En quête de Perceval Étude sur un mythe littéraire Odilon Redon, Parsifal Thèse
En quête de Perceval Étude sur un mythe littéraire Odilon Redon, Parsifal Thèse de doctorat présentée par Christophe Imperiali, sous la direction des professeurs André Wyss (Université de Lausanne - littérature française) et Jean-Louis Backès (Université de Paris IV-Sorbonne - littérature comparée) 2 Remerciements Avant toute chose, je tiens à remercier chaleureusement mes deux directeurs de thèse, André Wyss et Jean-Louis Backès, pour la confiance qu’ils m’ont témoignée tout au long des cinq ans que j’ai passés sur ce travail ; leur précieuse écoute et leurs conseils avisés ne m’ont jamais fait défaut, des premiers balbutiements du projet de thèse jusqu’aux ultimes relectures. Ma reconnaissance va également aux quatre membres de mon jury de thèse, Ursula Bähler, Marie Blaise, Véronique Gély et Alain Corbellari. Leurs profils intellectuels, leurs champs de spécialisation variés et le regard attentif qu’ils ont bien voulu porter sur mon travail ont contribué à faire de mon colloque de thèse un moment très constructif, qui m’a permis de prendre conscience de certains flottements, et de mettre au jour certains impensés qui hantaient encore mon travail. Qu’ils en soient remerciés. 3 A. FONDEMENTS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES I. Introduction : Perceval en question Perceval se présente à nous comme une question sans réponse. D’où vient-il ? Où va-t-il ? Que cherche-t-il ? Lorsque, dans l’opéra de Wagner, Gurnemanz pose à peu près ces questions au jeune Parsifal, celui-ci ne sait répondre que par un invariable « das weiß ich nicht ». Profonde naïveté du « pur fol », sans doute ; mais il n’en reste pas moins que ces questions de Gurnemanz, bien des artistes et bien des critiques se les sont posées, sans jamais parvenir à une réponse qui paraisse définitive. Et si Perceval, après plus de huit siècles d’existence littéraire, continue de nous apparaître comme une question en suspens, peut-être est-ce parce que lui-même, à l’aube de cette existence, n’a pas su poser la question que le monde attendait de lui. Devant le graal, Perceval demeure muet ; il se promet bien de ne pas en rester là, et tout son itinéraire, toute sa queste, est orientée, dès lors, par cette question à poser. Mais Chrétien de Troyes, premier et insurpassable biographe de Perceval, ne l’accompagne pas jusqu’à ce stade ; son récit s’« inachève » sans que la question ait été posée. Les points de suspension sur lesquels il nous quitte ne tardent pourtant guère à prendre une courbure interrogative : la question non posée par Perceval devient une question posée aux poètes du temps, un défi lancé à leur sagacité et à leur talent. Qu’allait-il se passer ? Qu’allait devenir Perceval ? Compte tenu de la densité structurale et symbolique du texte de Chrétien, cette question apparaissait comme suffisamment pressante pour susciter en peu d’années un nombre considérable de continuations et réécritures qui, par des chemins variés, ont tenté d’élucider telle ou telle des obscurités que le texte de Chrétien laissait planer comme un silence angoissant. Chacun y va de ses hypothèses, inventant les questions que Perceval pose ou ne pose pas à un Roi Pêcheur que parfois il guérit, auquel il succède parfois – lorsqu’il ne s’est pas perdu dans la forêt des aventures, lorsqu’il ne s’est pas défilé par crainte de mettre un terme à sa quête… Tous ces récits se présentent à la fois comme des tentatives de réponse à la question laissée en suspens par le texte de Chrétien, et comme des relances permanentes du questionnement. Un 4 tel affirme que le graal est le calice dans lequel fut recueilli le sang du Christ : a-t-il raison ? Ne faut-il pas y voir plutôt une pierre – un livre ? Chaque réponse proposée se trouve donc, en quelque sorte, remise en question par ceux qui viennent ensuite et, à ce titre, apparaît comme une réplique dans un vaste jeu de question/réponse qui s’étend à travers les siècles et qui est loin d’avoir tari l’inépuisable faculté de renouvellement qui semble résider dans cette matière. Ce dialogue mené à travers les siècles dictera, dans la première partie du présent travail, le regard historicisé que je porterai sur un corpus d’abord considéré dans sa dimension diachronique. Il s’agira d’observer comment une figure comme celle de Perceval traverse les siècles en conservant toujours certains traits qui la rendent identifiable, tout en se chargeant de sens toujours renouvelés, variant d’œuvre en œuvre et de siècle en siècle. L’approche thématique qui suivra cherchera à rendre compte de deux aspects particulièrement saillants que le parcours diachronique aura permis de circonscrire : ce seront, d’une part, les enjeux relationnels très forts qui apparaissent de façon récurrente dans les reprises de cette trame narrative, et d’autre part, la propension à faire apparaître cette matière comme un miroir de ces deux pôles de l’activité littéraire que sont l’écriture et la lecture – propension qui est également très présente dans le devenir historique du mythe de Perceval. Mais voilà qu’après avoir parlé de « matière » ou de « trame narrative », j’en viens à employer le mot « mythe ». Dans le cours de ma recherche, j’ai d’abord pensé pouvoir me concentrer sur la « figure » de Perceval, sans me demander dans quelle mesure les configurations dans lesquelles la forme percevalienne se trouvait engagée pouvaient ou devaient être considérées comme « mythiques ». Mais je me suis vite aperçu qu’une étude de cette nature manquerait peut-être sa principale cible si elle ne servait aussi à réfléchir, à travers l’exemple percevalien, sur la notion de mythe et, plus spécifiquement, sur les rapports toujours équivoques qu’entretiennent, depuis la nuit des temps, le mythe et la littérature. L’histoire de Perceval présente la particularité d’être un mythe relativement récent, dont la naissance est intimement liée à un texte littéraire bien identifié ; à ce titre, elle paraît être un lieu tout indiqué pour l’étude du mythe en littérature – voire, si ce terme a un sens, pour l’étude du mythe littéraire. Avant d’entrer en contact avec mon corpus, je commencerai donc par définir d’un point de vue théorique cet objet qui apparaît comme le cœur de ma démarche interprétative : le mythe littéraire. Il conviendra ensuite, en bonne logique, de déterminer les bases méthodologiques 5 que cet objet me dictera, de manière à aborder l’étude des textes avec quelques outils dont il s’agira d’évaluer la pertinence tout en les utilisant. 6 II. Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? 1. Les « séduisantes hérésies » de la mythocritique L’étude des mythes en littérature n’est évidemment pas une nouveauté. Depuis quelques décennies, il existe même un nom qui apparaît a priori comme la bannière sous laquelle devraient se ranger ceux qui souhaitent prendre appui sur le mythe pour lire des textes de façon critique : il s’agit de la « mythocritique », terme forgé par Gilbert Durand autour de 1970, sur le modèle de l’étiquette « psychocritique » qu’avait choisie Charles Mauron pour désigner sa méthode de lecture. Mais de même que l’ensemble des critiques d’inspiration psychanalytique sont loin de relever de la psychocritique, de même la mythocritique semble-telle peiner à se constituer en discipline autonome, suffisamment bien délimitée pour être partagée ou enseignée comme telle. On pourrait supposer que la parution récente de Questions de mythocritique, ouvrage publié sous la direction conjointe de Danièle Chauvin, d’André Siganos et de Philippe Walter 1 , a contribué à homogénéiser quelque peu le champ critique en question. Le sous-titre générique « dictionnaire », qui apparaît en lettres rouges sur toute la largeur de la couverture, porterait à croire qu’un classement méthodique a été réalisé et qu’enfin un « concile comparatiste » a été « assez puissant et prestigieux pour imposer ses décrets à une Église turbulente où flamboient les hérésies les plus séduisantes et les plus fructueuses » 2 , pour reprendre les mots par lesquels Raymond Trousson concluait le XIVème congrès de la Société Française de Littératures Générale et Comparée, en 1977. Dans cette intervention, après s’être félicité d’un regain d’intérêt pour l’étude des mythes en littérature, Trousson notait pourtant une multiplication excessive des visées et des méthodes, et appelait de ses vœux un « un effort concentré au niveau de la terminologie et des concepts, faute duquel, menaçait-il, nous courons à la confusion ». Trente ans de « course » plus tard, qu’en est-il ? Pour être tout à fait honnête, il est difficile d’affirmer que la situation s’est considérablement améliorée. 1 Questions de mythocritique. Dictionnaire, dir. Danièle Chauvin et alii, Paris: Imago, 2005, p. 37. 2 Mythes, images, représentations. Actes du XIVème congrès (Limoges 1977) de la Société Française de Littératures Générale et Comparée, dir. Jean-Marie Grassin, Limoges/Paris: Trames/Didier érudition, 1981, p. 179. 7 Le « dictionnaire » de mythocritique, de fait, se présente comme une suite de fiches qu’il serait, certes, possible de regrouper par affinités méthodologiques, mais qui illustrent une telle diversité d’approches et même de définitions des notions fondamentales qu’il semble à peu près impossible, sur cette base, de s’entendre sur une vision tant soit peu univoque de la question. Plutôt que comme uploads/Litterature/ en-quete-de-perceval.pdf
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- Publié le Jan 03, 2023
- Catégorie Literature / Litté...
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