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Université Catholique de Louvain Faculté de Philosophie, Arts et Lettres Département de Langues et Lettres françaises et romanes DU « MOI SOCIAL » AU « MOI PROFOND » DE L’ARTISTE CONVERSION D’UN ETHOS PÉJORATIF Séminaire d’esthétique littéraire (LROM2715) sous le tutorat de M. Michel LISSE Travail présenté par Charles LIZIN Année académique 2020-2021 1 2 Sommaire Sommaire…………………………………………………………………………………..….…….. 3 Introduction…………………………………………………………………………………..……... 5 I. Le paramètre « auteur » chez Sainte-Beuve, Proust et les analystes du discours……….…...…… 7 I. 1. De la méthode de Sainte-Beuve à l’antibiographisme proustien………………..………… 7 I. 2. L’analyse du discours : un retour au biographisme ?…………………………..………….. 9 II. L’inscription de l’auteur dans le tiers de l’institution littéraire….………….………….….……. 11 II. 1. La paratopie : amorce de l'élaboration d'une posture auctoriale.……….…….…….….... 11 II. 2. La posture auctoriale : une construction prise entre le texte et son contexte….…..….…. 12 III. De l'homme du monde à l'homme de lettres..…………………………………………….…… 16 III. 2. Proust, chroniqueur mondain……………………………………………………….….. 16 III. 2. De la mondanité à la solitude : l’émergence du romancier.………………………….… 17 III. 3. Le parcours de Marcel : de la quête au rejet de la mondanité.……….…….….……..… 21 Conclusion…………………………………………………………………………………………. 27 Bibliographie………………………………………………………………………………………. 30 3 4 Introduction En 1908, Marcel Proust rédige pour le Figaro un article intitulé « Contre Sainte-Beuve ». Après quelques remaniements, ce texte est renommé « La méthode de Sainte-Beuve ». Celui-ci intègre le recueil de critiques littéraires publié à titre posthume en 1954 et intitulé, d’après l’article initial, Contre Sainte-Beuve. Dans ce célèbre essai, considéré comme l’embryon du cycle romanesque de la Recherche du temps perdu, Marcel Proust fustige Charles-Augustin Sainte-Beuve. Il lui reproche d’avoir mis au point une méthode d’interprétation consistant à expliquer le texte littéraire à la lumière de la vie de l’auteur. Proust considère que l’on peut prétendre connaître la vie publique d’un auteur, mais pas celle de l’artiste. Latente, celle-ci ne se révèle que par intermittences dans le travail artistique. Proust distingue ainsi le « moi social » superficiel du « moi profond » de l’artiste. Vincent Engel explique à propos de cette distinction : […] Proust a clairement démontré, dans ses attaques contre Sainte-Beuve, que le "moi social" d'un écrivain ne peut se confondre avec son "moi profond" et qu'il faut se garder impérativement de tout lien avec l'homme que l'on croit pouvoir connaître […]. Rares sont ceux qui se sont demandé, pourtant, le réel crédit qu'il fallait accorder à une telle affirmation lorsqu'elle est formulée par un écrivain qui, plus que tout autre sans doute, tenait à conserver secret l'essentiel de sa vie privée.1 Selon Vincent Engel, Proust aurait établi cette distinction dans l’intention de préserver son intimité. Il est vrai que, de cette manière, l’écrivain cherchait probablement à nier tout rapprochement entre son orientation sexuelle et celle du Baron de Charlus, par exemple. Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que Marcel Proust souhaitait se prémunir de toute attaque susceptible d’affecter sa réputation. Si le monde représenté dans l’œuvre de fiction est à même d’influencer l’autorité de celui qui la crée, cette dynamique fonctionne également dans le sens inverse. D’ailleurs, si André Gide s’accuse d’avoir refusé la publication de la Recherche à la N. R. F., c’est – avouera-t-il dans une lettre adressée à Marcel Proust – parce qu’il le considérait comme un snob, un mondain amateur. Le monde créé et le monde d’où l’on crée correspondent en fait aux deux dimensions du discours : le texte et son contexte. L’un et l’autre interagissent, selon Dominique Maingueneau. Néanmoins, l’auteur de la Recherche avait de bonnes raisons de les isoler. En distinguant le « moi social » du « moi profond » Prout « établit une barrière entre une instance profane qui vaquerait aux 1 ENGEL, Vincent. 2013. Fiction : l'impossible nécessité. Sur les récifs des sirènes naissent les récits des silènes. Hévillers : Ker édition. p. 290. 5 affaires du monde ordinaire et une instance sacrée qui se tiendrait dans l'enceinte protégée de la chose littéraire »2. Autrement dit, cette distinction permet de légitimer à la fois l’œuvre, à laquelle on ne saurait reprocher les travers de l’auteur en tant qu’homme du monde, et son créateur, qui apparaît comme une instance sacrée – pour reprendre les termes de Dominique Maingueneau. Ainsi, qu’il en ait été conscient ou non, Proust désirait présenter une image avantageuse de lui, celle du créateur retiré des affaires du monde. En renégociant lui-même son image d’auteur, l’écrivain tente de se faire une place dans le monde des Lettres. Ruth Amossy explique à ce propos que « c’est lorsque l’image d’auteur est produite et assumée par l’écrivain dans une stratégie de positionnement plus ou moins délibérée […], qu’elle peut recevoir le nom de posture »3. La posture telle que la définit Jérôme Meizoz comporte deux dimensions : la première, contextuelle, correspond à la manière de se présenter en public ; la seconde, textuelle, correspond à l’image que l’auteur donne de lui à travers des choix stylistiques, formels et thématiques visibles dans le texte. La méthode d’interprétation établie par Jérôme Meizoz consiste donc à analyser les relations qui existent entre l’image publique de l’écrivain et celle qu’il laisse transparaître dans ses textes. C’est grâce à cette méthodologie qu’il sera possible de répondre à la question suivante : dans quelle mesure, sur les plans textuels et contextuels, la distinction que Proust établit entre le « moi social » et le « moi profond » permet-t-elle à l’auteur de revaloriser sa posture auctoriale et de le légitimer au sein du champ littéraire ? Pour se faire, il sera nécessaire, dans un premier temps, de revenir sur les postulats de Sainte- Beuve et de Proust afin de comprendre l’apport de l’analyse du discours et l’intérêt d’appliquer la méthode d’interprétation mise au point par Jérôme Meizoz. Naturellement, il conviendra ensuite de poser le cadre théorique et méthodologique. Il s’agira plus précisément de définir les concepts de paratopie, de posture et d’ethos. Ce n’est qu’à l’aide de ces outils qu’il sera alors possible, dans un troisième et dernier temps, d’analyser les dimensions textuelles et contextuelles de la posture auctoriale élaborée par Marcel Proust. 2 MAINGUENEAU, Dominique. 2006. Contre Saint-Proust ou la fin de la littérature. Paris : Éditions Belin. p. 70. 3 AMOSSY, Ruth. 2009. « La double nature de l’image d’auteur ». In Argumentation et analyse du discours. [En ligne]. vol. 3. n° 3. §° 15. https://doi.org/10.4000/aad.656 (consulté le 25 mai 2021). 6 I. Le paramètre « auteur » chez Sainte-Beuve, Proust et les analystes du discours La méthode de Jérôme Meizoz permet d’étudier l’une des médiations possibles entre l’homme et son œuvre. En cela, la méthodologie des analystes du discours semble contraire à l’esthétique proustienne qui refuse tout rapprochement entre l’œuvre et son auteur. Néanmoins, il ne s’agit pas pour autant de revenir à la critique biographique telle que l’envisageait Sainte-Beuve. Saisir les différentes nuances qu’il existe entre ces différentes approches permettra de mieux comprendre l’enjeu de cette étude. I. 1. De la méthode de Sainte-Beuve à l’antibiographisme proustien Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les écrivains vivaient du mécénat et étaient tenus d’ajuster leurs œuvres à la demande des puissants. Dès lors, la personnalité de l’auteur apparaissait bien peu dans les processus de création et de réception de l’œuvre. Dans la première moitié du XIXe siècle, le champ littéraire s’autonomise, ce qui favorise l’apparition de la critique biographique. David Vrydaghs explique à ce propos : Cette méthode critique se développe en effet à partir du moment où l’écrivain devient son propre maître et que s’impose en littérature un régime de singularité selon lequel l’originalité de la création, la singularité du style et le génie de l’écrivain deviennent les critères à partir desquels se mesure la valeur d’une œuvre littéraire.4 Les partisans de cette méthode biographique soutiennent que, pour interpréter une œuvre littéraire, il faut d’abord connaître l’homme qui en est l’auteur. Selon eux, une solide connaissance biographique permet de découvrir l’intention de l’auteur qui confère tout son sens à l’œuvre. Le représentant le plus illustre de la critique biographique est Charles-Augustin Sainte-Beuve. Sa pensée ne saurait être mieux résumée que par ses propres mots : La littérature, la production littéraire, n’est point pour moi distincte ou du moins séparable du reste de l’homme et de l’organisation ; je puis goûter une œuvre, mais il m’est difficile de la juger indépendamment de la connaissance de l’homme même ; et je dirais volontiers : tel arbre, tel fruit. L’étude littéraire me mène, ainsi tout naturellement à l’étude morale.5 4 HEINICH, Nathalie. 2005. L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique. Paris : Gallimard. Cité dans VRYDAGHS, David. 2017-2018. Théorie de la littérature. [Syllabus]. Unamur, département de Langues et Lettres françaises et romanes. p. 45. 5 SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin. 1865. Nouveaux lundis. Tome III. Paris : Michel Lévy frères. p. 15. 7 Bien avant que Roland Barthes ne proclame « la mort de l’auteur », certains écrivains ont contesté la méthode de Sainte-Beuve, le plus célèbre étant Marcel Proust. Celui-ci ne conçoit pas que l’on puisse juger l’œuvre d’un auteur en s’appuyant sur des connaissances plus ou moins étayées de uploads/Litterature/ du-quot-moi-social-quot-au-quot-moi-profond-quot-de-l-x27-artiste-conversion-d-x27-un-ethos-pejoratif.pdf
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- Publié le Jui 02, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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