Dominique cardon & Antonio A. casilli Qu'est-ce que le Digital La bor? LI étude

Dominique cardon & Antonio A. casilli Qu'est-ce que le Digital La bor? LI études & controverses Qu'est-ce que le digital labor ? Dominique Cardon & Antonio A. Casilli Études et controverses LA TV DÉVORÉE PAR LE WEB : D'UNE INDUSTRIE DE LA MÉMOIRE À LAUTRE, Jean-Louis Missika & Jean-Michel Salaün INGRID BETANCOURT. UN STORYSTELLING MODÈLE ? Michaël Rabier PUBLICITÉ ET OBÉSITÉ. NAISSANCE D'UNE CONTROVERSES, Camille Boubal CINÉMA ET POLITIQUE : L'EFFET INDIGÈNES, Edouard Loeb L'ANIMAL SAUVAGE À LA TÉLÉVISION. NAISSANCE ET ÉVOLUTION D'UNE CATÉGORIE, Zelda Crottaz IL ÉTAIT UNE FOIS ••• LE GENRE. LE FÉMININ DANS LES SÉRIES ANIMÉES FRANÇAISES, Mélanie Lallet © INA Éditions 2015 94360 Bry-sur-Marne ISBN: 978-2-86938-2299 Dominique Cardon & Antonio A. Casilli Qu'est-ce que le digital labor ? INA INTRODUCfiON [LoUISE MERZEAU] Dans plusieurs de nos séances, nous avons abordé la problématique des « communs ~ : dans quelle mesure le partage doit-il produire du commun, comment le commun dans la recherche peut-il être protégé ou régulé (à travers notamment l'Open Data, l'Open Science ou l'Open Access)? Cette philosophie des communs soulève de nombreuses difficultés dans sa mise en pratique, même pour ceux qui sont en accord avec le principe du par- tage, en particulier juridiques ou techniques, et même si la régulation d'un commun s'avère de plus en plus nécessaire pour faire face à la captation des données par les acteurs économiques. Dans le prolongement de ces discussions, nous poserons à Dominique Cardon et Antonio Casilli la question de la défmition de l'internaute comme producteur d'activités. De quelles activités parle- 5 Qu'EST-CE QUE LE DIGITAL LABOR ? t-on? S'agit-il de simples connexions ou de pro- ductions à part entière? Quel est le spectre qui va du clic au blog en passant par le commentaire? Ce qui compte réside-t-il dans ce qui est produit ou dans l'interrelation? Peut-on mettre toutes les activités sur le même plan, ou doit-on les hiérar- chiser? Comment se concrétise la valeur de ces activités mises en œuvre par les internautes? Qui valorise? Jusqu'à quel point l'internaute lui-même est-il conscient de cette valeur? Quelles sont ses stratégies propres de valorisation? Par ailleurs, il faudra évoquer ce que Yann Moulier- Boutang nomme le« capitalisme cognitif», c'est-à- dire que nous poserons la question de la qualifica- tion de ces activités comme un travail, puisqu'elles produisent de la valeur. Dès lors, s'il y a travail, y a-t-il exploitation ou aliénation? Pour mettre cela au clair, il nous faudrait déterminer la nature de ce travail: s'agit-il de produire du contenu, ou s'agit-il d'un travail vivant, non programmable? Autrement dit: est-ce que ce que produisent les internautes coïncide avec tout ce que ne peuvent pas produire les machines? On pense à l'exploitation des données personnelles, mais aussi à celle du travail de recommandation ou du maillage opéré par les internautes qui produit du lien et du Web. Cette activité est-elle spontanée ou de plus en plus contrainte? Peut-on s'en retirer? Peut-on ne pas produire? Et si l'on parle d'exploita- tion, il faudrait savoir si nous avons par conséquent affaire à un nouveau prolétariat dans le registre numérique. 6 Si l'on se place dans la perspective d'une valori- sation des activités des internautes avec le risque d'une exploitation au sens d'aliénation, faut-il à ce moment-là réclamer des régulations? Lesquelles? Faut-il aller dans le sens d'une protection des inter- nautes? Faut-il envisager des formes de rémunéra- tion? Y a-t-il un activisme possible pour défendre et encadrer ce travail des internautes? Peuvent-ils faire grève et défendre leurs acquis? En ont-ils? Quid de la possibilité d'un syndicat? Est-il possible et souhaitable de renforcer la propriété des données de l'internaute en les monétisant à son profit? On aurait là une radicalisation de l'aspect commercial des données, mais au profit de l'individu usager. On pourrait au contraire penser à une collectivisa- tion de la production avec des espaces communs, protégés par les communautés, suivant les modèles des licences (comme les creative commons) pour favoriser des échanges, sous certaines conditions. Ce modèle alternatif vient s'opposer à l'exploita- tion des données personnelles et met le doigt sur la question du digital labor. 7 DIGITAL LABOR: TRAVAIL, TECHNOLOGIES ET CONFLICTUALITÉS [ANTONIO CASILLI] Cette contribution s'articule suivant trois axes prin- cipaux : travail, technologie et conflictualité. Elle tente de donner une définition - suffisamment souple pour pouvoir évoluer- de la notion de digi- tal labor. La définition n'est pas arrêtée, mais se déroule au fil des pages qui suivent, se construit en plusieurs étapes et met progressivement la notion à l'épreuve d'autres concepts qui cherchent à décom- poser l'intersection entre travail et technologies de l'information et de la communication : travail im- matériel, travail des publics, travail cognitif. En guise de préambule, je me dois d'expliquer com- ment j'en suis moi-même venu à m'intéresser à ces questions. J'étais, pour ainsi dire, intellectuellement prédisposé à me pencher sur le digitallabor, car ce domaine ouvre sur des sujets que j'avais déjà traités 8 Qu'EST-CE QUE LE DIGITAL LABOR ? dans ma vie précédente. «Ma vie précédente», ce sont mes années italiennes, au cours desquelles j'ai d'abord acquis une formation d'économiste (j'ai effectué ma tesi di laurea à l'Université Bocconi de Milan), ensuite évolué dans un milieu dominé par des courants du post-opéraïsme. Ce qu'on appelle désormais Italian theory tourne autour de la ques- tion du travail. Mais tout cela a été mis en veilleuse quand j'ai défmitivement quitté l'Italie lors du pre- mier come-back politique de Silvio Berlusconi, en 2001. Je me suis alors consacré aux études sociales d'Internet, d'abord dans le cadre de l'EHESS puis à Télécom ParisTech. Plus récemment, mon intérêt a été à nouveau pi- qué, mais tangentiellement, nous pourrions dire. Je m'intéresse désormais principalement à la parole problématique sur Internet : les trolls, les fake, les vandales de Wikipédia, les anonymes. Mais aussi à certaines modalités de stigmatisation, telle la panique morale autour du «pro-ana» ou à cer- tains usages politiques d'Internet qui se donnent à voir comme des actes illégaux. Ces usages pro- blématiques, qui sont devenus mes sujets de choix, introduisent des éléments de parasitage dans les conversations, des blocages que l'on pourrait défi- nir comme des« troubles de la participation». De- puis quelques années, ils sont associés à des pos- tures idéologiques difficiles à partager : le discours médiatique les décrit volontiers comme le fait non pas de petits farceurs ou d'individus en détresse, mais de dangereux racistes, violeurs, terroristes, etc. Or, par-delà les amalgames, je considère que 9 Qu'EST-CE QUE LE DIGITAL LA.BOR ? ces usages doivent être avant tout regardés comme des formes d'un «malaise dans la civilisation en ligne~. Je me suis donc demandé pourquoi nous avons à faire face à ce type de troubles et de ver- tiges. De quoi cette parole problématique est-elle le symptôme? Dans quelle mesure peut-elle être lue non pas comme le fait de quelques personnalités narcissiques ou déviantes, mais comme un phéno- mène collectif, une anomie généralisée qui atteste d'un exode, voire du refus d'un régime de partici- pation qui relègue les usagers dans des situations précaires, de non-liberté? Bref, que se passerait-il si on envisageait les usagers problématiques d'In- ternet comme une force de conflit? Et c'est à ce moment-là que la notion de digital labor a fait surface pour moi. J'ai peu à peu vu jaillir une forme de critique de la participation en ligne qui semblait avancer des éléments de réponse à cette question. Autour de 2012, dans la blogos- phère universitaire, commencent à apparaître des titres de billets comme « Facebook n'est pas une usine, mais exploite quand même ses utilisateurs 1 », ou encore « Facebook manipule ses membres2 », « Facebook exploite-t-il ses travailleurs 3? ~, etc. 1 Rey, PJ (2012) « Facebook is Not a Factory (But Still Exploits its Users) », Cyborgology, 15 février <http://tœsocietypages.org/cyborgologyf2012!02/15/ facebook-is-not-a-:fuctory-but-still-exploits-its-usersl> 2 Prener, Chris (2012) « Is Facebook "Using" Its Members? » Work in Progress, Blog of the American Sociological Association 's OOWS, 22 février< http: 1 /workinprogress .oowsection.org/20 12/02/22/is-face- book-using-its-members/> 3 Bauwens, Michel & Jacob Rigi (2012) « Is Facebook Exploiting Workers. A response from Jacob Rigi and Michel Bauwens' response 10 Qu'EST-CE QUE LE DIGITAL LABOR ? Face à ces interrogations, affleure l'intuition que la parole problématique sur Internet est une figure du conflit liée à une participation en ligne qui prend de plus en plus les traits d'un travail aux yeux des utilisateurs. Pour moi, ce fut le signal de la pos- sibilité de me saisir à nouveau de la question du travail, de la traiter dans le contexte du numérique, d'ouvrir la porte sur un domaine de recherche qui s'est avéré depuis extrêmement riche. DIGITAL LA.BOR, OU LA MISE AU TRAVAIL DE NOS « LIAISONS NUMÉRIQUES » Le digital labor est avant tout un domaine de recherche universitaire en plein essor. Aux États- Unis, en 2009, «The Internet as playground and factory » a été la première conférence sur ce su- jet (les actes ont été publiés en 2012 sous le titre Digital Labor. The Internet as playground and factory, sous la direction de Trebor Scholz1). uploads/Litterature/ dominique-cardon-antonio-casilli-qu-x27-est-ce-que-le-digital-labor-ina-2015-pdf 1 .pdf

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