Faul is live Je n’oublierai jamais ma première mission en tant que rédacteur de
Faul is live Je n’oublierai jamais ma première mission en tant que rédacteur des Inrockuptibles. Jeune musicien, mes parents m’avaient toujours dit que la musique ne menait pas à grand-chose si ce n’est la famine et des loyers impayés. Et comme il est vrai que mon garant est quelqu’un des très respectable et que ce n’était pas mon intention de le rendre responsable de ma négligence, j’ai décidé de me rediriger vers l’industrie « para-musicale ». Une sorte d’infirmier musicien. Et j’avais décroché grâce à des contacts soigneusement établis lors d’une soirée de démesure, un humble petit poste au sein du prestigieux périodique, le déjà mentionné « Inrockuptibles ». Même si cette voie n’était pas sans frustrations (en gros, il fallait dire ce qu’il se passait sur scène alors que tu étais en dehors de la scène), elle avait quelques avantages. Par exemple, elle permettait d’avoir un relatif confort matériel constitué d’un modeste mais honnête salaire. Et puis, elle me permettait quand même de baigner dans les eaux des stars internationales. En outre, les artistes dont j’avais rêvé d’occuper leur place. Le fait est que la première mission, on attaquait fort. J’étais censé aller voir le concert de Paul McCartney au Stade de France et puis de l’interviewer dans sa loge juste après. J’étais tiraillé entre deux sentiments. D’une part, j’en revenais pas. Moi, le petit jeune, âgé de 18 ans, qui venait d’avoir son bac sans avoir été admis aux écoles qu’il avait demandées, qui avait fait des scènes assez infortunées avec son groupe. Cet énergumène dont la valeur était encore en dessous de celle des devises latino-américaines qui coulaient telles un Titanic sans jamais retrouver les fins fonds de la mer, allait retrouver le grand, l’unique, Paul McCartney. D’autre part, je me posai une question assez immédiatement. Allais-je rencontrer Paul McCartney pour de vrai ? On connaît bien les rumeurs sur Faul, le faux Paul McCartney. Oui, accident en 1966, le bassiste des Beatles meurt et est remplacé par le supposé bassiste canadien Billy Shears pour que le décès précoce du membre initial n’ait pas d’impact sur la carrière émergente des artistes britanniques. Après cela, les Beatles auraient laissé une série de signes pour cultiver la rumeur et pour rendre hommage au vrai Paul : la couverture de Abbey Road dans laquelle John Lennon représenterait le prêtre, Ringo Starr le porteur funéraire, George Harrison le fossoyeur et entre eux, Paul qui marche pieds nus pour montrer qu’il n’est plus de cette planète. Ou encore, la couverture de Magical Mystery Tour dans laquelle Paul Mc Cartney porte le déguisement du morse, animal de la mort dans la culture scandinave. Ou les messages subliminaux si l’on reproduit les disques à l’envers. Tiraillé entre l’enthousiasme et la hantise, je préparai mon interview. Quand on démarre, on est assez mauvais. Du coup, les premières questions auxquelles j’avais pensées étaient du moins banales. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de la musique ? Comment vivez-vous le fait d’avoir influencé la musique populaire mondiale ? Si Harrison et Lenon étaient vivants, penseriez-vous à un retour des Beatles ? Voilà de quoi lui faire penser qu’il avait devant lui un novice total. Ce qui était vrai mais ce n’était pas ce que je voulais montrer. En même temps, ma barbe ne poussait pas tout à fait encore, donc on pouvait faire passer ces questions-bateau sur le compte du vraisemblable : un jeune interviewer ne peut pas être autrement. J’arrivai tout d’abord à Montmartre Recording Studios où le chanteur britannique allait faire ses dernières répétitions. Je traversai la porte des studios. Tout était assez sombre et dans le lobby il y avait un groupe de personnes qui se détendait. On causait avec l’accent particulier de Liverpool. J’essayai de ne pas paraître surpris ou dépassé par la situation, mais on me regardait un peu de haut tout de même. « It’s you the boy who’s going to be with us during the day ? - Oui, euh, yesse. - Ok, Paul is coming soon. He is in a bad mood, there was no vegetarian food at the hotel this morning. Génial. Le jour où je dois le suivre partout et lui poser plein de questions il est pas bien disposé. Comment allais-je lui tirer la vérité sur sa mort ? C’est quand même lourd les stars. C’est des tempéraments very very very changeants. J’attends, assis, docile. Enfin, Sir Paul McCartney arrive, plutôt de bonne mine. Les dialogues se sont passés en anglais, avec un bel accent français bien prononcé pour ma part. Pour des questions de commodité, je transcris les dialogues en français. « Bonjour, young pal, je suis Paul. (comme si je ne m’étais pas aperçu) - Bonjour Paul, je suis Charles. J’essayerai d’être discret pour ne pas perturber tes activités mais je resterai assez proche de toi pour pouvoir tout documenter pour le magazine. - Bien sûr, veux-tu rentrer dans la salle de répétition avec nous ou tu veux tout voir de la cabine. Deux choses. La première est que l’on m’avait annoncé qu’il était grognon et il apparaît super sympa… Il s’agissait donc clairement d’une blague extrêmement drôle des gars du groupe pour me faire flipper. Première d’une série d’événements tragiques ? La deuxième chose était que l’on me proposait d’assister à la répétition de vraiment tout près et là c’était trop. Plus d’émotions que ce que je ne pouvais endurer. Je dis que je resterais plutôt en retrait pour assister vraiment à leur travail sans trop perturber l’habitude. Question d’authenticité du reportage. La répétition démarre, quelques minutes d’improvisation pour l’échauffement des doigts, des voix, pour rentrer dans la musique et créer une vraie ambiance de travail. On commence à reconnaître les cadences des vieux classiques : « Day tripper », « Helter Skelter », « Hey Jude ». Et là, c’est que la magie commence. On sent que tout le monde y prend plaisir. Malgré le fait de l’avoir joué des milliers et des milliers de fois, de l’avoir écouté jusqu’à l’excès. Ou c’est peut-être moi qui le perçois ainsi. « Get Back » et « A Hard day’s night » (ils vont commencer le concert avec celle- ci) et « I am the warlus » et « Magical Mystery Tour ». Vraiment de la bonne. Il est vieux Paul et pourtant il garde le peps. Dans la voix, l’âge se fait sentir. Dans les aigus il n’est pas aussi à l’aise qu’avant, mais l’esprit est là et de toute façon la légende pardonne toute manifestation prosaïque et hasardeuse. Après on passe aux chansons de l’étape post-Beatles, de McCartney en solo, les Wings notamment. Et là encore des classiques, mine de rien. « Band on the run », « Let me roll it »… LIVE AND LET DIE. Wow. C’est l’heure de la pause. Mais que pour les musiciens parce que le leader prend sa guitare acoustique et continue à jouer des morceaux qu’il fait tout seul. Alors là, ça envoie encore du lourd : « Yesterday », « Blackbird », « Jenny Wrenn » (très belle chanson de Chaos and Creation in the backyard). Il garde toute son énergie pour chaque morceau. Après cette pause de vingt minutes pendant laquelle (heureusement) les musiciens sont sortis, la répétition générale reprend. En revenant, l’équipe me jette un regard moqueur. J’avoue que ça me met mal à l’aise. Dans cette troisième partie de la matinée, la salle de répétition est toujours aussi active et énergique mais de mon côté, je commence à sentir l’hypoglycémie. J’ai faim et même si c’est juste incroyable d’être où je suis… ça commence à être long. Je vois qu’il y a un paquet de crackers derrière la table de mixage. Discrètement, je me penche pour les prendre et là c’est la catastrophe. Je perds mon équilibre et je m’appuie sur la première chose qui est à la portée : tous ces beaux potards qui font en sorte que le son et les volumes soient équilibrés. J’essaie de me relever mais c’est encore pire : on entend du larsen jusque dans la cabine. Je tente de régler le problème, mais gérer un mixage ça n’a jamais vraiment été mon fort. C’est le guitariste qui finalement sort pour rétablir la situation alors que tout le monde se bouche les oreilles en faisant des grimaces. Une fois le problème réglé, le grand faux blond me crie : « Bloody hell man, can’t you behave ? I’m warning you, next time you’re out. » (Oui, je retranscris en anglais mais peut-être que l’allemand aurait convenu mieux pour dépeindre l’agressivité.) Je renonce aux crackers, de toute façon il doit y avoir de la graisse animale (et nous savons que McCartney est végétarien). La pause midi arrive enfin. Pour mon repas de midi, j’avais préparé un truc végétarien, histoire d’avoir un point en commun avec lui. On mange, on cause, l’ambiance se détend et tout le monde paraît avoir oublié le petit incident et leur mépris semble céder à une très discrète sympathie. On parle uploads/Litterature/ cronica-2.pdf
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- Publié le Mar 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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