DÉCONSTRUCTION ET DIFFÉRANCE Par Lucie Guillemette et Josiane Cossette Universi

DÉCONSTRUCTION ET DIFFÉRANCE Par Lucie Guillemette et Josiane Cossette Université du Québec à Trois-Rivières lucie_guillemette@uqtr.ca Ce texte peut être reproduit à des fins non commerciales, en autant que la référence complète est donnée : - Lucie Guillemette et Josiane Cossette (2006), « Déconstruction et différance », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http ://www.signosemio.com . 1. RÉSUMÉ Les théories du signe de Jacques Derrida s’inscrivent dans le courant poststructuraliste, opposé au structuralisme saussurien (provenant des théories du linguiste Saussure), où le signifiant (la forme d’un signe) renvoie directement au signifié (le contenu d’un signe), et qui véhiculait toute une pensée logocentrique (centrée sur la parole), celle existant depuis Platon. À l’aide de l’écriture (du signe), Derrida se propose de faire échec à l’histoire métaphysique fonctionnant sous le mode d’oppositions. Il élabore une théorie de la déconstruction (du discours, donc, suivant sa conception du monde), qui remet en cause le fixisme de la structure pour proposer une absence de structure, de centre, de sens univoque. La relation directe entre signifiant et signifié ne tient plus et s’opèrent alors des glissements de sens infinis d’un signifiant à un autre. 2. THÉORIE 2.1 CONTEXTE ET PHILOSOPHIE Le terme « poststructuralisme » réfère à une perspective critique ayant émergé dans les années soixante- dix et qui détrône le structuralisme comme figure dominante de pensée du langage et du texte. Pour bien comprendre le poststructuralisme, il faut l’examiner en relation avec le structuralisme. La critique déconstructionniste souscrit à la vision poststructuraliste du langage où les signifiants (la forme des signes) ne renvoient pas à des signifiés définis (le contenu des signes), mais résultent plutôt en d’autres signifiants. Derrida (1967 : 409) s’oppose au centre inhérent à « la structuralité de la structure ». Avec Claude Lévi- Strauss comme représentant de la pensée structuraliste, Derrida montre que, avec la prohibition de l’inceste, les oppositions nature/culture et universel/normatif, la structure ne peut plus tenir : « la prohibition de l’inceste est universelle [naturelle] ; mais elle est aussi une prohibition, un système de normes et d’interdits [culturelle] » (Derrida, 1967 : 415). Derrida rejette donc l’histoire métaphysique hiérarchisante et les dichotomies qui ont survécu jusqu’alors et sur lesquelles tout le raisonnement logique (logos, qui veut dire langage) du monde était fondé. Derrida rejette le structuralisme et le schéma saussurien (la relation signifiant/signifié) est par conséquent révisé. REMARQUE : DERRIDA ET LES OPPOSITIONS La structure que Derrida rejette est binaire et dépasse la seule opposition signifiant/signifié. Cette structure est en fait celle de l’histoire de la pensée, qui conçoit le monde selon un système d’oppositions qui se décline à l’infini : logos/pathos, âme/corps, même/autre, bien/mal, culture/nature, homme/femme, intelligible/sensible, dedans/dehors, mémoire/oubli, parole/écriture, jour/nuit, etc. 2.2 CONCEPTS Afin de bien exposer la théorie de Derrida, qui s’inscrit à la fois sur les plans philosophique et sémiotique, il importe de bien définir les concepts qui composent sa pensée. Vu l’étroit tissage de plusieurs de ces concepts les uns avec les autres et l’impossibilité d’en définir un sans tenir compte des autres, chaque partie regroupe plusieurs concepts. 2.2.1 SIGNE, SIGNIFIANT, SIGNIFIÉ Le rapport signifiant-signifié n’est plus celui du structuralisme. Aussi, il y a deux manières d’effacer la différence entre le signifiant et le signifié, « [l]’une, la classique, consiste […] à soumettre le signe à la pensée ; l’autre, celle que nous dirigeons ici contre la précédente, consiste à mettre en question le système dans lequel fonctionnait la précédente réduction : et d’abord l’opposition du sensible et de l’intelligible » (Derrida, 1967 : 413). Soulignons que, selon le structuralisme, le signifiant est la partie sensible du signe, puiqu'elle est saisissable par les sens, en tant qu'enveloppe matérielle permettant d'accéder au signifié. Le signifié correspond quant à lui à l'idée, au concept, immatériel et intelligible. C'est cette opposition que dénonce Derrida. La conception derridéenne du signe est donc toujours liée à la structure de la philosophie occidentale. Le schéma signifiant = signifié (relation directe entre signifiant et signifié) est donc revu. Prenons l’exemple de l’eau : Lors de la lecture du mot « eau », on peut penser à des gouttes d’eau, à un lac, au symbole chimique , etc. On ne pense pas nécessairement à une image fixe de l’eau, à une représentation mentale universelle. Aussi, chaque concept (signifiant) auquel l’« eau » peut référer renvoie à un autre signifiant. Cette chaîne de signifiant à signifiant, infinie, se traduit par un jeu sans fin et ouvre le texte, le déplace, le rend mouvant. 2.2.2 ÉCRITURE, TRACE, GRAPHE, GRAMME Les mots, naturellement, réfèrent ou en « citent » d’autres. La grammatologie de Derrida propose que l’écriture est originaire, au même titre que la voix, tension perpétuelle sans rapport de force. Par conséquent : -L’écriture ne peut donc être une reproduction de la langue parlée puisque aucune (ni l’écriture, ni la langue parlée) n’arrive avant. -De cette façon, l’écriture n’est pas la simple graphie, mais l’articulation et l’inscription de la trace. La trace est, quant à elle, originaire, non originelle : elle véhicule l’impossibilité de l’origine, d’un centre. Elle est la non-origine de l’origine. Elle est « l’origine absolue du sens en général. […] La trace est la différance qui ouvre l’apparaître et la signification » (Derrida, 1967 : 95). Seulement, si « la trace […] appartient au mouvement même de la signification, celle-ci est a priori écrite, qu’on l’inscrive ou non, sous une forme ou sous une autre, dans un élément « sensible » et « spatial », qu’on appelle « extérieur » (1967 : 103). Derrida parle aussi de la trace comme d’une archi-écriture, « première possibilité de la parole » (1967 : 103), et aussi première possibilité de la graphie. Le concept de « graphie » a besoin de la trace pour vivre et il implique « comme la possibilité commune à tous les systèmes de communication, l’instance de la trace instituée » (1967 : 68). Lorsqu’on associe la trace au graphe (gestuel, visuel, pictural, musical, verbal), cette trace devient gramme (lettre). À cet instant seulement apparaît le dehors (opposé du dedans), en tant qu’ « extériorité spatiale et objective » (1967 : 103). L’archi-écriture dont parle Derrida est en fait une écriture généralisée par la différance. Cette différance (le a est ici trace, gramme), comme temporalisation, est quant à elle la trace de l’écrit dans le parlé. Par exemple, les signes de ponctuation sont un supplément au parler, ils n’en sont pas la reproduction. 2.2.3 TEXTE, TEXTUALITÉ, CLÔTURE, NON-CLÔTURE Selon Derrida, le texte ne peut s’expliquer par l’origine (auteur, société, histoire : soit le contexte) puisque la répétition est à l’origine. Le texte est écriture et l’écriture est langue (non intention). Elle est langue par rapport au discours qui la met en œuvre. Cependant, seule la lecture rend le texte et l’écriture possibles. L’archi-écriture, c’est la lecture incluant l’écriture. Ce qui caractérise l’écriture, c’est la textualité, qui est à la fois clôture et non-clôture du texte : « on ne peut penser la clôture de ce qui n’a pas de fin. La clôture est la limite circulaire à l’intérieur de laquelle la répétition de la différance se répète indéfiniment. C’est-à-dire son espace de jeu. Ce mouvement est le mouvement du monde comme jeu » (Derrida, 1967 : 367). 2.3 THÉORIE DE LA DÉCONSTRUCTION Derrida s’est intéressé à une opposition en particulier, celle entre l’écriture et la voix. L’approche critique de la déconstruction de Derrida nous montre que ces dualismes ne sont jamais équivalents, mais hiérarchisés. Un pôle (présence, bien, vérité, homme, etc.) est privilégié aux dépens du second (absence, mal, mensonge, femme, etc.). Dans le cas de la voix et de l’écriture, on attribue au parler les qualités positives d’originalité, de centre et de présence, tandis que l’écriture est reléguée au second plan, à un statut dérivé. Depuis Platon, le mot écrit était considéré seulement comme une représentation du mot dit : c’est ce que Derrida nomme la tradition logocentriste de la pensée occidentale. « La déconstruction désigne l’ensemble des techniques et stratégies utilisées par Derrida pour déstabiliser, fissurer, déplacer les textes explicitement ou invisiblement idéalistes » (Hottois, 1998 : 399 - 400). Toutefois, déconstruire n’est pas détruire et la déconstruction s’effectue en deux temps : 1. Une phase de renversement : comme le couple était hiérarchisé, il faut d’abord détruire le rapport de force. Dans ce premier temps, l’écriture doit donc primer sur la voix, l’autre sur le même, l’absence sur la présence, le sensible sur l’intelligible, etc. 2. Une phase de neutralisation : on arrache le terme valorisé lors de la première phase à la logique binaire. Ainsi, on abandonne les significations antérieures, ancrées dans cette pensée duelle. Cette phase donne naissance à l’androgynie, à la super-voix, à l’archi-écriture. Le terme déconstruit devient donc indécidable (Hottois, 1998 : 306). La déconstruction s’applique à des textes, majoritairement ceux de l’histoire de la philosophie occidentale. Les nouveaux termes deviennent ainsi indécidables, les rendant inclassables et faisant en sorte qu’ils amalgament deux pôles auparavant opposés. REMARQUE : LE PHARMAKON DE PLATON Derrida a procédé à une lecture déconstructionniste uploads/Litterature/ derrida-deconstruction-et-differance.pdf

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