D. Foucault – « Liberté sexuelle contre austérité chrétienne : un combat des li

D. Foucault – « Liberté sexuelle contre austérité chrétienne : un combat des libertins… », Colloque « Sexualité et histoire », Nérac, 28-31/10/2013 1 Didier Foucault FRAMESPA (CNRS/Université de Toulouse 2-Le Mirail, UMR 51 36) Liberté sexuelle contre austérité chrétienne: un combat des libertins du XVIIe siècle Communication au colloque « Sexualité et histoire », dans le cadre des agoras nationales de l’Association des professeurs d’histoire et géographie (APHG), Nérac, 30 octobre 2013. Publcation : Yohann Chanoir et Céline Piot, dir., Sexe au pouvoir, pouvoirs du sexe. Les verts galants dans l’histoire, Éditions d’Albret, Nérac, 2013, p. 133-146. Lorsqu’ils tentent d’aborder l’histoire du libertinage, les historiens se heurtent à une difficulté : comment traiter comme un objet d’étude unique une notion qui renvoie à deux problématiques éloignées l’une de l’autre, l’irréligion d’une part, la débauche de l’autre ? C’est en effet dans ces deux directions que, quasiment dès son entrée dans la langue française vers le milieu du XVIe siècle, le sens du mot s’est diffracté, à partir d’une racine latine commune, libertinus, qui désigne les esclaves affranchis1. L’historiographie du libertinage a contourné l’obstacle en opérant une césure temporelle, qui distinguait un libertinage « érudit » plutôt caractéristique du XVIIe siècle et à dominante philosophique, d’un libertinage de mœurs propre aux « fêtes galantes » du XVIIIe et à l’abondante littérature « libertine » de ce temps. Certes, l’on n’ignorait ni les frasques de l’aristocratie du Grand Siècle ni que tout un courant poétique, centré sur le premier tiers de la période, avait exploité d’abondance la veine « gaillarde »2… Mais les anecdotes piquantes de quelques jeunes nobles écervelés apparaissaient comme marginales en regard de l’instauration d’une « civilisation des mœurs » sous la férule absolutiste du roi Soleil. Quant aux « poètereaux » d’une époque « baroque » en manque de repères doctrinaux et de rigueur littéraire, ils n’avaient laissé que des œuvres mineures qui, sur la forme comme sur le fond, n’avaient pas leur place parmi les monuments de la littérature « classique ». À l’inverse, les romans libertins du temps de Louis XV et de Louis XVI, longtemps enfermés dans les « enfers » des bibliothèques et condamnés à une diffusion interlope, ont trouvé, depuis les années 1950-1960 et grâce à Laclos et à Sade, un large public, alors que « philosophes » et « encyclopédistes » des Lumières, pourtant héritiers des érudits du XVIIe siècle, ne méritaient pas d’être rabaissés au rang de libertins. Il ne s’agit ici nullement de reprocher aux philosophes et aux spécialistes de la littérature d’avoir occupé et découpé ainsi le champ d’étude du libertinage, qu’ils ont jusqu’à nos jours enrichi de nombreux travaux de grande tenue3. Force est cependant de constater qu’un tel parti épistémologique n’a fait qu’élargir la fracture entre les deux versants du libertinage ; de surcroît, en valorisant ses productions intellectuelles et en tenant pour négligeables ses autres manifestations, au seul fait qu’elles renvoient à de « bas instincts » et non à de hautes créations de l’esprit… Intervenant ici en qualité d’historien, au sein d’un colloque intitulé « Sexualité et histoire », je voudrais tenter de rapprocher, sans les hiérarchiser, ces deux versants du libertinage, en me 1 Pour un aperçu d’ensemble de cette question, je me permets de signaler mon étude : Histoire du libertinage des goliards au marquis de Sade, Paris, Perrin, 2007, et de renvoyer à la bibliographie qu’elle contient, ainsi qu’à celle tenue à jour par Jean-Pierre Cavaillé, « Libertinage, libre pensée, irréligion, athéisme, anticléricalisme », Dossiers du GRIHL, http://dossiersgrihl.revues.org/622#entries. 2 Fédéric Lachèvre, Les Recueils collectifs de poésies libres et satiriques publiées depuis 1600 jusqu’à la mort de Théophile (1626), (Paris, 1914) Genève, Slatkine reprints, 1968. 3 Pour plus d’informations sur ces recherches, consulter la revue annuelle, La Lettre clandestine, publiée depuis 1992 aux Presses de l’Université de Paris-Sorbonne. D. Foucault – « Liberté sexuelle contre austérité chrétienne : un combat des libertins… », Colloque « Sexualité et histoire », Nérac, 28-31/10/2013 2 concentrant sur une période-clé et mouvementée de son histoire, les années 1600-1630, et sur les œuvres de poètes qualifiés alors et non sans mépris de « libertins ». Certains de ces auteurs figurent dans les anthologies : François de Malherbe (1555-1628), Théophile de Viau (1590-1626), François de Maynard (1582-1646), Marc-Antoine Gérard de Saint-Amant (1594-1661) – mais ce sont rarement les textes qui m’intéresseront qui sont cités ! D’autres sont quasiment oubliés : qui lit encore Nicolas Vauquelin des Yveteaux (~1567-1649), Jacques Vallée Des Barreaux (1599- 1673), Charles-Timoléon sieur de Sigogne (~1560-1611), Pierre Motin (~1566, ~1610), Claude d’Esternod (1592-1640), Denis Sanguin de Saint-Pavin (1595-1670), Marin ( ?) sieur de la Porte ( ?- ?), Claude de Chouvigny baron de Blot (1605-1655) ou encore Annibal Louvigné du Dézert4 (1574-1650) ? Et pourtant, dans leurs écrits, datant pour l’essentiel de la période considérée, se trouvent des vers d’un érotisme très cru et sans affectation, accompagnés de tirades irréligieuses, parfois justifiées par des arguments philosophiques d’une certaine tenue, parfois ouvertement blasphématoires. Bref, des poèmes qui, tout en exaltant les plaisirs des sens, en premier lieu ceux du sexe, désignent clairement un adversaire : le christianisme rigoriste de la contre-Réforme et les religieux ou laïcs qui tentent d’imposer à toute la société renoncements, abstinence et mortifications comme prix d’une hypothétique vie éternelle dans l’au-delà. Le libertinage « flamboyant » dans la conjoncture des années 1600-1630 Le premier tiers du XVIIe siècle est, sur le terrain de cet affrontement entre libertins et dévots, un moment charnière. De la fin des guerres de Religion (1598) à l’assassinat d’Henri IV (1610), la France connaît une période de paix et de prospérité. Une grande partie de la population, lasse des conflits confessionnels et du fanatisme, aspire à jouir de la vie. La cour du Vert-Galant donne le ton. La jeune génération de l’aristocratie est à l’unisson. Elle accueille et pensionne des poètes qui chantent avec légèreté, ironie et mordant, le bonheur de vivre en une période aussi inespérée. Les catholiques gallicans sont des modérés, hostiles à la papauté. Ils contrôlent la Sorbonne et le Parlement, les deux instruments d’une censure des livres peu regardante. Les recueils de poésies « satyriques »5 et « gaillardes », très en vogue dans le public, s’étalent aux vitrines des libraires. C’est une véritable aubaine pour les imprimeurs du quartier Saint-Jacques. Ils multiplient les publications et collectent les chansons composées à la tablée des cabarets, les épigrammes lancées dans les salons de « beaux-esprits », encouragent la composition de satires cruelles… Plus le sujet est osé et scandaleux, plus il plaît au lecteur. Inutile de préciser que, dans un tel contexte, la poésie érotique et grivoise occupe une place de choix et ne se trouve guère bridée par une « bienséance » hors de saison. Le début du règne de Louis XIII et la régence de Marie de Médicis, tous deux fort pieux, amorcent un changement de conjoncture. Pour les catholiques « ultramontains », longtemps bridés, c’est le moment de la revanche. Sorbonne et Parlement sont mis au pas, la censure est rétablie, les Jésuites rappelés. Les décrets du concile de Trente, bien que repoussés aux États généraux de 1614, influencent désormais l’action de l’Église et des compagnies dévotes. Malgré de sérieux avertissements – édit contre les blasphémateurs en 1617, exécutions du poète Étienne Durand (1618) et de l’illuminé Fontanier (1619) à Paris, du philosophe italien Vanini à Toulouse (1619), bannissement de Théophile de Viau (1619) – les recueils se succèdent jusqu’en 1623, date de la publication du Parnasse satyrique. Le livre s’ouvre sur un sonnet de Théophile, décrivant en des termes dégoutants les effets de la vérole sur son malheureux corps, pour s’achever sur un éloge blasphématoire de la sodomie. Lisons ses première et dernière strophes : Phylis, tout est foutu, je meurs de la vérole ; 4 Sur ce « personnage » voir le post-scriptum et la note en fin de communication. 5 Les auteurs du temps ne distingue pas encore « satire » et « satyre » en privilégiant l’emploi du « y ». Pour la littérature qui nous intéresse ici, il ne fait aucun doute que les deux sens sont allègrement confondus et mis à contribution. D. Foucault – « Liberté sexuelle contre austérité chrétienne : un combat des libertins… », Colloque « Sexualité et histoire », Nérac, 28-31/10/2013 3 Elle exerce sur moi sa dernière rigueur : Mon vit baisse la tête et n’a point de vigueur ; Un ulcère puant a gâté ma parole. […] Mon Dieu ! Je me repens d’avoir si mal vécu, Et, si votre courroux à ce coup ne me tue, Je fais vœu désormais de ne foutre qu’en cul.6 Théophile est arrêté, incarcéré deux ans à la Bastille. Le procureur du Parlement veut sa peau, les dévots, derrière le jésuite Garasse et le minime Mersenne, s’acharnent contre lui et saisissent l’occasion pour multiplier les pamphlets contre les libertins. Par crainte d’être à leur tour pris dans la tourmente, certains auteurs – qui n’avaient rien d’irréprochable comme Malherbe et Maynard – font allégeance aux uploads/Litterature/ didier-foucault-nerac-liberte-sexuelle-contre-austerite.pdf

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