Volume 3 Numbers 9-10 ORIENS September 2006 1 Une légende Dogon Ph. D. "C'était
Volume 3 Numbers 9-10 ORIENS September 2006 1 Une légende Dogon Ph. D. "C'était il y a très longtemps. À l'époque où le ciel était proche de la terre, si proche que, le soir, les mères décrochaient les étoiles pour que les enfants jouent avec avant de s'endormir. À cette époque, donc, brillaient 10 soleils au firmament. Un jour, un chasseur aussi impudent qu'adroit, tira des flèches sur ces soleils. Il en tua neuf, le dixième put échapper au massacre et s'enfuit pour se cacher. Alors, la nuit s'installa. Et le froid. Sans soleil, les cultures dépérirent. Les Dogons se réunirent, et adressèrent force prières et accomplirent de nombreux sacrifices pour supplier le soleil de réapparaître. Magnanime, celui-ci prit pitié des Hommes et accepta de revenir briller à nouveau. Pour le remercier et commémorer cet évènement, et rappeler l’alliance passée avec l’astre du jour, un forgeron créa ce bijou, toujours porté par les Dogons en souvenir. » Avant d’effectuer l’exégèse de la légende Dogon qui a retenu notre attention, nous tenons à faire quelques remarques préliminaires. Dans les peuples traditionnels, les récits illustrant la doctrine métaphysique, revêtent des formes d’expression diverses qui répondent à des besoins spécifiques dans le processus de la transmission de la connaissance traditionnelle. Les différentes catégories de récit sont identifiées par des noms précis. Par exemple chez les Dogons, le mythe est appelé só tániye « parole étonnante », alors que les fables portent le nom d’élume. Ces dernières mettent en scène des héros incarnés par des animaux doués de la parole, dont les actions se déroulent en des temps indéterminés. C’est pour cette raison qu’elles commencent par waru wógo le « en ces temps-là », qu’ont ne peut manquer de rapprocher du « il était une fois » des fables occidentales. Contrairement aux mythes, ces fables ne sont pas considérées comme des histoires vraies. Les élumes, sont le monopole des femmes qui se les transmettent secrètement de mère en fille, avec la possibilité pour les filles de les enseigner éventuellement au garçon, mais uniquement la nuit. Les só tániye, réservés aux hommes, sont interprétés comme des histoires vraies et sont toujours rattachés à des thèmes en rapport avec la Genèse. Les actes rituels au cours desquels ils sont énoncés, sont en connexion directe ou indirecte avec le contenu du mythe. Dans celui-ci, les personnages divins sont désignés par leur nom sans avoir recours à des substituts paraboliques. Le mythe est un récit généralement simplifié toujours accompagné de commentaires constituant la « connaissance » proprement dite. Alors que dans les fables, l’auteur du désordre originel – dont les actions catastrophiques ont nécessité des réorganisations cosmiques en vue de la restauration de l’harmonie universelle – est systématiquement raillé, les mythes adoptent une dissertation dégagée de toute participation affective vis-à-vis de ce personnage mythique omniprésent. Nous trouvons là la distinction entre les domaines concernés par la « connaissance légère » et ceux concernés par la « connaissance profonde », où les premiers gardent un rapport avec la notion du bien et du mal et où les seconds, dont le point de vue transcendant résorbe toutes les oppositions inhérentes à l’individuation, sont dégagés de tout aspect affectif1. 1 Nous retrouvons ici la distinction entre l’exotérisme et l’ésotérisme. Une légende Dogon 2 Il existe d’autres récits, comme les titres d’honneur, les devises, les légendes. Ces dernières sont intermédiaires entre les fables et les mythes et content l’histoire des ancêtres fondateurs des quatre tribus Dogons2, en étant interprétées comme des histoires vraies tout en employant une construction s’appuyant sur des paraboles. Ces quelques données, montrent que les divers types de récits sont parfaitement structurés et hiérarchisés les uns par rapport aux autres, vis-à-vis de leur fonction de transmission et d’enseignement de la doctrine métaphysique. La cohérence de l’ensemble forme une Unité harmonieuse et indissoluble, permettant à chacun de s’approprier, suivant sa nature propre, les éléments qui lui permettront de saisir l’Intelligence de la cohésion Universelle. La diversité des récits permet de s’adresser à la diversité des natures humaines, et d’aborder pas à pas et sous de multiples points de vue, la subtilité extrême des concepts métaphysiques. Il ne nous échappe pas que les mythes et fables sont, au même titre que les matériels rituels, des objets précieux, utilisés avec précaution et conservés à l’abri des influences extérieures. Ceci nous amène à devoir considérer, la nature de la légende du Soleil dont nous allons faire l’exégèse, car comme nous venons de le signaler, les mythes, les légendes et les fables d’un peuple authentiquement traditionnel, ne sont pas livrés à tous les vents. Grâce au travail remarquable de Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, à qui les Dogons ont transmis pour des raisons certainement impérieuses, leur doctrine métaphysique, nous avons la connaissance des mythes fondateurs et des commentaires afférents. Il est donc possible de situer très exactement tout récit par rapport à la doctrine fondamentale Dogon. Nous constatons que la légende du soleil commence par l’introduction classique des fables, mais les personnages ne sont ni des animaux, ni les ancêtres fondateurs, ni les personnages mythiques de la doctrine métaphysique. À part l’évocation de la deuxième phrase que nous avons retrouvée dans « Dieu d’eau »3, le reste du récit n’est pas en connexion avec les mythes de la doctrine traditionnelle. Dans cette dernière, les personnages en rapport avec le soleil sont Ogo qui deviendra, suite aux différentes réorganisations du monde, le Yurugu, et le Forgeron qui volera un morceau de soleil lors de sa descente sur terre. C’est avec le morceau du placenta volé par Ogo que le soleil a été créé, alors que le forgeron mythique a volé le feu du soleil lors de sa descente sur Terre. Ensuite par rapport au symbolisme de la flèche, dans les mythes de la doctrine Dogon, c’est le Forgeron qui est descendu avec un arc de fer et des flèches, mais pour être plus exacte les flèches du Forgeron sont des « fuseaux », c’est-à-dire un symbole en connexion avec le métier à tisser et le fil établissant un « lien » entre deux domaines. Ensuite le forgeron a tiré deux flèches-fuseau, l’une dans le centre du cercle figurant la lune (et non pas le soleil) sur la terrasse du grenier céleste et l’autre dans la voûte du Ciel en tant que point d’appui. Il devient alors assez évident que la légende du soleil ne fait pas partie des mythes métaphysiques, et peut être considérée comme une histoire recueillie comme le furent les premières informations par Marcel Griaule auprès d’« un vieux Dogon [qui] répondait par bribes, livrant une vérité démantelée4 ». Germaine Dieterlen nous dit « … les Dogon respectent encore actuellement la règle traditionnelle qui veut que l’on n’aborde jamais au début, avec qui que ce soit, les niveaux d’interprétation que nous venons d’évoquer [celui de la « parole claire »]. A une question posée par un chercheur, venu récemment et pour la première fois en pays Dogon, sur les sens des décors des serrures surmontant le 2 Pour toutes ses considérations nous vous renvoyons à « Esotérisme et fabulation au soudan », Geneviève Calame-Griaule, Bulletin de l’institut Français d’Afrique noire, tome XVI. 3 Voici le passage de la discussion entre Marcel Griaule et le Sage Dogon Ogotemmêli : « Ogotemmêli repoussa comme détail sans intérêt la formation des quatorze systèmes solaires dont parle le peuple, à terres plates et circulaires disposées en pile. Il ne voulait traiter que du système solaire utile. Il consentait à prendre en considération les étoiles bien qu’elles jouassent un rôle secondaire : — Il est bien vrai, disait-il, que dans la suite des temps les femmes décrochaient les étoiles pour les donner à leurs enfants. Ceux-ci les perçaient d’un fuseau et faisaient tourner ces toupies de feu pour se montrer à eux-mêmes comment fonctionnait le monde. Mais ce n’est là qu’un jeu. » 4 « Dieu d’eau », p16, Marcel Griaule, Editions Fayard. Une légende Dogon 3 coffre (têtes d’antilopes, d’oiseaux, personnages, etc.), l’artisan questionné a répondu, bien entendu, au niveau de la parole de face : « C’est un ornement » ; ce qui est vrai, mais n’explique rien. » Elle ajoute : « … cette première interprétation relève de ce que les Dogon nomment la « parole de face », celle que l’on communique toujours en premier lieu, car c’est la seule que peuvent comprendre dès l’abord, les enfants, les adolescents, les étrangers, voire certains adultes.5 » Il fallut quinze années à l’ethnologue Marcel Griaule pour être considéré comme apte à recevoir la connaissance profonde ou « Parole Claire » : « depuis quinze ans il [Ogotemmêli] entendait parler de ces groupes de Blancs qui venaient sous sa conduite dormir sur la dure et chevaucher dans les falaises pour y étudier les coutumes. Il avait même suivi leurs travaux depuis le début, car il était très lié avec le vieil Ambibê Babadyé, grand dignitaire des Masques, leur informateur attitré, mort depuis peu. A plusieurs reprises, au cours de ces quinze années, Ambibê était venu lui demander uploads/Litterature/ une-legende-dogon.pdf
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- Publié le Aoû 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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