I Pierre Du Ryer Bérénice Tragi-comédie en prose 1645 Édition critique établie

I Pierre Du Ryer Bérénice Tragi-comédie en prose 1645 Édition critique établie par Marjolaine Georges sous la direction de M. le professeur Georges Forestier. Année 2007-2008 II Du Ryer ? du Ryer ? Durier ? Duriez ? Les multiples graphies du nom de famille de notre auteur témoignent d’emblée des incertitudes concernant certains aspects de sa vie. Par convention, et parce qu’il s’agit de la graphie la plus répandue, nous adoptons la première, bien que Lancaster n’en privilégie pas aucune. On écrit Du Ryer et du Ryer ; quelquefois un i remplace l’y. Plusieurs faits indiquent qu’on ne prononçait pas l’r finale, surtout l’orthographe duriez trouvée dans le Mémoire de Mahelot1. Nous préférons opter pour la première car il semblerait qu’il ait appartenu à la petite noblesse2. Dramaturge de nos jours inconnu du grand public, Pierre Du Ryer est l’auteur d’une Bérénice. Sans doute éclipsée comme tant d’autres par le succès de Corneille et de Racine, cette pièce apparaît, du fait de son titre, comme une énième version de l’histoire de la princesse juive. Et pourtant, il n’en est rien. La pièce de Du Ryer, qui est d’ailleurs antérieure aux versions de Corneille et de Racine, traite d’un tout autre sujet. Tout d’abord, il s’agit d’une tragi-comédie, ce qui implique nécessairement une fin heureuse3. Ensuite, Bérénice est sicilienne : réfugiée en Crète pour des raisons politiques, elle est tombée amoureuse, cinq ans avant que l’action ne commence, du jeune prince Tarsis, fils du roi de l’île. Des histoires d’amours contrariées par des pères-opposants, des monologues d’amants désespérés, des conversations houleuses entre des sœurs passionnées,… tout cela ne semble guère original. Cette pièce demeure néanmoins intéressante à de nombreux égards. Elle se distingue avant tout par une écriture en prose, chose rarissime à l’époque. Ensuite, en mettant en avant l’expression des sentiments des personnages, l’auteur aurait pu privilégier le discours sur l’action. Toutefois, celle-ci n’est pas réellement reléguée au second plan car c’est en discutant, en confrontant leurs idées que les personnages cherchent à sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Bref, il s’agit d’une tragi-comédie d’inspiration romanesque écrite en prose dans laquelle les amants sortent victorieux. 1 LANCASTER Henry Carrington, « Pierre du Ryer écrivain dramatique », Revue d’Histoire Littéraire de la France, avril-juin 1913, p.309. 2 Ibid. p.310. 3 Voir BABY Hélène, La tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001. III INTRODUCTION 1. Indications sur Pierre Du Ryer Biographie Pierre est le fils d’Isaac Du Ryer, marié en 16034. Secrétaire du grand écuyer Roger de Bellegarde, tuteur de Racan et protecteur de Malherbe, Isaac perdit la faveur du duc et dut alors se contenter d’un emploi de clerc à la douane du quai Saint Paul à Paris où il recevait dix écus par mois5. Il acquit plus tard l’office de secrétaire de la chambre du roi qu’il céda à son fils en 1621. Isaac Du Ryer était un familier des milieux de la Cour et des grands seigneurs. C’est grâce à eux qu’il fit la connaissance d’écrivains et de gens de théâtre comme Malherbe, Racan, Isabelle Andreini (célèbre comédienne italienne), Tristan L’Hermite, qui avait à peu près l’âge de son fils, et Alexandre Hardy avec qui il était en conflit parce qu’il avait participé aux querelles suscitées par la publication de son théâtre. De son temps, Isaac Du Ryer était surtout connu comme écrivain. Poète lyrique6, il fut considéré par Sainte-Beuve comme « un des rares écrivains du commencement du XVIIe siècle7 ». De plus, il publia deux pastorales La Vengeance des Satyres en 1614 et Le Mariage d’amour en 1621 à une époque où la pastorale était perçue comme une œuvre poétique. Son œuvre se caractérise par une teinte nostalgique, celle d’une « revendication passionnée, et malheureusement presque toujours déçue, d’un statut honorable et rémunérateur pour les poètes dans la société 8». C’est sans doute ce qui fait dire à Lancaster qu’il inculqua à son fils « sa foi religieuse, sa dévotion envers le roi et les nobles, sa capacité à supporter la pauvreté, son esprit gaulois 9». De plus, il le qualifie de « flatteur, ivrogne, besogneux », ajoute qu’il ne « fut pas un père modèle, mais il donna sans doute à son fils […] son éducation classique, son amour des vers et des pièces de théâtre, et 4 LACHEVRE Frédéric, Un Émule inconnu au début du XVIIe siècle de Mathurin Régnier : ISAAC DU RYER (1568 ?-1634), Secrétaire de la Chambre du Roi, douanier, poète réaliste, auteur dramatique, et ses poésies amoureuses, libres et douanières précédées de sa biographie, Paris, Librairie Historique Margraff, R. Clavreuil successeur, 1943, p.22. 5 GOUJET, Bibliothèque françoise, Paris, 1751-1756, XV, 276-286. Cité par LANCASTER, Pierre du Ryer Dramatist, Washington, 1912, p.3. 6 Voir son recueil de poésies, Le Temps perdu qui connut d’ailleurs un certain succès. 7 PETIT DE JULLEVILLE Louis, Le Théâtre en France. Histoire de la littérature dramatique depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, A. Colin, 1889, (rééd. A. Colin, 1975), p.141. 8 CHAUVEAU Jean-Pierre, « Deux générations de poètes : Isaac Du Ryer, père de Pierre », dans « Pierre Du Ryer dramaturge et traducteur » (dir. Dominique Moncond’huy), Littératures classiques, numéro 42, printemps 2001, p.18. 9 Nous traduisons : " his religious faith, his devotion to the king and the great nobles, his ability to bear poverty, his esprit gaulois". Op. cit., p.4. IV une certaine connaissance de la cour10 ». La pauvreté apparaît comme une fatalité héréditaire chez les Du Ryer ; c’est d’ailleurs ce que retient la postérité, en témoigne notamment cette remarque d’Edouard Fournier sur Pierre Du Ryer : Il n’est connu que par sa pauvreté et par ses œuvres qui, bien qu’en très grand nombre et très diverses, ne l’en tirèrent pas. Il en sortit un peu vers la fin […] mais n’eut guère que le temps de s’étonner de n’être plus pauvre. Son père, Isaac Du Ryer, lui avait donné le douloureux exemple du travail récompensé par la misère.11 La date de naissance de Pierre Du Ryer n’est pas connue. Il semblerait qu’il soit né sans doute à Paris, en 1604 ou en 1605, en témoigne la date de mariage de son père. Nous avons peu de détails concernant son enfance et son adolescence. C’est vraisemblablement pour son compte que son père écrivit une curieuse pièce intitulée Estreines à Monseigneur le Comte de Moret estudiant aux Iesuites, au nom des Escolliers de sa classe12. Jean-Pierre Chauveau pense que Pierre faisait partie de ses « escolliers » fréquentant l’un des plus réputés établissements de l’époque, le collège de Clermont, rue Saint-Jacques à Paris, tenu par les Jésuites, et qui saluaient ainsi le truchement du père de l’un d’eux, l’arrivée dans leurs rangs du jeune comte de Moret, fils naturel d’Henri IV et de Jacqueline de Bueil.13 En février 1621, il reçut en survivance la charge de son père de secrétaire de la chambre du roi, office qui n’était détenue que par des nobles ou leurs descendants. En 1623, il acheta le droit de vendre dix « offices de sergens des aydes et tailles de l’eslection d’Arques, generalité de Rouen14 » pour lesquelles il fut remboursé 1909 livres quand elles furent abolies. En juin 1627, il devint conseiller et secrétaire du roi et de ses finances et ce pendant sept ans. Lancaster ajoute qu’à la même époque on l’appelle aussi « porteur des lettres de provision de l’office de comptrolleur et garde des grandes et petites mesures au grenier à sel de Bayeux 15», et noble homme, sieur de Paracy, demeurant à Paris, rue des Francs-Bourgeois, 10 LANCASTER Henry Carrington, art. cit., p.310. 11 FOURNIER Edouard, Le Théâtre français au XVIe et au XVIIe siècle, ou choix des comédies les plus curieuses antérieures à Molière, Paris, 1871, p.319. 12 Recueillie (p.86) dans les Meslanges qui font suite à la pastorelle Le Mariage d’Amour, publiée en 1621. Cité par CHAUVEAU Jean-Pierre, art. cit., p.26. 13 Ibid. Le collège de Clermont désigne de nos jours le lycée Louis-le-Grand. 14 Sergents royaux qui furent institués dans les paroisses par l’édit du 23 octobre 1581, pour « exploiter et faire les contraintes à la requête des collecteurs, fermiers et autres commis et députés à la recette des aides, tailles et autres droits au roi ». Ces officiers eurent d’abord comme nom celui de sergens collecteurs. (Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, p.89, portail.atilf.fr/encyclopedie). 15 « Chaque grenier à sel était géré par un corps d’officiers ayant acheté leur office au roi : un président, un à deux grenetiers, un à deux contrôleurs, un procureur et un greffier ». Ils furent créés entre 1342 et 1366 pour lever la gabelle. On y juge « en première instance les contraventions sur le fait du sel ». (Travaux de recherche d’Odile Halbert disponibles sur Internet www.odile-halbert.com). Bayeux relevait de la zone du « quart bouillon » c’est-à-dire que le sel était récolté en faisant bouillir le sable imprégné de sel, et qu’un quart du produit récolté devait être remis directement au grenier uploads/Litterature/ du-ryer-berenice.pdf

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