Chalmers Mehdi E. Prof. Batthacharya April 20, 2021 De qui l’acteur se joue-t-i

Chalmers Mehdi E. Prof. Batthacharya April 20, 2021 De qui l’acteur se joue-t-il ? Le Paradoxe sur le Comédien de Diderot Le Paradoxe sur le Comédien est l’un des trois textes théoriques de Diderot sur le théâtre1. C’est au milieu de multiples autres projets (L'Encyclopédie, les Salons, sa correspondance...) qu’il revient à une approche théorique du théâtre, plus de dix ans après ses commentaires sur ses propres pièces. Sans aborder son projet spécifique du genre sérieux entre le comique et le tragique qu’il a imaginé inventer2, nous savons qu’il tente ici un approfondissement du sujet de la création dramatique (pour le poète et pour l’acteur) en 1773, quelque part entre la Hollande et la Russie, juste avant sa visite à Catherine II. Le début du texte nous pousse à croire que le prétexte du dialogue est la lecture d’un livre d’un ami. En effet les lectures de Diderot sont été certainement autant d’occasion d’écrire lui-même. Donc le texte suggère qu’il s’agit d’une réponse à un débat en cours, que ce soit dans une conversation réellement commencée de vive voix, ou à partir d’un livre3. Il choisira donc, pour sa méditation sur le comédien, ce style qui peut être probablement dit son genre de prédilection : le dialogue philosophique. 3 Les notes d’Azzézat et Tourneux dans les Œuvres complètes de Diderot, suggèrent que l’ouvrage d’ami, dont il est fait mention au tout début du dialogue est Garrick ou les Acteurs anglais traduit par Antonio Fabio Sticoti (qui en serait en réalité aussi l’auteur! Selon Jacques Chouillet dans Une source anglaise du «Paradoxe sur le comédien» in Dix-huitième Siècle, n°2, 1970. pp. 209-226. www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1970_num_2_1_927 2 En réalité Marivaux et Beaumarchais entérinent des transformations profondes dans l’usage du code des genres. Ces codes étaient d’ailleurs déjà remis en cause au sein même de leur âge d’or. Par exemple Corneille avec L’Illusion comique ou le Cid, Molière avec Dom Juan, se jouaient déjà des séparations entre genre bas et genre élevé. Les transformations que Diderot désirait étaient plus qu’en germe. Il aurait certainement voulu systématiser et donner le coup de grâce aux survivantes règles qu’il dénonce dans les Entretiens sur le Fils Naturel et le Discours sur la poésie dramatique. 1 Les deux autres sont Entretiens sur le Fils naturel : Dorval et moi (1757), et le Discours sur la poésie dramatique(1758). Les personnages du dialogues n’ont pas vraiment d’épaisseur à part qu’ils sont des reflets de Diderot lui-même (avec pour seuls noms Premier Interlocuteur et Deuxième Interlocuteur, plus un Narrateur, lui aussi sans nom, qui interviendra plus tard). Le sujet du dialogue est simple, c’est la défense de l’art de l’acteur comme jugement (analyse et choix rationnels) sur le jeu, et non comme sensibilité (c’est-à-dire une expérience, vécue intensément et réellement, de ce que les personnages fictifs d’une pièces sont censés sentir). Cette position élabore non seulement ce que doit être le talent de l’acteur, mais aussi une éthique de la vie mondaine, de la création et du rôle de l’écriture philosophique. Le Paradoxe sur le comédien analyse les tenants de la représentation (la mimésis de l’art dramatique et du discours social en général) en faisant des va-et-vients entre celle du dialogue que le dialogue lui-même illustre, celle que l’acteur maîtrise (ou ne maitrise), et celle que vise le poète et celle qui atteint le public. C’est pour aboutir à ce méta-discours sur le dialogue et sur le paradoxe que nous lirons aujourd’hui notre texte. L’une des particularités de ce dialogue est qu’au départ il se présente sous une forme épurée, sans les nombreuses mises en abîme et digressions que l’auteur affectionne. Le paradoxe du comédien est presque à ce titre un court “discours”, avec, paradoxalement, très peu d’artifices narratifs et dramatiques. Il est à souligner cependant que l’effet obtenu est que le naturel du discours en sort renforcé. Nous imaginons sans peine une conversation réelle, facile, sans carcan, entre deux amateurs de théâtre, entre deux hommes un peu philosophes sur les bords, mais sans aucune véritable technicité dans leur manière de parler ni dans leur propos, qui aurait pu rendre artificiel l’échange. Par contre, et c’est là l’un des artifices du genre, le Second Interlocuteur sert surtout à faire avancer la conversation par de très légères interrogations qui sont loin de mettre à mal l’argumentation du principal discoureur (Le Premier Interlocuteur). Le dialogue a ici vraiment la qualité de n’être attaché à rien d’autre qu’à recréer l’échange entre deux hommes. Il ne vise pas à la densité réaliste et la subtilité psychologique du Neveu de Rameau, mais plutôt ici Diderot déploie l’art rhétorique du salon, soutenu par le mouvement du langage spirituel, du bon ton badin, léger et sans fard, qui le montre probablement tel qu’il aurait été en compagnie honnête. Le ton qu’il utilise est très proche de ses lettres à ses proches, et le sujet, le théâtre, abordé sous un angle à la fois théorique et éminemment mondain, aide aussi en cela. Par exemple, la scène rapportée de la conversation chez le grand homme d’État Jacques Necker (avec la répartie ratée face à l’écrivain médiocre, Marmontel) est très réaliste. Mais surtout elle a pour fonction de présenter un Diderot qui ne maitriserait pas de manière absolue l’art parfait de toujours briller, mais en réalité elle sert surtout à recréer la contingence de ces situations réelle, avec la possibilité de l’hésitation, la cassure, l’incapacité à poursuivre tel moment de la conversation jusqu’au bout. “Cette apostrophe me déconcerte et me réduit au silence, parce que l’homme sensible, comme moi, tout entier à ce qu’on lui objecte, perd la tête et ne se retrouve qu’au bas de l’escalier. Un autre, froid et maître de lui-même, aurait répondu”(383). Ici donc en contrepoint du discours sur le théâtre nous avons la mise en scène fortement imitative de ce qu’est un véritable échange intellectuel, poursuivi sur plusieurs scènes, dans un milieu concret : cela n’a pas l’efficacité de l’art, de la scène, où la licence poétique est là pour obtenir au maximum un effet sur le spectateur passif. Cependant, le texte ne va pas pousser cette mimésis de la conversation à bâtons rompus, jusqu’à saper le but et la fonction d’enquête du dialogue sur le comédien. Le texte a un certain but littéraire en plus de sa ferme prétention intellectuelle de philosophie esthétique (avant que le mot ne devienne à la mode4). L’analyse du théâtre comme genre spécial et de l’art de l’acteur comme requérant un savoir-faire spécifique relevant de facultés précises de l’esprit ne peut pas s’illustrer dans la conversation même. Au contraire, la conversation est dans une certaine mesure le contraire du discours de l’acteur, et la persuasion de l’acteur s’oppose à la persuasion dialogique ou philosophique. On le voit dans le propos du Premier Interlocuteur : “vous me parlez d’un instant fugitif de la nature, et moi je vous parle d’un ouvrage de l’art, projeté, suivi, qui a ses progrès et sa durée. Prenez chacun de ces acteurs, faites varier la scène dans la rue comme au théâtre, et montrez-moi vos personnages successivement, isolés, deux à 4 Nous n’avons pas pu vérifier s’il y avait eu une certaine réception du texte de Baumgarten sur l’esthétique, mais il est à peu près sûr au vu de l’histoire très lente de la réception des textes allemands au XVIIIe siècle où le Saint-Empire est largement en retard culturellement sur le reste de l’Europe que les Philosophes aient connu ce néologisme. deux, trois à trois ; abandonnez-les à leurs propres mouvements ; qu’ils soient maîtres absolus de leurs actions, et vous verrez l’étrange cacophonie qui en résultera.”(376) Le dialogue philosophique lui-même (dont le Paradoxe en tant que texte) au contraire n’est pas embarrassé par la cacophonie. Comme nous le verrons pour la fin du texte où Diderot réinsère un désordre et une disjonction dans la communication, propre à l’échange “naturel” entre interlocuteurs. Certes, le dialogue requiert aussi un certain art, mais il s'accommode d’une méthode qui est contraire à l’harmonie que se doit de créer la littérature. C’est là le paradoxe à l’intérieur du paradoxe. L’art dramatique doit être aussi utilisé par le philosophe dans son langage à lui, il l’utilise dans le dialogue normal dans la vie réelle (quand il a des conversations avec ses fréquentations), et il l’utilise aussi dans le dialogue littéraire, en tant que genre littéraire (le dialogue philosophique), un genre marginal, hybride et difficile à manier5. Le genre du dialogue est difficile parce que pendant qu’il se pratique comme genre littéraire, il se situe en surplomb de la littérature, car il est à même de critiquer les arts en général, il en est capable et il peut donc s’autoriser à subvertir les règles de l’efficience dramatique dans le simple but de provoquer une inquiétude intellectuelle tout socratique. Mais il crée aussi une subversion des attentes esthétiques qui peut elle aussi provoquer une émotion esthétique6. Il y a une certaine gratuité du dialogue (philosophique ou pas) et de la conversation qui les situe à la limite de l’art et du naturel, le Philosophe uploads/Litterature/ material-objects-diderot-paradoxe.pdf

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