A. Julien Greimas Éléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythiq

A. Julien Greimas Éléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique In: Communications, 8, 1966. pp. 28-59. Citer ce document / Cite this document : Greimas A. Julien. Éléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique. In: Communications, 8, 1966. pp. 28-59. doi : 10.3406/comm.1966.1114 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1966_num_8_1_1114 A. J. Greimas Éléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique. en hommage à Claude Lévi-Strauss I. LA THÉORIE SÉMANTIQUE ET LA MYTHOLOGIE Les progrès accomplis récemment dans les recherches mythologiques, grâce surtout aux travaux de Claude Lévi-Strauss, constituent un apport de matériaux et d'éléments de réflexion considérable à la théorie sémantique qui se pose, on le sait, le problème général de la lisibilité des textes et cherche à établir un inventaire de procédures de leur description. Or, il semble que la méthodologie de l'interprétation des mythes se situe, du fait de leur complexité, en dehors des limites qu'assignent à la sémantique, à l'heure actuelle, les théories les plus en vue aux États-Unis, celles notamment de J. J. Katz et J. A. Fodor. 1. Loin de se limiter à l'interprétation des énoncés, la théorie sémantique qui chercherait à rendre compte de la lecture des mythes, doit opérer avec des séquences d'énoncés articulées en récits. 2. Loin d'exclure toute référence au contexte, la description des mythes est amenée à utiliser les informations extra-textuelles sans lesquelles l'établissement de l'isotopie narrative serait impossible. 3. Le sujet parlant (= le lecteur), enfin, ne peut être considéré comme l'inva riant de la communication mythique, car celle-ci transcende la catégorie de conscient vs inconscient. L'objet de la description se situe au niveau de la trans mission, du texte-invariant, et non au niveau de la réception, du lecteur-variable. Nous sommes, par conséquent, obligé de partir non d'une théorie sémantique constituée, mais d'un ensemble de faits décrits et de concepts élaborés par le mythologue afin de voir : 1° en quelle mesure les uns et les autres peuvent être formulés en termes d'une sémantique générale susceptible de rendre compte, entre autre, de l'inte rprétation mythologique; 2° quelles exigences les conceptualisations des mythologues posent à une telle théorie sémantique. Nous avons choisi, pour ce faire, le mythe de référence bororo qui sert à Lévi- Strauss, dans le Cru et le Cuit, de point de départ à la description de l'univers 28 Éléments pour une théorie de V interprétation du récit mythique mythologique, saisi dans une de ses dimensions, celle de la culture alimentaire. Cependant, tandis que Lévi-Strauss s'était proposé l'inscription de ce mythe- occurence dans l'univers mythologique progressivement dégagé, notre but sera de partir du mythe de référence considéré comme unité narrative, en essayant d'expliciter les procédures de description qu'il faut mettre en place pour aboutir, par étapes successives, à la lisibilité maximale de ce mythe particulier. S'agissant, par conséquent, d'une interprétation méthodologique bien plus que mytholog ique, notre travail consistera essentiellement dans le regroupement et l'exploi tation des découvertes qui ne nous appartiennent pas. II. LES COMPOSANTES STRUCTURALES DU MYTHE II.l. Les trois composantes. Toute description du mythe doit tenir compte, selon Lévi-Strauss, de' trois éléments fondamentaux qui sont : 1° l'armature; 2° le code; 3° le message. Il s'agira donc pour nous de nous demander (1) comment interpréter, dans le cadre d'une théorie sémantique, ces trois composantes du mythe et (2) quelle place attribuer, à chacune d'elles, dans l'interprétation d'un récit mythique. II.2. L'armature. Il semble que par l'armature, qui est un élément invariant, il faut entendre le statut structurel du mythe en tant que narration. Ce statut paraît être double : (1) on peut dire que l'ensemble des propriétés structurelles communes à tous les mythes-récits constitue un modèle narratif (2) mais que ce modèle doit rendre compte à la fois (a) du mythe considéré comme unité discursive transphrastique et (b) de la structure du contenu qui est manifesté au moyen de cette narration. 1. L'unité discursive qu'est le récit est à considérer comme un algorithme, c'est-à-dire, comme une succession d'énoncés dont les fonctions-prédicats simu lent linguistiquement un ensemble de comportements ayant un but. En tant que succession, le récit possède une dimension temporelle : les comportements qui s'y trouvent étalés entretiennent entre eux des relations d'antériorité et de postériorité. Le récit, pour avoir un sens, doit être un tout de signification et se présente, de ce fait, comme une structure sémantique simple. Il en résulte que les développe ments secondaires de la narration, ne trouvant pas leur place dans la structure simple, constituent une couche structurelle subordonnée : la narration, considérée comme un tout, aura donc pour contrepartie une structure hiérarchique du contenu. 2. Une sous-classe de récits (mythes, contes, pièces de théâtre, etc.) possède une caractéristique commune qui peut être considérée comme la propriété structurelle de cette sous-classe de récits dramatisés: la dimension temporelle, sur laquelle ils se trouvent situés, est dichotomisée en un avant vs un après. A cet avant vs après discursif correspond ce qu'on appelle un « renversement de la situation » qui, sur le plan de la structure implicite, n'est autre chose qu'une 29 A.-J. Greimas inversion des signes du contenu. Une corrélation existe ainsi entre les deux plans : avant contenu inversé — — *n* ______________ après contenu posé 3. En restreignant, une fois de plus, l'inventaire de récits, on trouve qu'un grand nombre d'entre eux (le conte populaire russe, mais aussi notre mythe de référence) possèdent une autre propriété qui consiste à comporter une séquence initiale et une séquence finale situées sur des plans de « réalité o mythique diffé rents que le corps du récit lui-même. A cette particularité de la narration correspond une nouvelle articulation du contenu : aux deux contenus topiques — dont l'un est posé et l'autre, inversé — se trouvent adjoints deux autres contenus corrélés qui sont, en principe, dans le même rapport de transformation entre eux que les contenus topiques. Cette première définition de l'armature qui n'est pas en contradiction avec la formule générale du mythe proposée naguère par Lévi-Strauss, même si elle n'est pas entièrement satisfaisante — elle ne permet pas encore, dans l'état actuel de nos connaissances, d'établir la classification de l'ensemble des récits considéré comme genre — constitue cependant un élément de prévisibilité de l'interpréta tion non négligeable : on peut dire que la première démarche procédurière, dans le processus de la description du mythe, est le découpage du récit mythique en séquences auquel doit correspondre, à titre d'hypothèse, une articulation prévisible des contenus. II.3. Le message. Une telle conception de l'armature laisse prévoir que le message, c'est-à-dire la signification particulière du mythe-occurence, se situe, lui aussi, sur deux iso- topies à la fois et donne lieu à deux lectures différentes, l'une sur le plan discursif, l'autre, sur le plan structurel. Il ne sera peut-être pas inutile de préciser que par isotopie nous entendons un ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du récit, telle qu'elle résulte des lectures part ielles des énoncés après résolution de leurs ambiguïtés, cette résolution elle-même étant guidée par la recherche de la lecture unique. 1. L'isotopie narrative est déterminée par une certaine perspective anthropo centrique qui fait que le récit est conçu comme une succession d'événements dont les acteurs sont des êtres animés, agissants ou agis. A ce niveau, une première catégorisation : individuel vs collectif permet de distinguer un héros asocial qui, se disjoignant de la communauté, apparaît comme un agent grâce à qui se produit le renversement de la situation, qui se pose, autrement dit, comme médiateur personnalisé entre la situation-avant et la situation-après. On voit que cette première isotopie rejoint, du point de vue linguistique, Y analyse des signes: les acteurs et les événements narratifs sont des lexemes (= morphèmes, au sens américain), analysables en sémèmes (= acceptions ou « sens » des mots) qui se trouvent organisés, à l'aide de relations syntaxiques, en énoncés univoques. 2. La seconde isotopie se situe, au contraire, au niveau de la structure du contenu, postulée à ce plan discursif. Aux séquences narratives correspondent des contenus dont les relations réciproques sont théoriquement connues. Le 30 Éléments pour une théorie de V interprétation du récit mythique problème qui se pose à la description est celui de l'équivalence à établir entre les lexemes et les énoncés constitutifs des séquences narratives et les articulations structurelles des contenus qui leur correspondent, et c'est à le résoudre que nous allons nous employer. Il suffira de dire pour le moment qu'une telle transpos ition suppose une analyse en sèmes (= traits pertinents de la signification) qui seule peut permettre la mise entre parenthèses des propriétés anthropomorphes des lexèmes-acteurs et des lexèmes-événements. — Quant aux performances du héros qui occupent la place centrale dans l'économie de la narration, elles ne peuvent que correspondre aux opérations linguistiques de transformation, rendant compte des inversions des contenus. Une telle conception du message qui serait lisible sur les deux isotopies dis tinctes et dont la première ne serait que la manifestation discursive de la seconde, n'est peut-être qu'une formulation théorique. Elle peut ne correspondre qu'à une sous-classe de récits (les contes populaires, par uploads/Litterature/ elements-pour-une-theorie-de-l-x27-interpretation-du-recit-mythique.pdf

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