Maïa Mazaurette SORTIR DU TROU, LEVER LA TÊTE Éditions Anne Carrière De la même
Maïa Mazaurette SORTIR DU TROU, LEVER LA TÊTE Éditions Anne Carrière De la même autrice Romans Nos amis les hommes, éditions Florent Massot, 2001 Dehors les chiens, les infidèles, « Folio SF », 2010 Rien ne nous survivra, « Folio SF », 2011 La Coureuse, Kero, 2012 Non-fiction Avec Damien Mascret, La Revanche du clitoris, La Musardine, 2008 Avec Damien Mascret, Peut-on être romantique en levrette ?, La Musardine, 2009 Marlène Schiappa (dir.), Cassia Carrigan, Nadia Daam, Octavie Delvaux et al., Lettres à mon utérus, La Musardine, 2016 Belle toute crue, Marabout, 2016 Ma vie sexuelle est plus grosse que la tienne : Le livre qui corrige les idées reçues sur le sexe, Tana Éditions, 2018 Podcast : Sex & Sounds, sur ARTE Radio Instagram : @mazaurette ISBN : 978-2-3808-2031-7 © S. N. Éditions Anne Carrière, Paris, 2020 www.anne-carriere.fr « Clear, loud, bright, forward. » Benjamin Millepied Au commencement étaient les bons sentiments. (On sait où ces choses-là nous mènent.) Des hommes, des femmes, complémentaires, de l’amour, du sexe bienveillant, un brin de paternalisme, quelques infidélités. Missionnaire le mercredi soir, partouze le samedi, tarte aux pommes le dimanche. Amen. L’amour à la française et la baguette au trou. Les bons sentiments mènent les gentilles filles en enfer. Cet enfer est le trou : nous sommes au fond, ensemble. Au risque de briser tout suspense, cet essai défend la thèse simple qu’aux femmes on a inventé un trou : anatomique, psychologique. Et que sur ce trou, sur cette absence, nous avons construit la pyramide de nullité que constitue notre sexualité contemporaine. Notre modèle : Casanova, la quantité de trous plutôt que la qualité. Notre cynisme : baiser plutôt que faire l’amour. Notre livre de chevet : le Kamasutra abrégé, une enfilade de pénétrations. Notre modèle : la pornographie, par tous les trous. Nos jouets : des vaginettes, des poupées, des dildos pour remplir, des plugs pour colmater. Notre éducation : protéger le trou. Notre séduction : envahir l’espace personnel. Notre libertinage : échanger des trous contre d’autres trous. Notre soulagement sexuel : louer des trous à la passe ou à la tranche horaire. Notre angoisse : pour les femmes, que le trou soit non conforme et non aimable, pour les hommes, ne pas parvenir à correctement le remplir. Notre hygiène : raser, épiler, pour tenter de faire apparaître le trou. Notre solution : le Viagra. Notre idéal : être comblé. Notre fantasme : la multiplication des trous comme des petits pains. Nos mots : prendre, fourrer, pistonner, défoncer. Si nous étions heureux, je vous laisserais tranquilles. On continuerait à creuser les cercles de Dante, plus profond vers nulle part. Mais je nous écoute depuis quinze ans nous plaindre d’une sexualité à se pendre d’ennui – en tant que chroniqueuse spécialisée, mes lecteurs et lectrices m’envoient des e-mails, parfois des appels à l’aide. Si nous étions réellement la nation du libertinage scintillant, de la séduction pimpante, de l’infidélité acceptée, de quoi nous plaindrions-nous ? C’est pourtant la désolation dans les médias, le concert de plaintes dans les témoignages, la mollesse dans les statistiques, les tristes confidences au café du coin. Libidos en berne, rapports conflictuels, prostitution, marchandisation, infections, pornographie, fantasmes pauvres, hommes impuissants, sperme infertile – nous faisons tout de travers, nous violons, nous harcelons, nous blessons, nous ne croyons en rien, ni en la monogamie, ni en la polygamie, ni au polyamour, ni à l’abstinence, ni à la loi des grands nombres, ni en l’orgie, ni à l’asexualité, ni en nos partenaires, ni en nos amoureux, encore moins en nous-mêmes. Et sinon, le déferlement de criquets et la peste bubonique, c’est pour quand ? Lorsque ce n’est pas la tristesse ou la lassitude, c’est l’incompréhension : on s’invente carrément des planètes différentes. Les femmes sont un continent noir, continent-trou, irrationnel, opaque – nous n’avons pas éteint la lumière en partant mais en entrant, dans la cartographie du corps. On a voulu explorer une amputation et on s’est étonné que les résultats n’aient aucun sens. Ce qui était une métaphore est devenu notre réalité – et pourtant, même s’il prend racine dans la nuit des temps, ce trou n’existe pas. Y croire dur comme fer ne le rendra pas réel. Si les hommes ont un pénis alors les femmes doivent bien avoir un trou : notre équation fondamentale est fausse. Tout part de là. Et rien n’en sort. Nous ne pouvons pas habiter un espace négatif et y trouver le bonheur. C’est une simple question de plein et de vide. Ce qui nous arrive a un nom – et ce n’est pas l’apocalypse, ni la fin du monde, encore moins une fatalité. Nous ne sommes ni tarés ni en dépression nerveuse. Nous ne sommes pas « plus amoureux ». Si nous nous sentons mal, si notre sexualité pendouille, c’est plutôt une bonne nouvelle : c’est qu’un peu de lumière nous parvient, suffisamment pour distinguer les contours de notre enfermement. Il fait étroit ici-bas, non ? Étroit dans nos corps, étroit dans nos têtes. Nous nous sommes engouffrés dans un puits, logiquement nous y sommes épuisés. Encore heureux que nous râlions. Si nous nous épanouissions dans cette sexualité minuscule, si nous parvenions à oublier jusqu’à la possibilité du mieux, si nous occultions la richesse de nos chairs, leurs ressources, le lien humain, la liberté, le contentement, la puissance, et puis le soleil sur tout ça, alors oui, nous aurions des raisons d’être inquiets. Si nous souffrons c’est qu’il nous reste une dignité. Qui peut être rétablie – des femmes et des hommes plus solides. Nous méritons mieux que Casanova. Nos frustrations sont des invitations, nos animaux tristes des indices – si notre instinct nous fait nous sentir mal, c’est forcément qu’un mieux existe. Qu’on peut demander plus. Et l’obtenir. Dehors. Qu’on lève la tête. Nous n’avons rien à perdre : nous avons touché le fond. Le nombre de rapports sexuels décroît. L’âge de la première expérience recule. Nous consommons plus de pixels que de partenaires. Le sexe nous déçoit. À moins que nous ne décevions le sexe. Nous avons essayé beaucoup de choses, mais nous n’avons jamais renoncé au paradigme du trou, qui réduit les femmes à des orifices, et la sexualité au management de ces orifices. Sortons du trou. Sortir du trou et échapper à notre vision étriquée du sexe Anatomie « Où est le trou ? » demandait un amant. Il manquait d’expérience, c’était la première nuit. En homme bien élevé contemporain typique, il se savait attendu au tournant. Désir au bord des lèvres, corps encore inconnus, où est le trou ? Corps indéchiffrés – mais tout de même, j’ai deux bras et deux jambes, un estomac au milieu, une morphologie redoutablement conforme. Où est le trou ? Comme si c’était l’enjeu. Comme si c’était la seule information, et comme si « le trou » allait apparaître au mollet ou entre deux vertèbres. Il devait avoir vingt-cinq ans – c’est tard pour manquer de repères. Il connaissait pourtant la marche à suivre, immuable, et son impeccable ordonnancement : localiser, stimuler, pénétrer, se retrancher. Une feuille de route militaire. Pas surprenant, dans ce système érotique, qu’on puisse proposer des recettes sexuelles, des plans d’attaque, des listes, des guides, des éclaireurs et des missionnaires. L’amant a des choses à faire. Des objectifs à atteindre. Des médailles à collectionner. Le trou, il est en haut ou en bas ? Et je répondais : en haut ou en bas de quoi ?, sans savoir que la réponse resterait innommable : vulve, un mot déclaré laid, estampillé obscène, par on ne sait quelle juridiction du langage esthétique – vulve pourtant si proche de vive et valve, sylve, étuve, Vésuve. Un mot qui ne nous a rien fait, et à qui en retour nous ne faisons pas grand-chose. Un mot disruptif dans le panorama érotique. La vulve appelle la viande, l’origami des chairs – la vulve dit que les femmes ne sont pas des trous, sinon, quel est cet enchevêtrement de lèvres, et de quoi d’autre encore faudrait-il se préoccuper ? On n’y voit rien, on ne comprend rien. Contrariante, la vulve. Pas étonnant qu’on préfère l’innommer. Les Américains utilisent le plus souvent vagina à la place de vulva : à croire que même le langage, même la pop culture sont infichus de penser le sexe féminin hors d’un gouffre. Vade retro, femelle : retourne dans ton trou, retourne à l’intérieur – à ta place. Le machin autour, là ? Quel machin ? L’amant demande où est le trou, on voudrait lui montrer son doigt. Le simple fait qu’il pose la question, que les premiers rapports soient maladroits, dit que nos évidences n’en sont pas. S’il y avait un trou, ça se verrait, non ? Si les femmes avaient un trou, on n’aurait pas besoin de le trouver, et que cette quête parfois passe par la contrainte, l’amputation ou le meurtre. Le trou, unique. Au singulier. Singulièrement. Comme si, dans un frigo rempli de choux de Bruxelles, on disait : celui-ci, là, au milieu, deuxième rangée vers uploads/Litterature/ ebook-maia-mazaurette-sortir-du-trou-lever-la-tete 1 .pdf
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- Publié le Sep 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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