https://www.contretemps.eu Autour de Diogène le Cynique et de la théorie de la

https://www.contretemps.eu Autour de Diogène le Cynique et de la théorie de la décroissance redaction Sans être omniprésent, loin de là, dans les médias et les hautes sphères du monde politique, le courant de la « décroissance » n’en demeure pas moins très vivace, comme l’expliquait récemment l’un de ses porte-parole. Le Monde Diplomatique signalait même début 2017 le « débat optimiste » porté par le dernier numéro du mensuel La Décroissance, qui se demande si, malgré les apparences, la « décroissance » ne serait pas « aux portes du pouvoir ». Dans ce contexte, je vais m’intéresser ici au livre Diogène et les cyniques ou la liberté dans la vie simple, paru dans la collection « Les précurseurs de la décroissance » des éditions Le passager clandestin. Après avoir donné des éléments généraux, je commenterai les deux parties de cet ouvrage : la présentation de Diogène de Sinope et du cynisme par le philosophe Étienne Helmer, d’une part, le choix de textes illustrant les thèses des cyniques, d’autre part 1. Enfin, j’interrogerai les apports du cynisme antique à la théorie de la décroissance en élargissant la perspective. Le courant de la décroissance La collection Les précurseurs de la décroissance a démarré en 2013, sous la houlette notamment de l’économiste Serge Latouche (une des principales figures intellectuelles du mouvement) et des éditions Le Passager Clandestin (qui fêtent leur dixième anniversaire cette année). L’idée est de promouvoir une histoire alternative de la pensée en montrant à la fois les sources et la fécondité intellectuelle du concept de « décroissance ». De quoi s’agit-il ? Le courant de la décroissance s’est particulièrement développé en France à partir des années 2000, autour de « l’urgence d’un constat : une croissance infinie de la production et de la consommation matérielles ne saurait être tenable dans un monde fini » (Helmer, p. 5). Ce courant, qui espère « faire pièce à l’idéologie productiviste », puise dans la sociologie, la philosophie, l’économie, l’histoire… Rien d’étonnant donc à ce que la « décroissance » se présente moins comme un courant homogène de pensée que comme une galaxie bariolée d’intellectuels, d’hommes politiques et de militants. C’est sur cette diversité des positionnements et des stratégies que mettait l’accent un article synthétique du Monde Diplomatique au sujet de la décroissance, publié au lendemain de la « crise des subprimes ». Ce qu’on peut appeler la galaxie décroissante s’étend ainsi, spécifiquement au sein de la « gauche antilibérale », de chercheurs tels Serge Latouche ou Paul Ariès, jusqu’à des militants https://www.contretemps.eu Autour de Diogène le Cynique et de la théorie de la décroissance redaction proches des mouvances libertaires ou de l’écologie radicale, en passant par des hommes politiques tels Yves Cochet (EELV) ou Vincent Cheynet, fondateur du mensuel La Décroissance et du Parti Pour la Décroissance. Voyons maintenant ce que vient faire Diogène le Cynique dans une collection éditoriale portant sur la décroissance. Diogène de Sinope L’un des principaux aspects de la vie et de la pensée de Diogène qui attirent l’attention des « décroissants » est qu’il aurait vécu dans un grand dénuement et une grande simplicité matérielle. Bien que des statues, sculptures et peintures honorent la mémoire de Diogène, force est de constater qu’un voile de mystère et de légende entoure divers aspects de sa vie 2. Aucun de ses écrits ou presque n’a été retrouvé. Pendant un long moment, Diogène le Cynique n’a été connu qu’à travers les frasques rapportées dans l’ouvrage désormais classique de Diogène de Laërce, Vies et Doctrines des Philosophes de l’Antiquité, sur lequel je reviendrai plus bas. Diogène serait né fils de banquier vers 413 avant J.-C. à Sinope, dans l’actuelle Turquie. Suite à une affaire de « falsification de la monnaie », il est contraint à fuir. Diogène de Sinope serait ainsi devenu Diogène le Cynique après ce départ contraint, commençant de cette façon à se forger une réputation : « Quelqu’un lui reprochait son exil : « Insensé, dit-il, c’est cela même qui m’a rendu philosophe » » (Helmer, p. 73). En arrivant à Athènes dans la première moitié du IVème siècle avant J.-C., il côtoie Platon, puis se lie avec Antisthène, précurseur du cynisme antique 3. Il semble que Diogène ait ensuite été capturé au cours d’un voyage, et vendu comme précepteur des enfants d’une riche famille de Corinthe. C’est là qu’il aurait croisé Alexandre le Grand, donnant lieu à des dialogues et frasques restées célèbres. « Pour les cyniques, il faut mener une vie de chien pour se hausser au-dessus du reste des hommes, il faut renoncer à ce qui, comme nous le croyons à tort, fait de nous des hommes, pour redevenir vraiment des hommes » (Helmer, p. 11, souligné par l’auteur). Il semblerait que ce soit ce mode de vie très frugal qui ait coûté la vie à Diogène, alors qu’il était déjà très avancé en âge (il serait mort vers 90 ans). Il est temps de voir comment, plus précisément, le courant décroissant dialogue avec ce personnage hors-normes. La lecture décroissante de Diogène le Cynique Étienne Helmer, enseignant la philosophie à l’Université de Porto Rico, travaille depuis quelques années sur la philosophie grecque antique, et particulièrement les thèmes politiques et économiques que celle-ci comporte. Il est par exemple déjà auteur d’Épicure ou l’économie du bonheur, le premier ouvrage paru dans la collection Les Précurseurs de la décroissance, en 2013 4. L’année d’après, Helmer s’attèle à introduire, dans une perspective décroissante, cet autre monument de la philosophie grecque antique qu’est Diogène le Cynique. Dans son introduction générale à l’ouvrage, Helmer inscrit d’entrée le cynisme antique dans une démarche de renoncement aux « conceptions les plus répandues du bonheur, fondées sur la valorisation de la richesse matérielle, du pouvoir et de la gloire ». Cette démarche implique « une ascèse destinée à instaurer un rapport renouvelé de l’homme avec la nature, avec les autres hommes et avec lui-même, au nom d’un bonheur véritable » (p. 12). https://www.contretemps.eu Autour de Diogène le Cynique et de la théorie de la décroissance redaction L’auteur entame ensuite son commentaire en pointant la rareté des sources disponibles au sujet du cynisme et notamment à propos de Diogène. Cela est important à prendre en compte car le courant cynique ne s’appuie pas sur des discours conceptuels, et le peu d’écrits conservés dans le temps souffrent souvent de traductions assez incertaines. Le cynisme se donne surtout à voir par le biais des « performances » (p. 18), des mises en pratique de sa forme de pensée spécifique. Il nous est surtout parvenu à travers les anecdotes rapportées par divers auteurs, et dont la véracité est difficile à vérifier. Pour Helmer, le cynisme se présente donc plutôt comme une « secte informelle d’individus » qui adhèrent, avec des modalités différentes, à un « mode de vie » et des « idéaux », qui consistent pour l’essentiel en une « remise en cause radicale des valeurs de leur temps au nom d’une vie de vertu conforme à la nature » (p. 17). La « pauvreté » apparente des cyniques et le refus du « luxe » sont « au centre de la vie cynique », qui postule que « l’autosuffisance » est « l’une des clés de la liberté et d’une nouvelle forme de coopération sociale » (p. 22-23). Helmer considère que cette façon cynique de vivre et de penser prend Diogène de Sinope pour « épicentre » (p. 21), raison pour laquelle il est intéressant de se focaliser sur lui. Diogène devient célèbre à travers l’épisode de la « falsification de la monnaie » rapportée par Diogène de Laërce. En raison des problèmes de traduction aux différentes époques, il est difficile d’établir l’exactitude historique des événements. Quoiqu’il en soit, selon les différentes versions, Diogène et/ou son père banquier auraient « altéré » ou « falsifié » la monnaie, ce qui peut signifier aussi bien fabriquer de la fausse monnaie, altérer des pièces, ou encore changer les mœurs. Dans les différentes versions, quoiqu’ait fait Diogène, il est amené à s’exiler, et arrivera plus tard à Athènes. Cette anecdote montre selon Helmer que le philosophe gagne sa renommée tout d’abord en « dévaluant les valeurs humaines et en dénonçant leur institution contre nature, en particulier celle de l’argent » (p. 27). Helmer insiste par la suite sur cette critique que les cyniques font du « nomos », à savoir : « la loi au sens de l’ensemble des lois positives mais aussi des coutumes et des institutions qui façonnent les manières de penser, de juger et d’agir » (p. 28). En dénonçant cet ensemble de conventions artificielles qui organisent la cité, les cyniques prônent un retour à la « phusis », c’est-à-dire « la nature comme seule source légitime d’institution des valeurs » (ibid.) Aux yeux de Helmer, ce retour à la phusis implique selon les cyniques une société basée sur l’autosuffisance, l’égalité absolue, et une certaine autarcie. Ils mettent en pratique ces idées à travers leurs « performances » (p. 33-34), comme l’illustrent les frasques de Diogène, que j’évoquerai uploads/Litterature/ diogene-theorie-decroissance.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager