En quoi le texte littéraire est-il toujours un dialogue entre soi et un autre?C
En quoi le texte littéraire est-il toujours un dialogue entre soi et un autre?Corrigé de l’essai littéraire de bac blanc. Introduction, problématisation • La littérature donne lieu à de nombreuses définitions, de Voltaire à Sartre (Qu’est-ce que la littérature?) en passant par Roland Barthes, d’Adorno à Antoine Compagnon en passant par Todorov, les épistémologues et théoriciens de la chose littéraire ne manquent pas. Les auteurs euxx-mêmes ne manquent pas de définir et redéfinir sans cesse la littérature (chaque discours de Stockholm les y invite d’ailleurs) , preuve que la question ne va pas de soi. • Poser le texte littéraire comme un dialogue ne va pas de soi, demande à être vérifié, et engage de nouveauxx questionnements en cascade: Qui dialogue avec qui? Le texte veut -il dialoguer? Si oui, quels sont ses moyens? Enfin quels sont les enjeuxx et résultats d’un tel dialogue? Tout texte veut-il dialoguer? Première partie Tout texte littéraire veut-il dialoguer? • Tous les textes ne demandent pas à dialoguer avec un interlocuteur explicite : les textes à vocation privée, les journauxx intimes, pas forcément destinés à être publiés n’ont pas d’interlocuteur désigné. Ils ne rentrent pas dans la situation énonciative d’un dialogue. De même, une page de Journal (a priori écrite pour soi) ou une chronique, des Mémoires par exemple, n’appellent pas explicitement à une réaction. CHATEAUBRIAND (qui pourtant souhaitait que son récit fût publié à titre posthume) ne demande pas à ce qu’on réagisse systématiquement? à chaque épisode: la mention, purement factuelle, de la naissance des frères et des sœurs réclame–t-elle en effet vraiment quelque commentaire? • De même, les textes absurdes (comme le mot « absurde » le suggère) mettent en scène des dialogues de sourds, ce qui dans la comédie (principe du quiproquo) peut s’avérer tout à fait fructueuxx en revanche (cf. chez MOLIERE ou FEYDEAU). Tout texte sait-il dialoguer? • Un texte aussi inaccessible que celui de RABELAIS, qui invente des mots (chap 19 de Gargantua), mêle plusieurs langues (Chap. 9 de Pantagruel) ou propose des énigmes insolubles (chap. 58 de Gargantua, « l’énigme en prophétie ») bref un texte éprouvant pour le lecteur, au point que MM Fragonard parle d’ « illisible » du texte rabelaisien qui place le lecteur dans un état d’ « incapacité intermittente » dit-elle. • D’autres textes, y compris du théâtre, jouent-ils vraiment le jeu de l’interaction? Que penser des longues didascalies de Fin de partie chez BECKETT ou des tirades presque autonomes (au point qu’on pourrait croire à des monologues juxtaposés) chez Pascal RAMBERT? Comment le texte littéraire peut-il dialoguer avec son lecteur ? Seconde partie Le texte littéraire a les moyens de (faire) dialoguer • Naturellement les textes qui jouent sur l’interaction entre personnages (dans le cadre du discours inséré dans le récit romanesque ou dans le texte théâtral) sont constitués par une énonciation active, interactive voire hyperactive (la stichomythie qu’on trouve particulièrement chez RACINE constituant le point culminant, le plus aigu possible d’un dialogue puisque le vers y résulte d’une co-construction entre deuxx personnage. • Mais aussi le principe même du cadavre exquis des Surréalistes qui repose sur l’échange dialogué entre les participants du jeu. • Le dialogue apporte donc avec le discours jusqu’à l’intrigue elle- même puisque l’enjeu est de « dire seulement dire » . Chez JL LAGARCE, l’histoire se reconstitue au fil des échanges entre personnages au fur et à mesure des répliques et tirades, au contraire des trois monologues (forme déjà artificielle en soi) de la pièce (ouverture, clôture et I, 11) qui sonnent encore plus fauxx. Signe que le dialogue est non seulement utile (instructif, révélateur) mais aussi nécessaire (pour qu’on s’identifie auxx personnages). Le texte littéraire va chercher son lecteur • La ponctuation émotive (dont RIMBAUD par exemple sait particulièrement faire usage) requiert la collaboration active du lecteur qui, dans sa tête ou à haute voix, va faire vivre le texte. • Le texte littéraire sait nous requérir: l’épanorthose (cf. JL LAGARCE) oblige le lecteur à compléter le propos laissé en suspens. Mais aussi le jeu, l’énigme, bref toute littérature ludique chez MAROT, RABELAIS ou les OuLiPiens où la saveur repose sur la part active accomplie par le lecteur. • Le texte littéraire peut réclamer un effort d’imagination: poésie sensorielle de ST JOHN PERSE (Pour fêter une enfance) ou texte descriptif voire spectaculaire qui enclenche notre capacité à le mettre en images, texte cinématographique (ZOLA évidemment, mais aussi à sa façon ROBBE-GRILLET, dans La Jalousie) = dialogue entre l’œuvre et son récepteur. Dialogues omniprésents & invisibles Troisième partie Quand la conversation structure l’œuvre • Le dialogue structure : cas évidemment des dialogues platoniciens, mais aussi la construction de W ou le souvenir d’enfance (deuxx fils narratifs croisés), idem pour le Rouge et le Noir, bâti en deuxx parties (Julien en Province, Julien à Paris, le second répondant au premier), c’est le cas aussi des textes-hommages, tel Meursault contre-enquête qui interpelle l’étranger de Camus. • Voire même des ensembles de livres qui scénarisent des résonances et des rappels : tous les personnages de JL LAGARCE se font écho ou se complètent ; de même le diptyque Hernani / Ruyy Blas pensé d’emblée comme un dialogue par le dramaturge entre l’aube et le crépuscule. • Plusieurs moi de l’écrivain au sein d’une même œuvre: le HUGO du livre premier et celui du livre IV des Contemplations sont peut-être deuxx écrivains différents puisqu’entre les deux, il y a comme dit le poète dans sa préface, « le tombeau ». Le recueil est construit comme un miroir déformant c’est-à-dire un rapport dynamique entre les deuxx. Le dialogue invisible • Enjeuxx de définition, réhabilitation, affirmation de soi Démarches autobiographiques de YOURCENAR, LEIRIS ou même ERNAUX, l’écriture permet de considérer son image, éventuellement de l’accepter voire de s’affirmer en fixant sa propre existence (ERNAUX) = processus de fausse mise à distance de soi (« Cet être que j’appelle moi vient au monde… ») et véritable rencontre avec soi-même, comme cela apparaît très nettement dans le cas de M. LEIRIS qui, dans sa description peu flatteuse de lui-même, se donne de la place, dans l’écriture, peut-être supérieure à celle qu’il a eue dans la vraie vie : celui qui confesse avoir « quelque chose d’assez faible ou d’assez fuyant dans [s]on caractère. Ma tête est plutôt grosse pour mon corps », en même temps l’expose et, par l’écriture littéraire, revient à le légitimer. Conclusion • Plusieurs façons de considérer le dialogue: de façon restrictive, désignant les paroles alternées mais connectées que l’on trouve dans le genre théâtral ou bien de façon plus large, si l’on entend par dialogue l’échange, entre l’auteur et son public, parfois même entre soi et soi. • Le dialogue peut-il aller jusqu’au transfert de compétences et la conversation jusqu’à la délégation, comme en art contemporain, lorsque des plasticiens laissent les spectateurs faire spectacle (Marina Abramovic et sa performance Rhythm 0 ou encore Sophie Calle et sa Suite vénitienne )? En littérature c’estle fantasme du livre écrit par le lecteur, comme les OuLiPiens peuvent en proposer une tentative (le lecteur restant dépendant des propositions de l’auteur). uploads/Litterature/ corrige-bac-blanc-hlp-janvier-2023-litterature.pdf
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- Publié le Apv 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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