romans issus de ce que j’avais accumulé à l’adolescence, soit pas grand-chose. Le Royaume blessé est nourri de mon autobiographie littéraire, la somme de mes lectures. On pourrait ajouter un livre qui n’existe pas, que je n’ai pas écrit et qui se serait appelé : Et maintenant. Après Le Royaume blessé, j’ai senti que j’étais arrivé au bout de ce que j’étais capable de tirer de la fantasy. J’ai commencé un projet inspiré par ma femme, par son travail d’ethnographe, au plus près de ce que les gens disent et vivent. J’ai voulu parler du monde et du présent. Et maintenant n’a existé que sous la forme de bribes, je n’ai jamais pu le commencer réellement. 11 Finalement, le livre qui est sorti de ces tâtonnements et de ce regard sur le monde est CLEER. Laure et moi avons cherché la bonne voix, avant de saisir les voix de Vinh et de Charlotte. CLEER est un livre au présent, qui se nourrit du monde, de ce que nous avons uploads/Litterature/ conference-de-laurent-kloetzer.pdf
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- Publié le Jan 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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