HIRAM ET SES FRÈRES : UNE LÉGENDE FONDATRICE par Roger DACHEZ S I L’ON CHOISIT,

HIRAM ET SES FRÈRES : UNE LÉGENDE FONDATRICE par Roger DACHEZ S I L’ON CHOISIT, COMME NOUS L’AVONS FAIT EN CONCEVANT CE COLLOQUE, D’ENTRER DANS LE PAYS DES LÉGENDES maçonniques, d’explorer une contrée peuplée d’êtres singuliers, aux aventures peu ordinaires, et d’aller à la découverte de lieux tous plus étonnants et plus secrets les uns que les autres, alors, à tout seigneur tout honneur : Hiram, à n’en pas douter sera notre première rencontre. Légende première en effet, au sens chronologique du terme, mais sans doute aussi légende fondatrice. Avant et après, la maçonnerie spéculative n’est plus tout à fait la même. L’expression même de maçonnerie spé- culative, dont l’ambiguïté ne sera jamais suffisamment soulignée, nous rappelle précisément qu’un des nom- breux problèmes, sinon à résoudre tout à fait, du moins à éclairer quelque peu, concerne l’ancienneté même de cette légende, et les rapports qu’elle aurait pu entretenir avec un fond légendaire traditionnel, ce que l’on appelle depuis la fin du XIXe siècle un folk-lore, propre aux communautés de bâtisseurs depuis le Moyen Âge. Dans le cadre de cet exposé, il n’est évidemment pas question d’épuiser un sujet aussi vaste et dont les contours sont du reste délicats à définir. Je me permettrai de rappeler que voici près de dix ans, j’y avais consacré dans la revue Renaissance Traditionnelle une longue recherche, sans doute à reprendre sans cesse, et que, pour certains points essentiels de ce débat, je m’y référerai encore aujourd’hui. Je souhaiterais aborder la question des sources possibles de cette légende et proposer quelques hypo- thèses vraisemblables quant aux circonstances de sa constitution. Je voudrais aussi dans un second temps exa- miner en quoi l’introduction de cette légende, dans les premières années du XVIIIe siècle a, d’une certaine manière, c’est en tout cas la thèse que je tenterai d’esquisser devant vous, profondément modifié la nature même de la jeune institution maçonnique pré-spéculative ou pour mieux dire, proto-spéculative. Les antécédents du nom de l’Architecte dans les Anciens Devoirs Le premier problème est celui du nom même d’Hiram comme désignant l’architecte dont le drame nous est révélé dans la fameuse divulgation de Samuel Prichard, Masonry Dissected, La Maçonnerie Disséquée, publiée à Londres en 1730. L’importance de la divulgation de Prichard n’est pas seulement de révéler pour la première fois un système en trois grades, culminant avec le grade de Maître – The Master’s Part. Son originalité profonde est bien de proposer la première version connue et cohérente de la légende qui devait désormais constituer le cœur de ce grade. La première source à laquelle il convient de puiser est celle des Anciens Devoirs. Dans la première géné- ration de ces textes, celle qui contient le Regius (c. 1390) et le Cooke (c. 1420), il existe bien une histoire tradi- tionnelle du Métier qui, notamment dans le second de ces manuscrits, renferme de nombreuses données bibliques ou patristiques. En aucun endroit cependant on ne mentionne un architecte du Temple de Salomon, et moins encore son nom. Le Ms Cooke contient seulement cette indication : N° 129 / janvier 2002  « Et lors de l’édification du Temple à l’époque de Salomon, il est dit dans la Bible, au 3è livre des Rois chapitre cinq, que Salomon avait quatre-vingt mille maçons à l’ouvrage. Et le fils du roi de Tyr était le maître maçon. » La mention précise du nom de cet artiste n’apparaît que dans la deuxième génération des Anciens Devoirs, celle qui s’ouvre avec le Ms Grand Lodge n° 1, daté de 1583. Dans le récit historique qui y figure, on trouve en effet le passage suivant : « Et après le décès du Roi David, Salomon qui était le fils du Roi David, acheva le Temple que son père avait commencé. Et il fit chercher des Maçons dans diverses contrées, et les assembla, de sorte qu’il eut quatre-vingt mille ouvriers, qui travaillaient la pierre et s’appelaient des Maçons, et il choisit trois mille d’entre eux qui furent dési- gnés pour être les Maîtres et Gouverneurs de ses ouvrages. De plus il y avait un Roi d’un autre royaume qui s’appe- lait Iram et qui aimait beaucoup le Roi Salomon et lui envoya du bois de charpente pour ses ouvrages. Et il possé- dait un fils nommé Anyone [quelqu’un] qui était Maître en Géométrie, chef de tous ses Maçons, et Maître des gravures et sculptures et de tous les autres procédés de la Maçonnerie utilisés pour le Temple. Et ceci est rapporté dans la Bible au troisième chapitre du quatrième Livre des Rois.2 » D’emblée, l’apparition de celui qui est appelé « chef des Maçons » – ou « Maître en Géométrie » – du Temple pose un problème quant à son identité. Le mot Anyone, qui signifie simplement quelqu’un, ne nous ren- seigne guère. On doit naturellement s’interroger sur cette appellation pour le moins énigmatique. Sachant que le Ms Grand Lodge n° 1 est probablement la copie d’un texte plus ancien, il se peut simplement que le terme Anyone soit dû au fait que le scripteur n’a pas pu lire correctement le nom qui figurait sur le manuscrit original. On retrouve en effet, à partir de cette époque, le nom de l’architecte dans plusieurs versions des Anciens Devoirs. Les variantes observées sont assez nombreuses : – dans trois textes, de 1600, 1670, 1700, on trouve le terme Amon; – dans une série de six textes, de 1670, 1680, 1693, 1700, 1702 et 1750, ce personnage se nomme Aynon; – trois versions, de 1670, 1680, 1690, donnent Aymon; – on peut encore en rapprocher le texte de 1600 qui porte A Man; – il faut également signaler des cas extrêmement divergents, tels que le texte de 1677 avec Apleo, de 1701 avec Ajuon, ou même celui de 1714 avec Benaim. Pour rendre compte de l’origine et de la signification probable de ces termes, deux hypothèses princi- pales ont été soulevées. La première, la plus naturelle, propose de voir dans ces différents termes une série de corruptions suc- cessives du nom d’Hiram. On pourrait ainsi suggérer la chaîne suivante : Hiram – Iram – Yram – Yrane – Ynane – Ynone – Aynone – Anyone. Selon cette thèse, le Maître des Maçons des Anciens Devoirs se serait tou- jours appelé Hiram, comme l’indique la Bible à laquelle ces textes se réfèrent explicitement, mais son nom n’aurait à aucun moment été orthographié correctement de 1583 à 1675 environ… C’est en effet à partir de cette dernière date que certains manuscrits donnent au personnage le nom qu’il porte dans la Bible. Cette mention n’est présente que dans dix-huit versions postérieures à 1675, et dont beau- coup sont même postérieures à 1723, date à laquelle, nous le reverrons, apparaît l’appellation Hiram Abif. L’hypothèse d’un Hiram primitif – et naturellement attendu – puis corrompu et seulement retrouvé à la fin du XVIIe siècle est philologiquement ingénieuse, mais difficilement convaincante, il faut le reconnaître. On ne peut toutefois totalement l’exclure. La seconde hypothèse, est que ces différents noms ne sont en effet que des corruptions d’un nom qui n’est pas Hiram, mais qui fait cependant référence à un personnage important du Métier. En d’autres termes il faudrait admettre que, bien que le nom de l’homme envoyé par Hiram de Tyr soit effectivement, dans la Bible, Renaissance Traditionnelle Roger Dachez  Hiram, les Anciens Devoirs lui en auraient, depuis au moins la fin du XVIe siècle, donné un autre, lié cependant aussi à la tradition du Métier. On a notamment retenu, comme forme initiale possible, le nom Amon, considérant que les formes Aynon, Aymon, s’expliqueraient ainsi très facilement par une minime erreur de graphie de la lettre M. Mais pourquoi ce nom? Amon apparaît en effet dans la Bible (Proverbes, 8, 30). Et en hébreu amon (aleph, mem, vav, noun) signifie ouvrier, artisan ou artiste, mais aussi architecte, ou encore tuteur, maître d’ouvrage. Dans le texte biblique, la Sagesse se présente ainsi : « […] quand II [le Seigneur] traça les fondements de la terre, je fus maître d’œuvre à son côté » (version T.O.B) Le sens d’artisan, collaborant à l’œuvre, semble le plus classiquement retenu, notamment dans la Vulgate, reflétant les conceptions les plus anciennes en ce domaine, et dont proviennent toutes les citations bibliques médiévales, où Saint-Jérôme dit : « Quando appendabat fundamenta terrae, Cum eo eram, cuncta componens. » ce que l’on peut rendre par : « Tandis qu’il établissait les fondements de la terre, J’étais avec lui, rassemblant toutes choses. » Si cette hypothèse concernant Amon est séduisante, elle se heurte cependant à quelques objections : c’est d’abord la forme la moins souvent attestée dans les nombreuses versions des Anciens Devoirs, et surtout elle n’a jamais été connue comme telle dans les bibles occidentales, puisque amon est un nom commun, par conséquent toujours traduit (artisan, architecte, etc.). Il ressort donc de cette analyse que l’hypothèse Amon est avant tout un exercice d’érudition hébraïque qui ne tient pas compte des conditions dans lesquelles les textes des Anciens Devoirs ont été rédigés et transmis. Aymon, uploads/Litterature/ dachez-hiram-pdf.pdf

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