PremiËre partie BILAN DES PRINCIPAUX COURANTS HISTORIQUES Introduction Nous nou

PremiËre partie BILAN DES PRINCIPAUX COURANTS HISTORIQUES Introduction Nous nous attacherons dans un premier temps ‡ esquisser une vue d’ensemble de l’histoire des pratiques et des thÈorisations de la traduction, en essayant d’en retracer l’Èmergence ‡ travers ses Ètapes les plus significatives. Il conviendra de mettre en Èvidence les principales tendances qui marquent les divers moments de la pÈriode prÈ-linguistique. Nous mettrons l’accent sur les thËmes les plus rÈcurrents, et nous essaierons de dÈgager une ligne directrice qui permette d’en justifier la nature et l’ordonnancement. Le survol historique que nous nous apprÍtons ‡ proposer correspond bien entendu ‡ notre propre lecture du passÈ, sur lequel nous entendons poser un regard empreint de la logique peircienne qui inspire l’ensemble de nos recherches. Nous espÈrons donc mettre en scËne dans les pages qui suivent, les principaux acteurs qui figurent dans la plupart des ouvrages rÈcapitulatifs; mais nous voudrions les faire revivre sous un jour quelque peu original: ‡ la lumiËre de la philosophie triadique. Chapitre I L’ ANTIQUITÈ L'ÈMERGENCE DE L'ACTIVITÈ TRADUISANTE AU SEIN DU DUALISME AMBIANT Introduction Nous allons nous attacher ‡ mettre en Èvidence l’essentiel des tendances historiques qui ont marquÈ l'Èmergence du phÈnomËne de traduction pendant l’AntiquitÈ. Il conviendra tout d’abord de repÈrer les premiers indices d'activitÈs traduisantes, puis d’esquisser un panorama gÈnÈral de ces pratiques chez les Grecs et chez les Latins. Nous verrons que si les efforts de thÈorisation sont presque inexistants, il semble nÈanmoins que ce soit dËs cette Èpoque que sont jetÈes les bases des principales controverses philosophiques qui s’ÈgrËneront au fil des siËcles. En nous interrogeant sur leur nature, leur valeur, et leur portÈe, nous serons amenÈe ‡ essayer de mettre en Èvidence la genËse des fondements duels de la traductologie, l’apparition de la dyade ‘mot vs. sens’ parmi d’autres couples d’oppositions, et la prÈÈminence du fond sur la forme au centre du dÈbat sur la fidÈlitÈ. 1. Des origines ‡ la GrËce du troisiËme siËcle avant JÈsus-Christ La genËse des fondements duels de la traductologie C'est du troisiËme millÈnaire avant JÈsus-Christ que l'on date gÈnÈralement le plus ancien tÈmoignage de la fonction d'interprËte, ‡ savoir les inscriptions gravÈes sur les parois tombales des princes d'ElÈphantine, en Haute Egypte.1 On est en droit de supposer qu’il s’agit l‡ des tout premiers indices significatifs de l’activitÈ qui consiste ‡ passer d’une langue dans une autre. En revanche, on ne possËde pas de traces de rÈflexion thÈorique sur la traduction ‡ cette Èpoque. DËs -2700, nÈanmoins, des scribes spÈcialisÈs constituaient et examinaient des listes de signes. Symbolisant ce mÍme type de dÈmarche, des glossaires bilingues ont ÈtÈ retrouvÈs. Et mÍme, comme l’indique Mounin, “ un lexique quadrilingue ”.2 L'Èlaboration de ce qui constitue la forme la plus ancienne du dictionnaire semble attester d'une volontÈ de donner aux traducteurs les outils thÈoriques nÈcessaires ‡ leur pratique. Cette dÈtermination, naturellement motivÈe par les diverses tendances qui marquent le cours de l'histoire, et en particulier par la 1 Cf. Cary 1956:132, Newmark:1981:3, et Ballard 1992:21 notamment. 2 Cf. Mounin (1967) 1985:54: "On trouve aussi des glossaires bilingues (sumÈrien- akkadien). Certains donnent l'idÈogramme sumÈrien, sa transcription phonÈtique en akkadien, sa traduction akkadienne. (...) A Ugarit, dans la bibliothËque de Rap'anu, se trouvait un lexique quadrilingue: sumÈrien-akkadien-hourrite-ugaritique." multiplication des relations entre les peuples de cultures diffÈrentes, semble avoir engendrÈ trËs tÙt le besoin d'organiser, voire de thÈoriser, les moyens de passer d'une langue ‡ une autre: “ aprËs que Sumer eut ÈtÈ progressivement conquis, dans le dernier quart du troisiËme millÈnaire, par les SÈmites akkadiens, les professeurs sumÈriens entreprirent la rÈdaction des plus vieux "dictionnaires" que l'on connaisse. Les conquÈrants sÈmitiques, en effet, non seulement avaient empruntÈ aux SumÈriens leur Ècriture, mais ils en avaient conservÈ prÈcieusement les úuvres littÈraires, qu'ils ÈtudiËrent et imitËrent longtemps aprËs que le sumÈrien eut disparu comme langue parlÈe. D'o˘ le besoin de "dictionnaires" dans lesquels les expressions et les mots sumÈriens fussent traduits en akkadiens. ”3 Il apparaÓt clairement au vu de cet extrait combien l’activitÈ traduisante est intrinsËquement liÈe aux phÈnomËnes d’autres natures, et notamment ‡ ceux d’ordre Èconomique, qui impulsent l’essentiel des mouvements historiques de quelque importance. De la mÍme faÁon, c’est le caractËre hÈgÈmonique de la civilisation hellÈnique qui, dans une large mesure, justifie le mÈpris bien connu des Grecs pour les langues et traditions ÈtrangËres, lequel s'est inÈluctablement accompagnÈ d'une absence notoire de traduction. Ce dont Ballard se fait l’Ècho, tout en mÈnageant nÈanmoins quelques ouvertures pertinentes. Ayant en effet rappelÈ qu’ “ il n'existe guËre (...) de tÈmoignages sur la traduction en GrËce [puisque] comme les Egyptiens, les Grecs considÈraient les langues 3 Kramer Samuel N., L’histoire commence ‡ Sumer, Paris, Artaud, 1957:46. CitÈ in Ballard 1992. autres que la leur comme "barbares", l’auteur prend la peine de prÈciser que “ Le traductologue en mal d'origines nobles trouvera nÈanmoins dans la civilisation grecque deux ÈlÈments qui ne peuvent le laisser indiffÈrent: la pratique de l'oracle et un dÈbut de rÈflexion sur le langage. ”4 L’importance des oracles, qui se manifestaient sous la forme de signes trËs divers que l' "Hermeneus" interprÈtait, n’est certes pas nÈgligeable, loin de l‡. Et selon Ballard, cet usage des signes dans lequel le sens est ‡ construire recouvre implicitement une sÈmiotique potentielle, et rÈvËle une conscience aiguÎ de l'ambiguÔtÈ du langage et de la communication en gÈnÈral.5 Par ailleurs, Platon (428/427-347/346 av. J.C.) s'interroge sur l'origine et la nature du langage; puis Aristote (384-322) Ètudie les ÈlÈments du discours et Èbauche l'analyse de la phrase en sujet et prÈdicat. Ce qui nous amËne naturellement ‡ constater dËs maintenant le recoupement manifeste des prÈoccupations du traductologue et de celle du sÈmioticien puisque, logiquement (c'est d'ailleurs presque tautologique), s'intÈresser ‡ la traduction revient ‡ s'intÈresser ‡ la traduction de signes par d'autres signes, ce qui implique nÈcessairement de s'intÈresser au(x) signe(s). En ce qui concerne, chez les HellËnes, la traduction ‡ proprement 4 Ballard 1992:26-27. 5Ibid. p. 27. parler, on retiendra que l'on traduit essentiellement vers le Grec, ce peuple dominant ayant rÈussi ‡ imposer sa langue dans une partie du bassin mÈditerranÈen. L'histoire de la pierre de Rosette en offre une illustration convaincante.6 Cette stËle, qui appartient ‡ l'Egypte ptolÈmaÔque, porte en effet l'une des plus cÈlËbres traductions de l'antiquitÈ, rÈalisÈe en 196 av. J.C. (sous le rËgne de PtolÈmÈe V) et dÈcouverte en septembre 1799. Elle comprend trois inscriptions: un texte (ou biscript) Ècrit en hiÈroglyphes et en dÈmotique, et sa traduction en grec, qui ont permis ‡ Champollion, par comparaison, de dÈchiffrer les hiÈroglyphes en 1822. La lÈgende de la Bible des Septante rÈvËle encore l'importance de la traduction ‡ cette Èpoque. Et Philon le Juif (v. 13 av. J.C.-v. 54 aprËs J.C.) en tÈmoigne, rapportant que “ sur l'ordre du pharaon PtolÈmÈe II Philadelphe (285- 247) 72 savants juifs, d'‚ge vÈnÈrable, et vertueux, auraient traduit en 72 jours le texte du Pentateuque. ”7 La Version des Septante ou Septuaginte apparaissait alors comme une nÈcessitÈ pour un nombre important de colons juifs auxquels l'hÈbreu de l'Ancien Testament Ètait devenu inaccessible. Cette version en langue grecque fut interprÈtÈe comme "le don des textes sacrÈs" par les juifs d'Alexandrie, mais ceux de Palestine y 6 Cf. Nida 1964:11. 7 Ballard 1992:31. Nida est plus prÈcis (Nida 1964:26) lorsqu'il parle de "the alleged miraculous translation of the Septuagint by seventy-two men (six from each of the twelve tribes), who, in groups of two and in complete isolation from other translators, translated the entire Old Testament with such divine inspiration and control that the resulting thirty- six drafts where absolutely identical in all respects (Thackeray, 1917)." virent "une faute grave comparable ‡ l'Èrection du veau d'or."8 Ces rÈactions contradictoires mettent en Èvidence deux conceptions de la traduction: pour certains, elle agit comme un rÈvÈlateur, tandis que pour d’autres elle fait office de blasphÈmatrice. Pointant cette dichotomie, G. Steiner illustre la gravitÈ de l’acte perÁu comme un sacrilËge en donnant l’exemple du Megillath Taanith, un tabou datant vraisemblablement du premier siËcle, et qui rapporte que “ le monde s'obscurcit pendant trois jours quand la Loi fut traduite en grec ”.9 En s’opposant au concept de ‘traduction-rÈvÈlation’, les textes de la Bible accrÈditent aussi parfois l'idÈe plus radicale de l'impossibilitÈ d’une activitÈ traduisante et de son aspect dÈgradant, en montrant la traduction comme transgressant un interdit de communication, auquel est par ailleurs consacrÈ le cÈlËbre mythe de la tour de Babel, ou Babylone, dont voici un extrait dans la traduction de L. Segond: “ Toute la terre avait une seule langue et les mÍmes mots. (...) Allons! B‚tissons nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersÈs sur la face de toute la terre. L'Eternel descendit pour voir la ville et la tour que b‚tissaient les fils des hommes. Et l'Eternel dit: voici, ils forment un seul peuple et ont tous une mÍme langue, et c'est l‡ ce qu'ils ont entrepris; maintenant rien ne les empÍcheraient de faire tout ce qu'ils auraient projetÈ. Allons! Descendons, uploads/Litterature/histoire-de-la-traduction 1 .pdf

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