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Accueil > Tragédies de Racine : Phèdre et Andromaque > Écrire Andromaque Article Par Georges Forestier, Professeur d’histoire du théâtre, Sorbonne Université, Institut universitaire de France, le 24/03/2020 Andromaque, planche de costumes par Jean-Simon Berthélémy, 1801 © BNF Gallica À en croire Racine dans sa préface, Andromaque doit tout au court récit de la rencontre entre Énée et Andromaque fait par Virgile dans l’Énéide, dont il donne des extraits en ouverture : « Voilà en peu de Vers tout le sujet de cette Tragédie. ÉCRIRE ANDROMAQUE Quelques hypothèses génétiques ? Écrire Andromaque | Odysseum https://eduscol.education.fr/odysseum/ecrire-andromaque 1 sur 26 03/09/2022, 16:59 Voilà le lieu de la Scène, l’Action qui s’y passe, les quatre principaux Acteurs, et même leurs Caractères. » L ’Andromaque d’Euripide ne l’aurait aidé qu’à construire le caractère d’Hermione. Seulement, une préface ne dit jamais que ce que le poète veut que nous croyions, et dès sa première préface (Alexandre le Grand) Racine avait montré qu’il était maître dans l’art de la dissimulation des sources, du paradoxe, de la polémique, bref, de la mauvaise foi. Dès lors, faut-il accorder du crédit à son assertion ? On est évidemment tenté de répondre par la négative. N’a-t-il pas triché en supprimant de l’extrait de l’Énéide qu’il propose à ses lecteurs tous les vers qui faisaient allusion au remariage d’Andromaque avec le devin troyen Hélénos ? Et ne joue-t-il pas sur les mots en faisant de Buthrote, en Épire, « le lieu de la Scène », alors que c’est seulement le lieu de la rencontre entre Énée et Andromaque, tous les événements racontés s’étant déroulés ailleurs ? Mais il y a évidemment plus important que ce déplacement, qui résulte à la fois d’une nécessité de concentration et de l’obligation qu’avait le poète de laisser à la fin Andromaque reine de l’endroit où plus tard la rencontrera Énée. Ne provient-elle pas de la tragédie d’Euripide et nullement de l’Énéide cette idée d’un fils d’Andromaque que les Grecs, représentés chez Euripide par Ménélas et Hermione, veulent tuer, et que les Péléides, représentés par Pélée lui-même en l’absence de son petit-fils Pyrrhus, réussissent à sauver ? Et Racine ne dissimule-t-il pas la substitution du défunt Astyanax, fils d’Hector et d’Andromaque, à Molossos, fils de Pyrrhus et d’Andromaque – substitution qu’il justifiera dans la nouvelle préface de l’édition collective de 1675-76 ? Tout cela ne doit pas masquer l’essentiel. Loin d’être fidèle à sa source, « l’Action qui s’y passe » a été entièrement transformée : dans l’Énéide, comme dans l’Andromaque d’Euripide, et comme dans les autres sources antiques, Pyrrhus a d’abord « aimé » Andromaque, dont il a eu Molossos, puis il l’a rejetée pour épouser Hermione (l’union d’Andromaque avec Hélénos se passant à ce moment pour les uns, après la mort de Pyrrhus pour les autres), et c’est à la suite de ce mariage qu’est intervenu Oreste, faisant tuer Pyrrhus et emmenant, de son plein gré, Hermione qui, loin de se suicider, l’épousera – puisque, selon toutes les traditions anciennes, elle n’a jamais cessé d’aimer Oreste . Du coup, la critique s’est ingéniée à trouver d’autres sources que Racine aurait 1 ? Écrire Andromaque | Odysseum https://eduscol.education.fr/odysseum/ecrire-andromaque 2 sur 26 03/09/2022, 16:59 passées sous silence. Voltaire, le premier, tenait pour « prouvé que Racine a puisé toute l’ordonnance de sa tragédie d’Andromaque dans ce second acte de Pertharite [de Corneille] ». Et de fait, on trouve dans les trois premiers actes de cette tragédie un conquérant vainqueur qui délaisse celle à qui il avait promis le mariage pour forcer la veuve du vaincu à l’épouser, l’enfant de celle-ci constituant même un objet de chantage ; on y voit aussi la fiancée délaissée réclamer vengeance auprès de l’homme qui l’aime . Mais Voltaire n’avait pas lu Rotrou, à la différence de Racine, et un érudit américain du début du XXe siècle, G. Rudler , a fait observer que Racine avait aussi bien pu s’inspirer d’Hercule mourant (1634), qui présentait déjà l’histoire d’un conquérant, Hercule, qui, délaissant son épouse légitime, Déjanire, cherchait à toute force à se faire aimer d’une captive dont il avait fait mourir toute la famille, Iole, et qui tentait de la contraindre en menaçant la vie de l’homme qu’elle aimait ; et c’est peut-être en effet la scène 2 de l’acte III de cette tragédie, où Iole tente de convaincre de son innocence une Déjanire qui refuse de l’entendre, qui a donné à Racine l’idée de la vaine supplique d’Andromaque à Hermione (III, 4). Enfin Déjanire, croyant que les vertus d’un charme lui ramèneraient son mari, causait (sans le vouloir, cependant) sa mort en lui envoyant une tunique teinte du sang mortifère d’un centaure qu’il avait jadis tué. Voltaire ne connaissait pas non plus La Troade de Sallebray (1640), à qui Racine a repris le fameux « Brûlé de plus de feux que je n’en allumai », comme l’a montré un autre érudit du XXe siècle, anglais cette fois, R.C. Knight : on y voit un Agamemnon amoureux fou de sa captive Cassandre, et qui, pour lui complaire, tente en vain de sauver successivement la vie d’Astyanax (son neveu) et de Polyxène (sa sœur). Aucune de ces trois pièces n’est à écarter, tant il est vrai que Racine les a eues sous les yeux en écrivant sa propre tragédie, empruntant ici un vers, là une idée, là encore une attitude. La question se pose seulement de savoir si l’une ou l’autre a pu lui servir de patron pour constituer une intrigue à partir de ce qu’il avait trouvé chez Virgile et Euripide. Pour répondre à cette question, il faut commencer par élargir le problème. De manière plus générale, en effet, l’ensemble de la critique rapproche cette chaîne des amours à laquelle a abouti Racine – Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque (laquelle reste fidèle à la mémoire d’Hector) – du schéma le plus couramment employé dans le genre de la pastorale dramatique, où bergers et bergères ne cessent de se poursuivre selon le beau principe : je fuis qui m’aime et j’aime qui me fuit. D’ailleurs Corneille ne s’était pas privé d’utiliser ce commode 2 4 5 5 6 ? Écrire Andromaque | Odysseum https://eduscol.education.fr/odysseum/ecrire-andromaque 3 sur 26 03/09/2022, 16:59 système de relations entre les personnages pour construire plusieurs de ses intrigues, parmi lesquelles, justement, celle de Pertharite. Et Rotrou lui-même, dans Hercule mourant, avait ajouté à l’intrigue à trois personnages qu’il avait empruntée à l’Hercule sur l’Œta de Sénèque un quatrième personnage, le jeune héros dont Iole est amoureuse, retrouvant ainsi la structure des amours en chaîne. L ’humaniste Racine aurait-il donc vu spontanément dans le récit de Virgile la possibilité d’une synthèse harmonieuse entre un sujet antique et une structure moderne (et galante) ? Réflexe de lecteur et de spectateur assidu, pour qui quatre personnages plus ou moins liés par des rapports d’amour, de jalousie et de mariage ne pouvaient que renvoyer à cette formule éprouvée de la chaîne amoureuse ? Les choses paraissent en fait un peu plus complexes dans la mesure où, telles qu’elles se présentent, les données de la légende antique rendent difficile un rapprochement spontané avec le principe de la chaîne amoureuse. Selon ces données en effet, Hermione qui aime Oreste, a dû épouser Pyrrhus qu’elle n’aime pas, lequel avait pris puis rejeté Andromaque. C’est dire que l’amour réciproque d’Oreste et d’Hermione semble opposer un véritable écran devant toute idée spontanée de rapprochement avec une chaîne amoureuse. Il convient donc d’examiner au prix de quel processus de transformations Racine est parvenu à ce schéma relationnel dans son Andromaque. La démarche créatrice : le renversement des données Selon nous, Racine n’est pas de mauvaise foi lorsqu’il désigne dans les vers de l’Énéide « tout le sujet » de sa pièce et « l’Action qui s’y passe ». D’après les traités du XVIIe siècle issus de la Poétique d’Aristote, comme d’après les Discours de Corneille, en effet, l’action, c’est la structure en trois temps qu’un créateur de tragédie dégage de son sujet : « un commencement, un milieu et une fin ». Or cette structure minimale existait virtuellement dans le récit de Virgile : 1) Pyrrhus a aimé sa captive Andromaque, veuve d’Hector ; 2) il a épousé Hermione ; 3) il est assassiné par Oreste, à qui la jeune fille était destinée. Créer une action, c’est faire en sorte que ces trois éléments chronologiquement successifs deviennent 7 ? Écrire Andromaque | Odysseum https://eduscol.education.fr/odysseum/ecrire-andromaque 4 sur 26 03/09/2022, 16:59 logiquement successifs, liés entre eux par un rapport de causalité ou de contradiction. Or un lien de causalité existait déjà entre les deux derniers éléments : Oreste a tué Pyrrhus à cause de son mariage avec Hermione. Quant au lien entre les deux premiers éléments, c’est la tragédie d’Euripide qui l’apporte. Car si Andromaque affirme qu’elle ne partage plus la couche de Pyrrhus depuis qu’il s’est marié, il est facile d’inférer de la haine manifestée par Hermione, épouse délaissée, envers Andromaque que Pyrrhus pourrait bien continuer à aimer celle- ci. Ainsi, par une simple contamination de uploads/Litterature/ ecrire-andromaque-odysseum.pdf

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