Belphégor Littérature populaire et culture médiatique 11-1 | 2013 Fantômas dans

Belphégor Littérature populaire et culture médiatique 11-1 | 2013 Fantômas dans le siècle Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et héritages sériels Matthieu Letourneux Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/belphegor/286 DOI : 10.4000/belphegor.286 ISSN : 1499-7185 Éditeur LPCM Référence électronique Matthieu Letourneux, « Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et héritages sériels », Belphégor [En ligne], 11-1 | 2013, mis en ligne le 09 juillet 2013, consulté le 05 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/belphegor/286 ; DOI : 10.4000/belphegor.286 Ce document a été généré automatiquement le 5 mai 2019. Belphégor est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et héritages sériels Matthieu Letourneux 1 Le début du XXe siècle a représenté une rupture majeure dans le domaine de l’édition populaire. De nouvelles pratiques ont transformé en profondeur la communication littéraire, de la production à la réception. En lançant « Le Livre populaire » à 65 centimes, Fayard a été l’artisan de cette mutation. Avec cette collection à très bon marché, la logique de diffusion des fictions populaires qui s’était imposée au cours du XIXe siècle, celle de publications en feuilletons dans la presse ou en livraisons, s’est vue brutalement concurrencée par la vente d’ouvrages offrant un récit complet en un seul volume, pour un prix bien moindre que celui, cumulé, des livraisons1. Un tel changement a non seulement bouleversé les modes de consommation de l’imprimé, mais induit également des mutations radicales dans l’écriture des textes, dans leurs structures narratives et, par contamination diégétique, dans les imaginaires et les logiques architextuelles des œuvres. 2 Il a évidemment fallu du temps pour que les transformations éditoriales se répercutent sur la nature des textes. En particulier, il a fallu attendre que les éditeurs ne se contentent plus de reprendre en volumes les feuilletons écrits dans les décennies précédentes pour commencer à publier des œuvres inédites et qu’apparaissent de nouvelles générations d’auteurs qui conçoivent dès l’abord leurs œuvres pour ces collections. Or, l’une des premières publications à marquer une telle rupture est la série des Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain. Comme telle, elle peut être considérée comme une œuvre charnière – expression galvaudée, mais qui prend ici tout son sens dans la mesure où la série s’invente en réarticulant l’héritage du feuilleton pour l’adapter à de nouveaux supports. En tant que telle, Fantômas doit être considéré dans son ambiguïté formelle, marquée à la fois par un imaginaire déclinant, celui des fictions du XIXe siècle, et par les contraintes des nouveaux supports, qui lui imposent de réinventer ces modes d’expression dont il hérite. Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et hér... Belphégor, 11-1 | 2013 1 Fayard et les séries éditoriales « plus inquiétant que Cartouche, plus subtil que Vidocq, plus fort que Rocambole » Trois couvertures des séries (« Cartouche », « Œuvres de Ponson du Terrail – Rocambole » et « Vidocq ») qu’expérimente Fayard à partir de 1908 Collection personnelle 3 Pour se convaincre que Fantômas a été conçu dès l’origine comme une œuvre destinée à exploiter les nouveaux formats de l’édition, il suffit de regarder la position de la série dans le catalogue du « Livre populaire ». De 1905 à 1910, « Le Livre populaire » réédite essentiellement des œuvres publiées auparavant en feuilleton, à l’instar d’Emile Gaboriau, de Paul Féval, d’Eugène Sue ou même de Michel Zévaco. Mais la pression de la concurrence2 et l’épuisement de son catalogue d’anciens titres directement transposables en volume, conduisent l’éditeur à modifier ses pratiques à partir de 1908. Peut-être influencé par les modèles des dime novels importés des Etats-Unis par Eichler en 1907, il expérimente alors un principe de sous-séries, créant des unités romanesques secondaires, à l’instar, dès 1908, de la collection des « Œuvres de Ponson du Terrail » (à partir de septembre, 46 volumes3). Il s’agit de trouver une solution adaptée à la collection pour publier des récits trop longs pour être offerts d’un seul tenant ou en deux tomes, comme c’était le cas en général auparavant. On propose alors une série de volumes possédant chacun leur titre propre, mais avec un surtitre invitant à considérer qu’il existe une unité les liant ensemble (« La jeunesse du roi Henri », quatre titres, « Rocambole », quinze titres, etc.). On convertit en série, ou en cycle, ce qui était alors conçu comme un roman- feuilleton unifié. 4 La pratique de sérialisation des romans se généralise chez l’éditeur de 1909 à 1911, avec coup sur coup les séries Vidocq, Cartouche et Mandrin4. Les trois titres indiquent déjà une orientation du regard du lecteur : on l’invite à voir dans la sous-collection éditoriale non plus un feuilleton découpé en parties, mais une série de romans à héros récurrent. Dans le cas de Cartouche le procédé semble en outre reposer sur l’association du feuilleton original (correspondant aux deux premiers volumes), et de suites qui n’ont pas été proposées auparavant en livraisons (Le Fils de Cartouche et ses suites n’avaient été ajouté que plus tard, dans une publication en fascicules de 1907). A travers ces collections, ce Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et hér... Belphégor, 11-1 | 2013 2 qu’expérimente Fayard, c’est une forme mixte, avec des personnages récurrents et des volumes aux intrigues en partie seulement distinctes les unes des autres. 5 Ainsi voit-on se dessiner une tendance nette, dans l’histoire éditoriale de Fayard, à la constitution de sous-séries articulées autour de personnages ou d’univers de fiction récurrents, visant à fidéliser le lecteur, mais aussi à identifier des unités narratives propres : dans le paratexte, la série des romans de Cartouche ou de Mandrin est par exemple présentée comme un seul et même « grand roman historique », mais fragmenté en titres donnant tous des indices d’une relative indépendance (Les Ruses de Cartouche, Le Fils de Cartouche, etc.) autrement dit comme une unité narrative décomposée en volumes. Combinant capital éditorial et innovations, Fayard tente d’altérer le mode de lecture des romans-feuilletons déjà présents dans son catalogue pour les associer aux nouvelles pratiques induites par sa collection. Dans les années qui suivent, Ferenczy procédera de la même façon avec Zigomar5, de même qu’Offenstadt, qui proposera des pratiques similaires dans sa « Collection d’aventures »6. Tous tentent d’exploiter un support dont ils perçoivent bien qu’il repose sur une tension entre l’unité du volume et celle de la collection, sans abandonner tout à fait les habitudes de lecture héritées du roman- feuilleton du XIXe siècle. Fantômas, un projet éditorial Couverture du premier volume de Carot coupe-tête et du Pendu de Londres Carot Coupe-Tête et Fantômas sont deux séries conçues tout spécialement pour Fayard Collection personnelle 6 C’est dans ce contexte que vont paraître en quelques mois deux collections de romans inédits, Fantômas à partir du 10 février 1911, et « Carot Coupe Tête » de Maurice Landay à Des feuilletons aux collections populaires : Fantômas, entre modernité et hér... Belphégor, 11-1 | 2013 3 partir d’octobre 1911. Par rapport aux séries antérieures, qui adaptaient au format et à la logique du « Livre populaire » des œuvres existant antérieurement, ces deux collections obéissent à des logiques sensiblement différentes, puisqu’elles sont conçues directement pour le « Livre populaire », et exploitent les spécificités des nouveaux supports. 7 Les deux séries sont loin cependant de se détacher réellement du contexte qui les porte, et se conçoivent en un sens comme des avatars des productions précédentes de l’éditeur. Carot Coupe Tête s’inscrit dans le droit fil des romans historiques de Mandrin ou de Cartouche. Quant à Fantômas, il exhibe sa relation aux séries antérieures comme un argument de vente. Les publicités Fayard le claironnent : Fantômas est « plus inquiétant que Cartouche, plus subtil que Vidocq, plus fort que Rocambole ». Ce que nous identifions aujourd’hui comme une lignée générique, celle du roman criminel des XVIIIe et XIXe siècles, désigne avant tout un contexte éditorial, renvoyant aux trois collections à succès du « Livre populaire » publiées dans les années précédentes. Souvestre et Allain jouent d’ailleurs eux-mêmes de ce renvoi d’ascenseur éditorial, puisque, dans le premier chapitre de leur roman, ils écrivent que « de tout temps on a connu l’existence de bandes redoutables, à la tête lesquelles se trouvaient des chefs tels que Cartouche, Vidocq, Rocambole… » y ajoutant, pour faire bonne mesure, une référence au « Masque de fer » qu’Edmond Ladoucette avait fait paraître dans « Le Livre populaire » l’année précédente. Les références aux succès de leur éditeur – et en particulier à des séries à succès – montrent que Souvestre et Allain avaient bien perçu la nature éditoriale du projet dans lequel ils s’engageaient : thématiser dans un ensemble d’œuvres aux personnages récurrents le principe de tension entre l’unité du volume et celle de la collection, à des fins de fidélisation. 8 Reste que quand Souvestre et Allain comparent Fantômas à Cartouche, Vidocq et Rocambole, ils invitent à opérer uploads/Litterature/ des-feuilletons-aux-collections-populaires-fantomas-entre-modernite-et-heritages-seriels.pdf

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