L'Homme et la société À propos de l'origine des manières de table de Claude Lév

L'Homme et la société À propos de l'origine des manières de table de Claude Lévi- Strauss Philippe Richard Citer ce document / Cite this document : Richard Philippe. À propos de l'origine des manières de table de Claude Lévi-Strauss. In: L'Homme et la société, N. 11, 1969. Freudo-marxisme et sociologie de l'aliénation. pp. 179-191. doi : 10.3406/homso.1969.1186 http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1969_num_11_1_1186 Document généré le 16/10/2015 études critiques à propos de l'origine des manières de table de claude lévi-strauss PHILIPPE RICHARD La parution récente du troisième tome des Mythologiques donne l'occasion de s'interroger une fois encore sur les techniques et méthodes de l'analyse structurale des mythes. Sur ce sujet beaucoup a été dit, mais les études ont porté le plus souvent sur la philosophie de la méthode à moins qu'elles ne répètent plus ou moins ce que l'auteur lui - même a exposé, essentiellement dans le chapitre XII de l'Anthropologie Structurale, dans l'ouverture du premier tome des Mythologiques et en bien des endroits des trois tomes de cette collection. Mais on peut se demander si le fossé qui séparait déjà les méthodes exposées par l'auteur et leur application dans le premier tome est en train de se combler ou au contraire si, poussée par sa logique interne, l'analyse structurale des mythes ne s'éloigne pas toujours plus des techniques que l'on avait cru devoir mettre en uvre pour qu'elle prenne son essor. L'Origine des manières de table présente à ce sujet un double avantage. De l'avis même de son auteur, il marque un «infléchissement de la méthode, qui s'explique par l'obligation où nous nous sommes trouvés d'embrasser un plus grand nombre de mythes, provenant de régions éloignées, et d'en conduire l'analyse sur plusieurs plans simultanés entre lesquels des écarts considérables se manifestent aussi» .(1) On peut donc espérer atteindre une certaine forme limite qui renseignera de façon intéressante sur les méthodes classiques. Mais il faudra ce faisant refuser de généraliser sans discernement. Par ailleurs tout comme Le Cru et le Cuit qui débutait avec le mythe Bororo du dénicheur d'oiseaux pris comme mythe de référence, le troisième tome expose en premier lieu les aventures matrimoniales variées et originales d'un Indien en mal d'épouse (2). Ce mythe Tukuna est analysé tout au cours du livre, mais la première partie représente un essai d'interprétation parmi les plus développés qu'on puisse rencontrer dans ces Mythologiques. Ecoutons l'auteur sur ce point: «Peut - être même le mythe des Indiens Tukuna, qui fournit l'argument du présent livre, offre - 1 - il un terrain plus accueillant au lecteur novice. Car nul autre, semble - 1 - il, n'a fait de notre part l'objet d'une analyse aussi (1) O.M.T. p.14 (2) On se souvient que, au contraire de ces deux tomes, Du Miel aux Cendres ne s'engagera jamais vraiment sur la voie d'une glose d'un mythe unique. Il débutera par l'analyse de la création et de la perte du miel au moyen de petits mythes dont il sera peu question par la suite et n'exposera de mythes vraiment importants qu'à la page 86 avec l'histoire de la fille folk/de miel pour revenir plus tard sur une nouvelle interprétation de mythes à tabac déjà vus dans Le Cru et le Cuit. 180 PHIUPPE RICHARD fouillée qui adopte plusieurs perspectives, successives ou simultanées : textuelle, formelle, ethnographique, sémantique... A cet égard la première partie du livre a une portée didactique. Sur un exemple précis, elle permet de s'initier à notre méthode, de se familiariser progressivement avec ses procédés et ses démarches, de juger ses mérites aux résultats» .(3) Pour ces deux raisons il semble donc que les premières pages de L 'Origine des manières de table représente un lieu privilégié pour une compréhension critique des méthodes de Claude Lévi - Strauss. Aussi avons - nous voulu porter sur elles notre attention et pour cela, après un rappel des thèmes du troisième tome des Mythologiques, thèmes provenant souvent d'une analyse du mythe Tukuna, nous avons étudié les trois aspects que l'auteur considère comme nouveaux : 1) Le passage d'une comparaison des termes à une comparaison de relations. 2) Le passage du mythe au roman. 3) L'influence de l'extension du champ d'analyse. Ce dernier point nous conduit à une étude critique de la première partie de l'ouvrage. I .Rappel des thèmes Comme nous l'avons déjà noté, le volume entier est consacré à l'analyse de ce mythe. Où plutôt cette analyse fournit la trame à laquelle s'accrochent tous les mythes que l'explication requiert, quitte à les renvoyer provisoirement quand ils ont rempli leur office. II n'est donc pas sans intérêt de présenter en introduction la suite des problèmes que Claude Lévi - Strauss a cru devoir résoudre à propos de ce mythe. Passons rapidement sur la première partie, puisque nous la considérerons avec attention plus loin. On y analyse successivement deux aspects étranges de la dernière épouse de Monmanéki : celui de la femme tronc, celui de la femme collante. Les problèmes que posent ces deux motifs (4) ne recevront leur pleine solution qu'à la fin de l'ouvrage, mais cette première enquête éclaire déjà le mythe d'un jour nouveau. Autre point d'interrogation : la présence dans le quatrième épisode des deux beaux - frères transformés en perroquets sur les épaules de la femme. On pressent un codage astronomique, ce qui confirme la transformation de la barque en Arc - en - Ciel. C'est à l'étude de ce codage que l'on s'attaque alors. Ces deux beaux - frères ne sont - ils pas à rapprocher de Lune et Soleil dans d'autres mythes. On introduit ainsi quelques mythes sur l'origine de la lune, ce qui conduit à une première réflexion sur divers types de périodicité. Aux constellations telles qu'Orion ou les Pléiades correspondent des cycles longs, annuels ou saisonniers; au soleil et à la lune, des cycles mensuels et journaliers. Certains mythes -c'est le cas du mythe Tukuna - s'inspirent des premiers, d'autres des seconds. Les transformations qui permettent de relier les uns aux autres affectent ainsi le style du mythe. Les aventures de Monmanéki se présentent comme un récit à épisodes fortement structuré, même si cette structure n'apparaît qu'après analyse. Les épouses ne sont pas quelconques, ni leurs habitudes, et la progression est soigneusement étudiée jusqu'au dernier épisode qui les rassemble tous. Par contre on connaît un autre mythe Tukuna qui se présentant extérieurement comme M 354 n'étire en fait ses épisodes curieux que pour se répéter indéfiniment. Plus de structure précise, mais une enumeration. C'est alors l'occasion pour Claude Lévi-Strauss de développer d'originales considérations sur les rapports qu'entretient une telle forme externe du mythe avec le roman feuilleton. Nous reviendrons d'ailleurs sur ce point. (3) (O.M.T.pA) (4) Nous employons ce terme au sens que nous avions précisé dans une analyse du premier tome des« Mythologiques.Cest un fragment de mythe, un petit épisode, bizarre, incompréhensible à lui tout seul qui requiert, pour prendre son sens, d'être comparé avec un motif équivalent dans un autre mythe qui l'explicite. Rappelons ainsi que dans Le Cru et le Cuit Claude Lévi - Strauss avait expliqué le geste du jaguar de M 8 se couvrant la bouche quand il regarde le jeune garçon sur son rocher par la remarque du singe de M 55 disant au jaguar dans la gueule duquel il va tomber .'«ouvre la bouche». A PROPOS DE L'ORIGINE DES MANIERES DE TABLE 181 Mais l'auteur se place alors sur un plan plus strictement ethnographique en cherchant la signification du voyage en pirogue des deux beaux - frères. Milieu privilégié, la pirogue, par les contraintes qu'elle impose aux navigateurs, leur enjoint de n'être ni trop près pour éviter de sombrer;ni trop loin puisque sa taille est limitée. De nombreux mythes qui relient au voyage en pirogue les personnages de Lune et Soleil nous renvoient aux remarques précédentes sur la périodicité, envisagée cependant d'une façon nouvelle. En pirogue on n'est ni trop près ni trop loin. N'est - ce - pas la position idéale de «l'épouse non incestueuse, docile et non coureuse». Mais par ailleurs le fleuve, véhicule de la pirogue, pose un problème. Selon qu'on le descend ou qu'on le remonte, il fait durer le voyage à l'infini ou le raccourcit considérablement. En Amazonie donc où l'égalité des jours et des nuits est un fait auquel les Indiens ne pouvaient être insensibles, le fleuve représente pour eux la dissymétrie même. D'où certains mythes où les démiurges, rectifiant cette erreur, font couler le fleuve dans les deux sens et parachevant leur poursuite d'un juste milieu brisent les jambes de filles trop volages afin de les rendre «moyennement coureuses». Ainsi Claude Lévi-Strauss a regroupé un ensemble de mythes qui, en employant des codes différents, expriment tous la même recherche d'un juste équilibre. Expression concrète du juste équilibre dans un milieu qui est déséquilibré, la pirogue est un outil idéal dans le passage de la catégorie du temps à celle de l'espace. Qu'elle soit aussi tout ce que Claude Lévi - Strauss veut faire d'elle, nous en sommes moins sûrs. Il faudrait pour cela que nous puissions donner un sens à des uploads/Litterature/ richard-philippe-a-propos-de-l-x27-origine-des-manieres-de-table-de-claude-levi-strauss.pdf

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