De l'horrible danger de la lecture Voltaire Introduction Voltaire excelle dans
De l'horrible danger de la lecture Voltaire Introduction Voltaire excelle dans le pamphlet, genre qui lui permet de se livrer à une critique virulente et de montrer ses qualités polémiques. On y retrouve des thèmes récurrents dans ses essais et ses contes philosophiques: la dénonciation de l'intolérance, des préjugés, de la superstition, de la censure, de l'arbitraire de certaines décisions autoritaires, etc. Ce pamphlet est une synthèse des idées des Lumières. L'auteur fait ici la parodie des textes explicitant les décisions d'interdiction; il se place dans le contexte oriental pour composer un édit d'interdiction de l'imprimerie et de la lecture (à ce moment-là l'imprimerie venait d'être introduite en Turquie). C'est un texte construit sur des procédés d'antiphrase systématiques, et sous le couvert des accusations à l'égard de l'imprimerie il faut en voir un éloge. Voltaire critique également les pouvoirs arbitraires qui maintiennent les peuples dans l'ignorance: c'est un plaidoyer pour la diffusion des oeuvres et des idées. Lecture du texte De l'horrible danger de la lecture Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à 1 dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine. 3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place. 4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance. 5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence. A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants 2 de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime- Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire. Annonce des axes Analyse méthodique I La structure du texte et les étapes de l'argumentation Le texte est morcelé en une succession de paragraphes numérotés et brefs, en plus de l'introduction et la conclusion. Dans l'introduction, on voit les titres de l'auteur de l'édit (« mouphti du Saint-empire ottoman »), des formules de politesse orientales (« lumières des lumières »), et les circonstances fâcheuses qui expliquent la décision d'interdire l'imprimerie: le retour d'un ambassadeur détenant cette invention dangereuse, puis l'auteur énumère les raisons de l'interdiction dans les paragraphes numérotés au conditionnel. Les « risques » entraînés par l'introduction de l'imprimerie et de la lecture sont diverses: cela dissiperait l'ignorance, améliorerait l'agriculture et l'industrie (progression sociale et morale), diffuserait l'Histoire objective pouvant faire réfléchir les hommes, répandrait la philosophie des Lumières: « éclairer les hommes » et mettant en jeu des vertus morales, remplacerait la 3 superstition par la vraie religion, et enfin entraînerait des progrès dans la médecine. Les deux derniers paragraphes ne sont pas numérotés, et précisent les modalités d'application de l'interdiction de lire, puis de penser. II L'efficacité Le choix du contexte oriental et caricatural se justifie par le fait que cela apparaît très loin de la France et des Occidentaux. 1. les indices de la fiction orientale On retrouve des notions de lieu: « Saint-empire ottoman », « Stambul », mettant en valeur l'éloignement de la France: « Frankrom », « les auteurs occidentaux »; des notions de temps, par des dates données dans le calendrier musulman: « l'an 1143 de l'Hégire », et des références au contexte administratif et religieux: « Joussouf-Chéribi », religieux: « cadi », « imans ». 2. l'efficacité de la fiction orientale Cette efficacité se situe à plusieurs niveaux. Tout d'abord, localiser le récit dans un pays lointain permet à Voltaire de se dégager de la censure et d'exploiter toute la gamme de l'ironie; si le lecteur ne lit pas avec assez d'attention, il peut voir les choses au premier degré avec uniquement une condamnation des régimes orientaux autoritaires. Mais certains indices servent à avertir le lecteur: « sottise et bénédiction », « notre palais de la stupidité ». La fiction orientale permet également de mettre l'accent sur le fait que la décision est guidée par la superstition: les fakirs sont mis sur le même plan que les théologiens musulmans. III Ce que dénonce Voltaire Voltaire montre à travers ce texte que l'imprimerie est indispensable dans tous les domaines en exposant les pseudo-avantages que pourrait tirer un régime autoritaire en la condamnant, c'est à dire en condamnant la connaissance et ses bienfaits. La violence des termes « pernicieux usage », « proscrire », « infernale » qui sont censés justifier la décision de l'imprimerie, permettent à l'auteur d'insister sur ses bienfaits. En effet, pour l'état autoritaire, l'imprimerie est une invention pernicieuse, tandis que pour Voltaire la connaissance est indispensable pour lutter contre l'obscurantisme. Elle favorise le progrès, le confort, et fait progresser la vertu (progrès moral). Ainsi, l'ignorance de l'Histoire maintient le peuple dans le mensonge et le merveilleux, alors que sa connaissance permet la réflexion historique, source de raison. L'ignorance du vrai sentiment religieux condamne à 4 la superstition et à des pratiques superficielles; l'ignorance de la médecine soumet la population à la Providence, alors que sa connaissance permettrait de guérir des épidémies (cf. article « inoculation »), etc. Conclusion Il y a donc un parallèle entre ce qui est dit et ce qui est réellement prôné par Voltaire, qui correspond aux points essentiels de la philosophie des lumières (cf. « misérables philosophes »). Ce commentaire de l'Horrible danger de la lecture est sous la licence de documentation libre GN 5 uploads/Litterature/ de-l-x27-horrible-danger-de-la-lecture 2 .pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0499MB