— Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 — 66 5. Étude
— Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 — 66 5. Étude d’un texte. Virgile, Énéide, 1, 1-33 : quelques pistes pour un commentaire composé NB : Pour plus de clarté, j’ai mis des titres aux parties et j’ai utilisé des alinéas marqués par des tirets. Dans une copie rédigée, certains de ces éléments (titres et tirets notamment) devront disparaître et être remplacés par des articulations rhétoriques. INTRODUCTION – L’ouverture d’une épopée, comme celle de toute œuvre littéraire en général, constitue toujours un passage de choix. Le texte proposé n’échappe pas à la règle sur plusieurs points essentiels : - il a une valeur programmatique : que va raconter l’œuvre ? - il présente la posture poétique de l’auteur/ narrateur (ego) en l’inscrivant dans un parcours biographique (œuvres antérieures) et une tradition littéraire (épopée homérique). – Le passage proposé se délimite clairement en trois parties d’inégale longueur : - v. 1*-4*42 Prologue : place de l’Enéide dans la carrière de Virgile/ego. - v. 1-11 Programme de l’Énéide : tribulations du héros Enée, qui articule histoire des hommes et monde des dieux. - v. 12-33 Un jalon essentiel dans le parcours héroïque et la trame de l’œuvre : Carthage. – Annoncer le plan choisi pour le commentaire (voir mes titres de partie). Ici, exceptionnellement, le plan du commentaire peut s’articuler avec celui du texte. Mais c’est assez rare de pouvoir le faire ! 42 Ces quatre vers sont apocryphes et nous ont été transmis par la Vie de Virgile de Donat et par le commentaire de Servius. Pour certains éditeurs, l’Énéide commence avec la formule arma uirumque cano, « je chante les armes et le héros… ». — Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 — 67 I. Première partie L’ÉNÉIDE OU LE COURONNEMENT D’UNE CARRIÈRE POÉTIQUE Prise de parole personnelle d’un auteur/ narrateur (v. 1* : ille ego qui, « moi, l’homme qui » ; v. 1 : cano, « je chante », présent d’éternité pour dire « je suis l’auteur » et revendiquer clairement la paternité du poème). 1. Chronologie et hiérarchie : continuités et rupture – Ego établit une chronologie de ses œuvres antérieures, qu’il ne nomme qu’à travers des périphrases. Cette chronologie constitue implicitement une progression hiérarchisée opposant (v. 4* : at, « mais ») non seulement le passé (v. 1* : quondam, « jadis ») et le présent (v. 4* : nunc, « désormais »), mais aussi les genres littéraires successifs abordés et jugés par le poète. – Le passé a été occupé à la fois par la pratique : - d’un premier genre poétique, humble et léger (v. 1* : modulatus, « ayant modulé »), celui des Bucoliques, symbolisé par l’objet modeste qu’est la « flûte gracieuse » (v. 1* : gracili…auena) ; - d’un deuxième genre, celui des Géorgiques, plus ambitieux et contraignant car il s’agit de poésie technique et scientifique (v. 2* : coegi, « j’ai contraint » ; v. 3 : parerent, « à se plier »), présentée comme « tâche utile » (v. 4* : gratum opus). Il est symbolisé par un paysage mixte de forêts (v. 2* : siluis) et de champs cultivés (v. 3* : arua), ainsi que par des personnages emblématiques, le cultivateur (v. 3* : colono) et les agriculteurs (v. 4* : agricolis). – Le présent, en rupture radicale, est désormais consacré au grand genre par excellence qu’est l’épopée, avec ses trois grandes composantes : les armes, (v. 1 : arma, métonymie pour la guerre et les combats) ; un héros (uirum) ; des dieux (v. 4 : Superum, « ceux d’en-haut »). – Il faut savoir qu’au Moyen Âge, au sein d’un dispositif de catégorisation stylistique appelé « roue de Virgile », les trois textes de Virgile ont été interprétés en outre comme les représentants de trois styles distincts : humble pour les Bucoliques, moyen pour les Géorgiques, élevé pour l’Énéide. — Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 — 68 2. Positionnement dans une tradition littéraire – Virgile rend très clairement hommage à Homère par des allusions programmatiques autant que stylistiques : - par l’apostrophe à la Muse (v. 8), présente au début de l’Iliade (« Chante, Muse, la colère d’Achille ») et de l’Odyssée (« Chante, Muse, ce héros illustre par sa prudence, qui erra longuement sur terre »). La Muse est la garante d’une inspiration supérieure qui peut dévoiler ce qui est inconnu, en particulier sur le mode étiologique (étio-logie = science des causes). La formule du v. 8 : mihi causas memora « rappelle-moi les causes », et la série d’interrogatives indirectes qui suivent (« par quelle atteinte », « pour quelle blessure ») renvoient directement à l’Iliade (1, 8 : « qui donc parmi les dieux excita cette discorde ? »). - par le motif de la colère, ici celle de Junon (v. 4 : Iunonis ob iram, « à cause de la colère de Junon ») et des dieux (v. 11 : Tantaene animis caelestibus irae ? « Est-il tant de colères dans les âmes célestes ? »), qui transpose celle d’Achille, moteur dramatique de l’Iliade. Le terme ira clôture d’ailleurs les vers 4 et 11. - par l’opposition entre les deux moments principaux du destin d’Énée, une période d’errance sur terre et sur mer (v. 3 : multum… et terris iactatus et alto, « ayant été beaucoup ballotté et sur terre et sur mer ») et une période de combats (v. 5 : multa quoque et bella passus, « ayant aussi souffert beaucoup de guerres », avec une construction syntaxique symétrique autour de l’adverbe multum/multa traité en polyptote43). Virgile annonce que l’Énéide sera structurée de manière bipartite, en faisant se succéder une Odyssée puis une Iliade. II. Deuxième partie LES CONSTITUANTS DE L’ÉPOPÉE 1. Un héros éponyme44 : la constitution d’une légende – uirum en latin : homme (cf. viril) et héros. – vie hors norme, rôle initateur et exemplaire de premier expérimentateur : cf. v. 1 : qui primus, « qui le premier ». 43 Figure de répétition qui joue sur l’apparition d’un même mot pourvu de caractéristiques morphologiques différentes, en particulier les désinences (en grec, poly- = plusieurs ; ptôsis = flexion, désinence). 44 Qui donne son nom au titre (Énéide : histoire de l’homme qui s’appelle Énée ; cf. Odyssée : histoire de l’homme qui s’appelle Odysseus/Ulysse). — Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 — 69 – valeur intérieure exceptionnelle : cf. v. 10, insignem pietate uirum, « héros remarquable par sa piété ». Pietas en latin n’a pas qu’une valeur religieuse et désigne l’acte de remplir ses devoirs envers sa famille (au sens large), envers sa cité (conçue comme une extension de la famille), envers les dieux. – mais paradoxe qui se joue à deux niveaux enlacés, caractéristiques de l’épopée : • ce héros exceptionnel est soumis à toute une série d’épreuves et de souffrances qu’il doit affronter dans le monde d’ici-bas voire dans le monde infernal (cf. v. 5 : passus, « ayant souffert » ; v. 9 : casus, « infortunes » ; v. 10 : tot… labores, « tant d’épreuves ») ; • comme pour le personnage tragique, il est aussi victime de forces supérieures, en particulier du destin (cf. v. 2 : fato profugus, « chassé par le destin ») et des dieux (v. 4 : ui superum, « par la force de ceux d’en haut »), ou plutôt d’une déesse très puissante, Junon, regina deum, « reine des dieux » et cruelle (saeua). Cette présence des dieux joue également le rôle de moteur narratif. 2. La multiplicité des trajectoires et la structuration de l’œuvre Le destin d’Énée se déploie sur plusieurs plans différents qui se complètent : – La trajectoire géographique de l’exil (profugus, v. 2) : cette trajectoire l’emmène d’est en ouest, des rivages de Troie (v. 1) à ceux d’Italie et à Lavinium (v. 2). C’est donc une trajectoire qui conduit de l’errance à la fixation sur un territoire, et qui permet de passer d’une Odyssée à une Iliade. – La trajectoire proto-historique : Énée n’est pas Ulysse, il ne cherche pas à rentrer dans sa patrie mais à fonder une nouvelle Troie. Les vers 5-7 ouvrent sur un au- delà de l’épopée, qui permet de quitter un bref instant le temps mythique pour entrer dans l’ère proto-historique. Après l’évocation des errances et des souffrances guerrières, c’est un aperçu en raccourci du destin de Rome que livre Virgile, avec quelques étapes fondamentales en relation avec les fondations de cités qui ne seront toutefois pas traitées dans l’Énéide) : - la fondation religieuse de Lavinium (v. 5 : dum conderet urbem, « jusqu’à ce qu’il fondât une ville »), avec introduction des Pénates de Troie dans le Latium (v. 6). - puis celle d’Albe-la-Longue (cf. v. 7 : Albani patres, « les pères d’Albe »). — Littérature latine L1 : Les Origines de Rome © Anne Rolet 2021 uploads/Litterature/ cours-origines-rome-seance10.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1688MB