September 27, 2019 LA RÉSISTANCE À L’OUBLI UN COMBAT POUR LA TROISIÈME GÉNÉRATI
September 27, 2019 LA RÉSISTANCE À L’OUBLI UN COMBAT POUR LA TROISIÈME GÉNÉRATION Voilà quatre-vingt années que la Seconde Guerre mondiale fut déclenchée et l'époque sombre de l'Occupation continue de hanter nos mémoires. Les familles doivent vivre avec les échos noirs ou glorieux du passé, avec l'ombre bienfaisante ou écrasante de leurs aïeux. Pleinement concernée par le sujet en tant que petite-fille d'un Résistant mort en déportation, Pascale Mottura convoque deux livres sur ce thème : La part du fils, de Jean-Luc Coatalem (Stock) et La fabrique des salauds, de Chris Kraus (Belfond) afin d'exprimer cette idée : grâce à l'accessibilité croissante des archives, la troisième génération peut s'armer pour résister à tous ceux qui tenteraient de biaiser, voire d'occulter l'histoire. Article publié par la revue L’Inactuelle le 28 septembre 2019 : https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli- pascale-mottura/ Pascale Mottura - https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/ 1 September 27, 2019 Sur la jaquette, des tourbillons rouges au sein d’un océan bleu-vert. J’y vois un ouragan de sang et d’eau, cramoisi de larmes. Surprise, cette oeuvre de Fabienne Verdier est titrée « L'essence des fleurs » . 1 Curieux choix iconographique pour La part du fils, dernier livre de Jean-Luc Coatalem ? Plutôt 2 l’annonce du principe vital guidant cet écrit sur la filiation et la cautérisation d’une plaie familiale. Une carence comblée au moyen d’une greffe littéraire. Ainsi agit, de greffon en greffon, la sève des végétaux. L’auteur dédie son roman à son père Pierre, enfant de déporté qui, face au choc provoqué par la disparition, s’est placé toute sa vie en état d’urgence, empêchant la diffusion de l’information, assignant la douleur à résidence, ses propres enfants interdits de séjour dans le pays de sa vulnérabilité. Dans La part du fils, Coatalem le voyageur fouille et trifouille ses racines pour régénérer le lien de père à fils. Une manière de cultiver son arbre de vie. « Ecrire comme un travail de deuil. Une effraction et une floraison » explique-t-il. Camille Coatalem (Paol dans le roman) fut arrêté le 1er septembre 1943 suite à une dénonciation vengeresse d’un salarié fraîchement licencié. Cette délation rapportait des propos anti- allemands : l’accusé l’aurait traité de « plus boche que les boches ». Buchenwald, Dora… Paol devint une « chair à chantier » avant de mourir à l’infirmerie de Bergen-Belsen après un bombardement, le 12 mai 1944. Il fut déporté dans le cadre de l’Aktion Meerschaum (« Ecume de mer »), nom de code d'une opération de « recrutement » en Europe de l’ouest d’une main d’œuvre apte à travailler pour le Reich. Plusieurs milliers d’hommes furent ainsi arrêtés dans toute la France pour s’être rendus coupables de délits politiques mineurs ou plus vaguement soupçonnés de sentiments anti- allemands et considérés comme simplement « douteux » par les autorités d’occupation. Ce père de famille cinquantenaire, lieutenant de réserve de l’infanterie coloniale, avait subi les orages d’acier de la première guerre mondiale, ce qui lui valut la croix de guerre en 1918. Le 15 mars 1943 il rejoignit le mouvement Libération-Nord dans le Finistère. Durant ces quatre mois et demi, son activité a consisté à fabriquer de faux papiers pour les réfractaires au STO. Fabienne Verdier, L'essence des fleurs, 2002. Encre, pigments et vernis sur toile. 1 La part du fils de Jean-Luc Coatalem, Stock, août 2019, 262 p. 2 Pascale Mottura - https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/ 2 September 27, 2019 Motif de son arrestation : « inconnu ». C’est la raison - ou plutôt l’absence de raison - indiquée le plus souvent sur les fiches des déportés de l’opération Meerschaum . La seule explication 3 réside dans la machine concentrationnaire et les besoins économiques de l’Allemagne nazie. C’est cela l’impensable, l’intolérable, cela qui empêche un sain travail de deuil. Dès lors, comment accepter la fin dramatique mais prosaïque de celui qui fut un soldat courageux en 14-18, au final broyé par le Reich comme un esclave, une bête de somme ? « Motif inconnu ». Jean-Luc Coatalem achoppe absolument sur ces mots et se bute dans une représentation imaginaire du parcours de son grand-père sublimé en héros de la Résistance. Là est « la clé initiale » de son récit mi-réel mi-fantasmatique. La détresse de l’auteur face à son père raidi par la peine est poignante. « Pierre n’en démordait pas. Le silence était une pâte transparente qui avait durci jusqu’à nous immobiliser dedans. Nous nous voyions à travers sans nous entendre. Ce drame ne serait jamais le mien ; il ne me l’accordait pas ; pourquoi insister ? ». Avec ses voyages « au pays des bourreaux », les plus belles pages du livre sont ces face-à-face sensibles où l’on voit Coatalem suffoquer sous la chape du silence paternel. « Silence du père. Silence sur le père. Silence des fils entre eux. » La littérature pour consolation Vrillé par la douleur tue dans sa famille, Coatalem veut donner vie et éclat à son « pauvre petit grand-père inconnu », quitte à rêver, à magnifier cette figure tutélaire. Contre vents et marées, bravant l’interdit paternel, il s’immerge dans une documentation historique, consulte les archives, se rend sur les lieux du malheur, de Brest à Bergen-Belsen, arrive « à la frontière du supportable », pour mieux extraire l’essence de sa propre vie. « Allant vers lui, j’avais fait au mieux un peu de chemin vers moi… ». Chemin faisant, il raccommode l’histoire, comble les trous par des visions habitées par ses fantasmes et servies par sa dextérité littéraire. Nonobstant les archives, il s’imagine diverses activités de résistance cachées, une arrestation violente, des interrogatoires sous torture. Bref, il crée Paol, avatar glorieux de Camille. Pour Coatalem, la littérature est une consolation. Dans la réalité, la famille de Camille Coatalem s’est vu refuser à deux reprises, en 1956 et en 1963, le titre de Déporté Interné Résistant pour ce dernier au motif que « l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées » (c’est-à-dire un acte qualifié de résistance à l’ennemi). Le statut de Déporté Interné Politique a été appliqué à son cas. Par ailleurs, la mention « mort pour la France », récompense morale relative à l’état civil, lui a été accordée. Rappelons que la loi du 6 août 1948 définit un statut des déportés et internés de la Résistance, celle du 9 septembre un statut de déporté et interné politique. Ce dernier ne renvoie pas à une quelconque activité politique, il concerne l’ensemble des autres déportés non résistants (juifs, Cf. thèse de doctorat de Thomas Fontaine. Déporter : politiques de déportation et répression en France occupée : 3 1940-1944. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2013. Français. NNT : 2013PA010602.tel-01325232. Pascale Mottura - https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/ 3 September 27, 2019 victimes de rafles, réfractaires au STO, communistes, personnes ayant manifesté des opinions anti-allemandes, etc.), à l’exclusion des condamnés de droit commun et des étrangers. 4 Les subtilités de la construction de ce livre ambigu ne pourront être décodées que par des lecteurs suffisamment avertis, possédant quelques notions sur l’historiographie de cette période, et sachant notamment en décrypter les archives. « Ce récit tient du roman » indique l’auteur dans sa postface. Le mot roman est écrit minusculement sur la couverture et la jaquette. Cette volonté de l’auteur et de l’éditeur de ballotter le lecteur entre faits réels et illusoires pose nettement la question morale de la vérité en littérature. La mémoire de la Résistance étant encore très sensible, cela devrait susciter le débat. Un grand sujet de roman serait une investigation des scrupules d’un homme qui, ayant dans sa jeunesse affronté avec courage les déluges de fer et de feu de la Grande Guerre, plus âgé et ayant charge de famille hésite à s’engager suprêmement contre l’ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour, en fin de compte, être rattrapé par un sort funeste, injuste et révoltant. C’est une grande question humaine. Les familles face à leur passé Selon les familles les chapes de plomb n’étouffent pas le même passé. Les petits-enfants des nazis, des collabos, des sympathisants vichystes et pro-allemands, des experts en marché noir, ne sont pas responsables des actes de leurs aïeux mais le poids de la seconde guerre mondiale pèse sur eux. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’extraire publiquement de cette sombre gangue. Que l’on pense à Dominique Fernandez, à Marie Chaix, à Alexandre Jardin… Pendant quinze années, le réalisateur et écrivain allemand Chris Kraus a exploré les archives de sa famille, des Allemands originaires des Pays baltes, pour retracer le parcours de son grand-père. Cet homme, il croyait le connaître, le trouvait affectueux et lumineux, jusqu’à ce qu’il découvre par hasard, en Source : Lucie Hébert, « Militer contre Vichy est-il un acte de résistance ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire 4 critique, 128 | 2015, 127-141. « Le statut de déporté résistant, symboliquement plus honorifique, ouvre aussi, jusque dans les années 1970, des droits plus avantageux que celui de déporté politique. » Pascale Mottura - https://linactuelle.fr/index.php/2019/09/28/resistance-oubli-pascale-mottura/ 4 Cette volonté de l’auteur et de l’éditeur de ballotter le lecteur entre faits réels et illusoires pose nettement la question morale de la uploads/Litterature/ la-resistance-a-l-x27-oubli 1 .pdf
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- Publié le Dec 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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