M É D I A T H È Q U E d e C H Â T E A U N E U F Journal des lecteurs Avril 2022

M É D I A T H È Q U E d e C H Â T E A U N E U F Journal des lecteurs Avril 2022 N° 45 Sommaire S’adapter, de Clara Dupont Monod................................................ La décision, de Karine Tuil ............................................................. Une amitié, de Silvia Avallone......................................................... Poussière dans le vent, de Leonardo Padura.................................. Le voyant d’Etampes, d’Abel Quentin............................................. La carte postale, d’Anne Berest ...................................................... L’agneau des neiges, de Dimitri Bortnikov ..................................... Code 612 : Qui a tué le petit Prince ?, de Michel Bussi.................. Celui qui veille la nuit, de Louise Erdrich ..................................... Quatre heures, vingt deux minutes et dix huit secondes, de Lionel Shriver.............................................................................. Rhapsodie française et Le service des manuscrits, d’Antoine Laurain............................................................................. Article 353 du Code pénal et La fille qu’on appelle, de Tanguy Viel.................................................................................. Coups de cœur Les narcisses blancs, de Sylvie Wojcik............................................. Voyage au bout de l’enfance, de Rachid Benzine........................... Sémi, d’Aki Shimazaki ...................................................................... Paris-Briançon, de Philippe Besson................................................ La patience des traces, de Jeanne Benameur ................................ Romans graphiques, BD London Vénus, une vie d’Alison Lapper, de Chareyre et Bertrand .................................................................. Harlem, de Mikaël ........................................................................... Édito Encore un printemps qui nous bouscule dans nos habitudes et nos convictions. Comment ne pas se laisser envahir par le choc des images et rester en éveil face aux grandes questions que nous pose l’état du monde ? Boris Cyrulnik nous rappelle qu’on ne peut pas se contenter de vivre au présent et de céder à la simplification. Il nous invite à « comprendre » et quoi de mieux pour cet exercice de la pensée : les livres, bien sûr (et les voyages) ! Restons sur le pouvoir des livres qui éclairent notre pensée et notre cheminement. Vous allez aimer, j’en suis sûre, ceux que nous vous proposons dans ce nouveau numéro : des expériences de vie (S’adapter de Clara Dupont Monod), des sujets d’actualité… des livres qui nous font réfléchir et nous promènent à travers l’histoire et différents continents : L’agneau des neiges de Dimitri Bortnikov, Celui qui veille la nuit de Louise Erdrich ou La carte postale d’Anne Berest, des livres de toute taille et de toute provenance. N’oubliez pas nos coups de cœur, de vraies pépites, et les superbes albums BD, des biographies passionnantes de femmes hors norme ! De quoi vous distraire et vous faire réfléchir … Marie-Claude “ ” S’adapter Clara Dupont–Monod Stock 4 Plus qu’une lecture, c’est une rencontre … avec un enfant « différent » et toute la palette des sentiments qu’il inspire. Ce roman qui a, bien sûr, une base autobiographique raconte l’arrivée d’un enfant handicapé dans une famille et les réactions de la fratrie. Le frère aîné s’en empare et vit une relation quasi fusionnelle avec ce petit frère qui ne bouge pas, ne voit pas, mais réagit aux sons. La cadette, elle, ne cache pas sa colère et même son dégoût. C’est à travers eux que nous vivons pas à pas cette histoire d’une famille ébranlée qui va devoir « s’adapter ». La mort, programmée, de l’enfant « aux yeux qui flottent » va redistribuer les cartes et l’équilibre de toute la famille. Un petit dernier va naître et grandir avec le sentiment de devoir être l’enfant réparateur de tous les liens familiaux. Le roman n’est jamais pesant, il reste de bout en bout subtil et tendre. L’écriture est magnifique : Clara Dupont-Monod donne une grande place à la nature : les pierres nous racontent ce qu’elles ressentent ; la montagne cévenole est toujours présente, sauvage et protectrice à la fois. Une voix qui continue longtemps à résonner en nous après avoir refermé le livre ! Prix Landerneau, prix Fémina, et prix Goncourt des Lycéens : on ne peut pas se tromper 3 fois ! Marie-Claude La décision Karine Tuil Gallimard 5 Quand Karine Tuil s’empare d’un sujet, il est prévisible que ce sera violent et sans égard pour notre société. Elle l’étudie à fond avant de le disséquer et nous captiver. C’est rarement optimiste mais réaliste. Les mots sont percutants, vont droit au but ! Ici, il est question de justice et en particulier du juge d’instruction anti-terroriste, de sa solitude face à « la décision » à prendre. « La compréhension humaine n’est pas une science exacte ». « On évalue la dangerosité au cas par cas et parfois on se trompe ». Un sujet d’actualité s’il en est : Abdeljalil part en Syrie avec sa femme rencontrée sur les réseaux sociaux et fraichement convertie. Mais ils se sont trompés, ils ont menti pour pouvoir revenir en France avec leur bébé né entre temps. Tous les voyants sont au vert, psychologues, avo­ cats, associations penchent pour sa sincérité. C’est à Alma Revel, la juge de décider : « On doit le juger pour ce qu’il a fait (parti en Syrie) et non pour ce qu’il n’a pas encore fait ». Peut-on prendre le risque de libérer ou de le mettre en prison où il sera perdu à jamais ? Alma ne saura jamais si elle était assez objective pour prendre sa déci­ sion, des conflits de couple et une histoire d’amour s’étant insidieuse­ ment glissés dans sa réflexion. Quelques réflexions à laquelle elle doit faire face : « Si on les tue, c’est tout ce qu’ils demandent pour mourir en bons croyants » « Il va nous pourrir pendant 30 ans » « Non, personne ne mérite de mourir » « Que faisons-nous de tout cela ? » Et nous qu’aurions-nous décidé ? Marie Une amitié Silvia Avallone Liana Lévi 6 « Sans elle, je n'étais rien » Une amitié, des amours, des histoires de famille et… l’évolution de deux adolescentes rebelles sur deux décennies. Élisa et Béatrice ont quatorze ans en l'an 2000. Elles vont se lier d'amitié alors que tout les oppose : leur caractère, leur milieu familial et leurs rêves. 2020, Élisa relit ses journaux intimes et les souvenirs, si longtemps étouffés, remontent à la surface. C'est avec des allers-retours que l'auteure nous conte ces deux décennies marquées notamment par l’arrivée d’Internet et la naissance des blogs. Au lycée, tout sépare Eli et Bea : l’une se dissimule et porte des tenues qui la rendent impopulaire, l’autre participe déjà à des castings de mode et attire toute l’attention sur elle. Silvia Avallone décrit à merveille l'ambivalence des sentiments, l'union quasi fusionnelle de ces deux solitudes qui se cherchent et se détruisent. Tout est minutieusement distillé : la vie dans une petite ville de province, en bord de mer, le lycée, la bibliothèque, les premiers émois amoureux et les relations chaotiques avec les parents. Elle nous fait réfléchir sur l’influence grandissante et destructrice des réseaux sociaux. La narratrice, nourrie de livres, fait référence à « l’Amie prodigieuse » d’Elsa Morante, et se demande si « grandir, c’est trahir »… La question est posée jusqu’au dernier chapitre. Je vous recommande cette lecture, prenante de bout en bout Marie-Claude Poussière dans le vent Leonardo Padura Métailié 7 À La Havane, dans les années 90 en pleine période dite « spéciale » en temps de paix, le quotidien est difficile. Cuba qui commerçait essentiel­ lement avec le bloc de l’Est, se trouve après la chute de l’URSS face à de graves problèmes économiques. Plus assez d’électricité, plus d’argent pour les salaires, la lutte et la débrouille pour se nourrir sont le lot de tout un chacun. Huit amis de lycée, unis par la pensée révolutionnaire, se retrouvent chaque année pour fêter le nouvel an. Ils ont entre 20 et 30 ans, ils s’in­ terrogent sur leur avenir : « Qu’est-ce qui nous arrive ? ». Ce livre se nourrit de ce contexte, mais il débute 20 ans plus tard aux Etats-Unis, quand Adela et Marcos, tous deux d’origine cubaine se ren­ contrent, s’aiment et décident d’officialiser. L’annonce de cette idylle va provoquer une tempête, du moins du côté de la mère d’Adela qui décide de disparaitre, fuyant de nouveau un passé bien enfoui. L’enquête des amoureux va nous plonger au plus intime de ces personnages et nous faire revivre ces années perturbées. Ernesto Padura trace un portrait des plus aiguisés de ces hommes et femmes qui, dans les années 90, ont fait le choix de l’exil aux Etats-Unis, en Espagne ou en Argentine. Il sait dire leur déracinement même s’ils sont persuadés qu’ils n’avaient pas d’autre choix, et combien ils seront toujours des exilés. « Une existence amputée ». Quant à ceux qui sont restés, ils sont trop ancrés dans leurs racines pour envisager un départ. Une saga foisonnante, pleine de rebondissements. L’exil en est le fil conducteur, à la limite du documentaire sur Cuba. Marie Un humour ravageur, couplé chez le narrateur à une pratique récur­ rente de l'autodérision, traverse les pages de ce roman brassant les nou­ velles idéologies qui, venues d'Amérique, imprègnent de plus en plus les mentalités. À 65 ans, le narrateur a du mal à prendre le virage de la retraite de son poste de maître de conférence en histoire. Divorcé sans l'avoir choisi, il vit en décalage avec son époque. Les positions uploads/Litterature/ journal-45 1 .pdf

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