JEAN LAUDE. UNE LOGIQUE DU DÉCENTREMENT Évelyne Toussaint Éditions de Minuit |
JEAN LAUDE. UNE LOGIQUE DU DÉCENTREMENT Évelyne Toussaint Éditions de Minuit | « Critique » 2020/5 n° 876-877-878 | pages 442 à 455 ISSN 0011-1600 ISBN 9782707346384 DOI 10.3917/criti.876.0442 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-critique-2020-5-page-442.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de Minuit. © Éditions de Minuit. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Que l’on observe des peintures rupestres, La Vierge à l’enfant avec sainte Anne de Léonard de Vinci, des dessins d’enfants, les peintures de Picasso ou les créations des sociétés dites primitives, il faut tenter de saisir à quelle volonté est soumise la forme, en fonction de la communauté à laquelle l’œuvre s’adresse, et non l’appréhender d’un point de vue ethnocentré empê chant de saisir la singularité d’autres cadres de référence. S’appuyant sur les cours de Marcel Griaule à l’Institut d’eth nologie et sur ceux de Claude Lévi-Strauss, il se dotera de méthodes scientifiques en fondant désormais ses analyses sur des données ethnologiques, archéologiques et histo riques, tout en conduisant une réflexion critique étayée par une vaste culture littéraire et philosophique. En poète, qu’il fut aussi tout au long de sa vie, il associera savoir et sensibi lité en accordant, à la manière des artistes, une place fonda mentale au regard. Dès lors, après Carl Einstein, novateur en la matière en dépit de malentendus et préjugés qui étaient ceux de son temps, son intérêt pour les arts d’Afrique noire ne s’épuisera pas. Jean Laude. Une logique du décentrement } Jean Laude Écrits sur l’art Textes rassemblés sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac et de Jean-Louis Paudrat. Dijon, Les Presses du réel, coll. « Œuvres en sociétés », 2019, 928 p. © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) 443 Parmi les Écrits sur l’art 1 rassemblés en 2019 sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac et Jean-Louis Paudrat, accompagnés de 114 images, ceux qui portent sur l’art africain occupent une place essentielle. Ils sont cepen dant indissociables des autres textes, Jean Laude ayant toujours instauré des ponts entre les arts d’Afrique et la modernité occidentale. En termes épistémologiques, tous ses travaux procèdent en effet d’une même démarche intel lectuelle et participent des mêmes valeurs philosophiques et politiques, en faveur d’une histoire de l’art décentrée, ouverte à l’interdisciplinarité, en rupture avec les hiérarchies, les arrogances et les idéologies qui hantaient alors une discipline « se construisant dans l’ombre de l’hégélianisme 2 ». Écrire une histoire des arts africains. La pluricausalité pour méthode Qu’il s’agisse d’observer les conditions de l’émergence de la figuration de Gaspar « sous les traits d’un nègre 3 », dans l’iconographie de l’Adoration des Mages chez Dürer en 1504 (bien avant qu’une bulle de Paul III, en 1537, reconnaisse les hommes des contrées nouvellement découvertes en tant que veri homines) ou de comprendre en quoi les rituels des populations dogon traduisent leurs relations au cosmos, il importe, explique Laude, d’interroger la dimension sociale à l’œuvre dans la symbolique des représentations, les ana chronismes opérés dans l’actualisation d’événements passés, la dialectique entre le particulier et l’universel. Il en appelle, pour cela, à Marcel Griaule et Marcel Mauss comme à Pierre Francastel, directeur de la thèse qu’il soutient en 1964 sur La Statuaire du pays dogon (contribution à l’esthétique des arts soudanais). Or, cette dimension sociale est portée – il y revient sans cesse et c’est même l’une des problématiques centrales de son œuvre – par une idéologie implicite. C’est aussi à l’aune d’une certaine idéologie artistique régressive et répressive du xixe siècle que l’on a jugé des qualités des 1. Titre désormais abrégé en ÉA. 2. « Introduction au climat d’avant-guerre » [1982], ÉA, p. 658. 3. « L ’ histoire, la peinture et la mise en scène d’événements pas sés » [1957], ÉA, p. 46. J E A N L A U D E . U N E L O G I Q U E D U ... © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) CRITIQUE 444 masques océaniens ou africains et des statuettes bambara (Mali), baoulé (Côte d’Ivoire) ou luba (Congo- Kinshasa), si peu considérées que les premières missions ethnographiques négligèrent de s’informer sur leurs auteurs 4. Il faut donc affuter son regard, reprendre patiemment et méticuleusement les recherches – des travaux ultérieurs, en ethnographie, histoire et histoire de l’art, viendront à leur tour rectifier certaines données –, comprendre les fonctions des objets et le statut de ceux qui les ont créés, connaître les mythes et la réalité sociale, le système politique et les pra tiques artistiques. Écrire une histoire des arts négro-africains, à la fin des années 1950, est une entreprise aussi difficile et délicate que nécessaire, comme l’écrit Jean Laude dans son article « Arts anciens du pays dogon ». De son écriture toujours précise, fluide, dense et concise, il décrit la qualité, la dignité et la valeur mémorielle des calligraphies ligneuses que sont les anciens objets tellem, aux origines de la sculpture dogon, dont on sait fort peu de choses après que tant de « théories imprécises, de spéculations intéressées 5 » autour du concept d’art nègre ont masqué ignorance, paresse d’esprit et préju gés. Du reste – Picasso n’avait pas dit le contraire –, « il n’y a pas un art nègre : on le sait maintenant 6 » et il convient qu’esthétique et ethnologie s’allient pour en comprendre les temporalités et les géographies. Comme il se méfiait de l’usage parfois aberrant de l’idée d’écoles dans l’art occidental, « nommées par des journa listes dont la malveillance masquait l’incompétence 7 », Jean Laude entendait affirmer la complexité des arts africains en dégageant des séries classificatoires et en identifiant des ate liers de production, en étudiant les déterminants formels et leurs mutations, en abordant, dans leur diversité, les styles et les thèmes. Pour comprendre un monde où l’homme est le grain de l’univers, loin de toute dualité, un monde dans lequel les arts « ne décrivent pas mais recréent le réel 8 », pour 4. « Lecture ethnologique de l’art » [1969], ÉA, p. 129-130. 5. « Arts anciens du pays dogon » [1959], ÉA, p. 86. 6. « Ethnologie et Histoire de l’art » [1985], ÉA, p. 809. 7. « La sculpture en 1913 » [1971], ÉA, p. 155. 8. « Arts anciens du pays dogon » [1959], ÉA, p. 90. © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) © Éditions de Minuit | Téléchargé le 28/07/2022 sur www.cairn.info via Institut National de l'Histoire de l'Art (IP: 194.214.199.130) 445 rendre compte des créateurs de ces « formes orantes et auto ritaires, chargées d’humanité 9 », il faut passer, avec Panofsky, d’une phase iconographique à un cadre iconologique, autre changement épistémologique pour l’histoire de l’art. C’est sur les arguments de Juan Gris – qui, dans sa réponse à une enquête de la revue Action sur les arts afri cains en 1920 10, opposait l’anti-idéalisme de la sculpture afri caine aux principes de l’art grec – que s’appuie Jean Laude pour privilégier des classifications de l’art dit primitif fondées sur la classe ou la fonction sociale des personnages repré sentés. Dès lors, il convient de mettre en relation ces prin cipes (représenter la fonction hogonale et non tel hogon11) et les gestes du sculpteur, sans dissocier le sens, l’outillage et les matériaux, en étudiant ces derniers dans leur dimension technique, sociale et économique. Désavouant les « conditions trop particulières » dans lesquelles est observée l’utilisation des outils de fabrication de sculptures lors de l’Exposition coloniale uploads/Litterature/ criti-876-0442.pdf
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- Publié le Aoû 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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