Yves Cortez. Le vocabulaire de base des langues romanes n’est pas latin La diff
Yves Cortez. Le vocabulaire de base des langues romanes n’est pas latin La difficulté à comparer les vocabulaires de deux langues, par exemple le latin et l’italien ou l’anglais et l’allemand, peut venir de deux sources. Soit ces langues ont été en contact étroit, du fait de la coexistence de deux peuples sur le même territoire, ou du fait d’une domination politique et militaire d’un peuple sur l’autre, et il a pu en découler denombreux emprunts de vocabulaire. Soit les langues ont la même origine, et c’est le même socle initial qui a engendré les vocabulaires des deux langues. Il est alors difficile de démêler la partie du vocabulaire qui a été empruntée de la partie qui vient de l’origine commune. Ainsi l’anglais et l’allemand sont toutes deux des langues germaniques, et leur ressemblance vient de leur origine commune. Le vocabulaire de base et les emprunts Le vocabulaire des langues romanes est très différent de celui du latin. Pourtant les emprunts au latin ont été si importants qu’ils peuvent cacher cette réalité. Il convient donc d’extraire les mots empruntés pour redécouvrir le vocabulaire originel. Les mots empruntés se caractérisent de deux façons : 1. Ils ont trait à des domaines particuliers caractéristiques d’un état avancé de développement, comme le droit, la philosophie, la théologie… 2. Et ils ont été peu affectés par des transformations phonétiques. En d’autres termes, ils sont presque identiques aux mots de la langue dont ils sont issus. Je donne dans les tableaux suivants la traduction en français d’adjectifs et de noms du vocabulaire latin, qui met en évidence la très grande ressemblance entre des mots français et des mots latins. Les différences ne portent que sur la terminaison des mots. À la lecture de ces listes de mots, se vérifient deux faits : ·Ces mots français sont presque identiques aux mots latins. (Seule la dernière syllabe de ces mots est légèrement transformée). ·Ces mots ont presque tous une connotation littéraire, technique ou savante. Plus précisément, les mots empruntés ne sont pratiquement pas déformés parce qu’ils sont proprement des mots latins. Ils ont été d’abord utilisés par des clercs, qui avaient une parfaite connaissance du latin, puis sont rentrés dans l’usage courant. Pour comparer deux langues, il est nécessaire d’éliminer les mots d’emprunts sous peine d’affirmer à la légère leur parenté. Ainsi, tous les linguistes s’accordent pour dire que l’anglais est une langue germanique bien que l’anglais compte beaucoup de mots qui ressemblent au français. L’anglais et l’allemand sont issus d’une origine commune baptisée « germanique ». Mais la langue anglaise a absorbé, pendant les siècles qui ont suivi la conquête normande, des milliers de mots français, au point que certains textes anglais peuvent paraître proches du français. Voici quelques exemples : The information contained in this message is confidential. L’information contenue dans ce message est confidentielle. Spanish is a rich and expressive language. L’espagnol est une langue riche et expressive. The grammatical structure of the language has changed enormously. La structure grammaticale de la langue a changé énormément. À la lecture de ces phrases, un observateur peu attentif pourrait conclure que les langues française et anglaise ont un lien de parenté. Cet observateur serait en fait abusé par les mots anglais empruntés au français. D’où la nécessité de séparer les mots empruntés des mots de « base ». À leur premier stade, les langues possédaient un vocabulaire fait de mots courants qui constituent « le vocabulaire de base ». L’anglais possédait un vocabulaire de base germanique auquel s’est agrégé peu à peu un vocabulaire français. Il en est de même pour les langues romanes qui avaient un vocabulaire de base « italien ancien » qui s’est accru au fil des siècles de nombreux mots empruntés au latin. Les langues romanes et le latin sont restés en contact pendant plus de 20 siècles et du vocabulaire latin a été incorporé aux langues romanes pendant trois grandes périodes. – Du IIIe siècle av. J.-C. au Ier siècle ap. J.-C., les peuples latin et italien coexistent et l’apport est direct. – Du IIe siècle au XVIe siècle, le latin bien que langue morte reste la seule langue écrite de l’Europe occidentale, et les savants, les hommes d’église et les légistes y puisent continuellement soit pour emprunter un mot latin, voire un mot grec par l’intermédiaire du latin, soit pour forger un mot nouveau. – À l’époque moderne le besoin de mots nouveaux dans les domaines scientifique et technique ouvre une nouvelle ère pour l’emprunt aux langues anciennes. Ainsi les langues romanes comptent des milliers de mots latins, mais ces mots ne sont presque jamais des mots de la vie courante. Je rappelle que mon schéma des langues italiques est le suivant : SCHEMA 3 Il faut le préciser comme suit, pour faire apparaître les apports continus du vocabulaire latin aux langues romanes : SCHEMA 4 Les pointillés figurent, non pas un lien de parenté, mais un flux de vocabulaire. Schématiquement, j’ai figuré deux flux, bien qu’il s’agisse en vérité d’un flux unique étalé sur plus de 20 siècles. Cela m’amène à concevoir un vocabulaire de base qui est censé représenter l’ensemble des mots courants couvrant l’activité humaine, à l’exception des domaines sophistiqués de la politique, de la religion, de l’art, de la technique, du droit, de la philosophie… Ce vocabulaire, bien que plus allégé que le vocabulaire contemporain, n’en est pas pour autant rudimentaire. La Bible, écrite à une époque où l’organisation sociale et les connaissances techniques n’en étaient qu’à leur début, compte plus de 6 000 mots distincts. Les peuples qualifiés de « barbares » par les Grecs possédaient, eux aussi, un vocabulaire très étendu. Mais avant cela, je veux préciser la deuxième raison qui induit en erreur les linguistes. Le latin et l’« italien ancien » ont une origine commune, et ont donc quelques points communs, comme les langues anglaise et allemande ont des points communs, car elles aussi sont issues d’une même origine. Une origine commune : l’italique Le latin et l’« italien ancien » ont la même origine, appelée « italique ». Pour fixer les idées, je dirais que cette origine commune remonte à 10 000 ans avant J.-C. Il est impossible de préciser scientifiquement la date à laquelle les peuples italiques parlant la même langue se sont séparés et ont créé à partir du même tronc commun deux langues aussi distinctes que le latin et l’« italien ancien ». J’aurais pu indiquer non pas 10 000 ans, mais une fourchette allant de 1 000 à 10 000 ans. Dans le chapitre sur l’évolution des langues, je montrerai combien évoluent lentement les langues en général, ce qui me conduit à penser que 1 000 ans seraient peu de temps pour créer deux langues aussi différentes que le latin et l’« italien ancien », c’est pourquoi je mets plutôt la barre à 10 000 ans. Mon propos est avant tout d’exposer que, bien que très distincts, le latin et l’« italien ancien » ont une origine commune que je représente comme suit : SCHEMA5 Sous la forme graphique de cercles, je fais apparaître les ensembles et les sous-ensembles de vocabulaire. SCHEMA 6 Cette présentation permet de décomposer les vocabulaires des trois langues et de faire apparaître différents sous-ensembles. Le groupe 1 représente le vocabulaire de la langue-mère, l’italique, qui n’a pas été transmis aux langues filiales. Ce groupe est d’une faible importance. En général, la création des vocabulaires se fait par strates successives sans abandon du vocabulaire antérieur. Le groupe 2 représente le vocabulaire de la langue-mère qui a été transmis à une langue mais pas à l’autre. Le groupe 3 représente les mots d’origine italique qui ont été transmis à l’une et l’autre langue et qui donnent l’impression qu’une langue découle de l’autre. Le groupe 4 représente les mots propres à chaque langue filiale. Ils sont « auto-fabriqués » par les procédés classiques : métonymie, mots composés, déformation phonétique… chaque peuple développant son génie propre, et créant peu à peu une langue particulière. Le groupe 5 comprend les mots communs aux deux langues qui ne viennent pas de la langue- mère : ce sont des mots d’emprunt. Ces distinctions complexes sont nécessaires à la bonne compréhension de la suite. Arrêtons-nous sur le groupe 3. Quand des mots sont semblables en italien et en latin, cela peut provenir de leur origine commune. Cela ne prouve en rien que les langues romanes viennent du latin. Les vocabulaires de base anglais et allemand sont proches, pour autant l’anglais ne vient pas de l’allemand, et vice-versa. Pourtant les vocabulaires de base anglais et allemand sont plus proches que ne le sont les vocabulaires latin et roman. Comment cela n’a-t-il pas frappé les linguistes ? Comment les langues allemande et anglaise qui sont des « langues sœurs » seraient-elles plus proches que ne le sont le latin et l’italien, qui sont supposés avoir une filiation directe ? Il ne faut donc pas s’extasier trop vite sur les ressemblances observées entre les vocabulaires des langues latine et romanes. Celles-ci peuvent n’être uploads/Litterature/ cortez.pdf
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- Publié le Mar 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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