bb AFRICULTURE Omar D. Entretien Peux-tu nous parler de l'origine de ce travail
bb AFRICULTURE Omar D. Entretien Peux-tu nous parler de l'origine de ce travail et surtout de la façon dont tu t'y es pris pour constituer cette... œuvre bouleversante qu'est "Devoir de mémoire" / A biography of disappearance. Algérie 1992 - " paru chez Autograph ABP ? J'ai très tôt pris conscience, vivant dans un pays en crise perpétuelle, d'être non pas un citoyen puisque je ne participais jamais à aucune vie sociale,à un quelconque vote mais que j'étais un simple témoin,un observateur curieux face à un système de déculturation dans un pays nouvellement indépendant.J'étais en "border line".J'avais pris conscience de l'importance des valeurs de liberté et de justice,à la suite d'une arrestation au cours d'une manifestation d'étudiants alors que je prenais des photos. La relation entre l'armée qui incarne l’Etat et celui qui se met à son service,c'est à dire le citoyen, est une relation de maître à esclave.Je découvrais le rôle et l'importance de la photographie face à cette situation, ainsi que toute la démagogie d'une dictature folklorique,sauf que la violence,elle,était réelle.Je décidais d'être un témoin de cette hisoire,pour donner une image différente de celle du pouvoir et ainsi je me mettais en réalité,définitivement en marge de la société,une forme de thérapie,proche de la schizophrénie,salutaire dans ce genre de dictature pour celui qui voulait garder une intégrité intellectuelle et morale.Pendant la guerre civile des années 90,photographier devenait un geste suicidaire,si on n'était pas affilié à la presse officielle et il serait indécent de croire à une quelconque liberté de presse.Tout était manipulé.On sait,avec le temps,qu'un service de presse militaire transmettait les instructions à certains journalistes qui devaient véhiculer l'information "officiellle".Nos journalistes ont été la honte de cette décennie et il serait temps de mettre au grand jour l'histoire réelle du journalisme algérien ainsi que les collaborateurs français qui ont relayé l'information pour donner à cette histoire la version désirée avec les conséquences que l'on connait,.Beaucoup de journalistes,d'éditeurs d'intellectuels et politiciens comme bernard Henri Lévy,glucksmann ,simone veil et compagnie ont marché dans cette combine.Force est de reconnaitre le pouvoir de manipulation des assassins qui ont été à la source de cette tragédie.Cependant il faudra rendre hommage à certains intellectuels français et algériens qui ont,très tôt, dénoncés ces manoeuvres. C'est,à la suite d'une entrevue avec l'éditeur Robert Delpire,qui mettait sous presse le livre de Von Graffienreld,"une guerre sans images", dont il était l'éditeur et à qui j'expliquais la manipulation dont a été victime le photographe , neveu de l'ambassadeur suisse à Alger,que j'avais décidé de répondre par un livre sur ma vision de cette guerre qui a fait 200 000 morts et plus de 10 000 disparus. Von graffenreld ,maintenant,reconnait la manipulation dont il a été l'objet ,mais ne se gêne pas ,comble de la perfidie,de continuer à préferer sa version complètement érronée,dictée par les généraux algériens, et à qui il doit sa notoriété . Il est des jours où l'éthique,cédant le pas à la vulgarité,peut donner à réfléchir sur le sens ,que léguent certains esprits malhonnêtes à l'histoire de notre temps. Ma décision de témoigner,à ma manière, c'est à dire sans images de violence,juste avec la puissance et l'éthique d'un visage,d'un intérieur ou d'un paysage,a été prise à la suite d'une rencontre avec un responsable de la ligue indépendante des droits de l'homme et la responsable de l'association des disparus en Algérie(CFDA) qui m'ouvrait les dossiers de disparus qu'elle avait pu réunir. Quant à l'édition,j'ai préféré un éditeur autre que français pour éviter toute mauvaise interprétation et Autograph à Londres a pris ce risque.Le sujet ,ne relevant pas du domaine de la photographie seule,ni d'un pays particulier puisque le phénomène de la disparition forcée s'avère être une forme banale de défense pour tout état,même démocratique,désirant réprimer une opposition gênante, nous est apparu intéressant pour dénoncer ces pratiques d'un autre âge. Comment travailler avec les familles et sur les lieux où toutes ces personnes ont vécu ? Je veux dire, comment faire face, photographiquement parlant, à cette expérience inouïe qu'est la disparition forcée de milliers de personnes en la touchant de prés ? En Algérie, il n'est pas question de demander une autorisation quelconque.J'ai toujours travaillé sans autorisation en sachant les risques que j'encourrais mais c'était ça ou rien.Je suis entré en contact avec l' association à Alger "SOS disparus" par un membre de la ligue des droits de l'homme.Je savais que les responsables de l'association,étaient crédibles et qu'ils étaient très proches de cette ligue dont les membres fondateurs,ont toujours été dans l'opposition démocratique.À partir de là, nous avons pu revoir tous les dossiers pour choisir les personnes qui présentaient une histoire interessante et dont la famille serait d'accord pour la publication des photos dans le livre.Nous avons pris contact avec les premières familles et à mon grand étonnement ce sont ces familles qui m'ont encouragées de faire ce travail.Personne ne pensait qu'on irait jusqu'au bout.Plusieurs journalistes étaient passées mais cela finissait par un article qui passait souvent inaperçu et ne faisait réagir aucune autorité.Désabusées,toutes les familles pensaient que ce projet n'aboutirait pas.En fait,ce qui était different,c'était de faire un livre édité par un éditeur anglais sérieux ,en l'occurence les éditions "Autograph" car tout le monde savait que la France cautionnait ce système ou du moins fermait les yeux sur les exactions des militaires et aucun éditeur,en France, n'aurait pris le risque de travailler sur un sujet pareil,du moins à l'heure actuelle.Pour les encourager à nous aider,nous montrions à ces familles le travail antécedent sur l'Irak ainsi que les articles concernant mes differentes expositions.Ils comprenaient que l'entreprise n'était pas sans danger mais qu'un livre qui servirait à immortaliser leur histoire que le pouvoir voulait effacer,serait la consécration de leur long et difficile combat pour la vérité.Ce combat était quotidien et chaque mercredi,cette association,à l'instar des femmes de la place de Mai au Chili manifestait et continue à ce jour à manifester devant la ligue"officielle" des droits de l'homme,une ligue en somme à la solde du pouvoir,mise en place surtout pour donner une certaine image des droits de l'homme à l'opinion internationale. Toutes les familles que j'ai rencontré,sans exception, ont accepté de parler.J'ai pu ainsi avoir accès à leur maison et à leurs intimes confidences,terribles témoignages de ces nuits où les hommes se déguisent en monstres pour venir arracher à jamais un être cher à sa maison,avec la violence qui caractérise ces actions, pour l'emmener vers des lieux à jamais inconnus.Gravées à jamais dans ma mémoire ,ces histoires qui continuent à hanter certaines de mes nuits sans sommeil, ces témoignages m'ont fait découvrir la face cachée de l'Homme quand il se déguise,la nuit, en meurtrier et revêt au matin l'habit de la justice.J'ai eu accès aux rares photographies défraichies où je découvrais des êtres de tous âges,souriants,pendant ces moments de rares bonheurs,immortalisées par un appareil de photo de fortune et que seule la Photographie a la faculté d'immortaliser à jamais.Et ,il faut découvrir comment ces gens tenaient à leurs petites photos et la peur de les perdre,derniers témoignages d'un être à jamais perdus.De ces rencontres,de ces êtres ,je garderai le souvenir de moments très émouvants qui m'ont permis de continuer mon chemin et ce, grace à la Photographie.Il me venait en mémoire alors un texte de Levinas sur l'éthique du visage et le sentiment de dénuement et son extrême vulnérabilité qui nous prend en otage, et dont nous nous sentons responsable.C'est à partir de là que j'avais décidé d'opter pour une photographie de style documentaire chère à Walker Evans,contrairement à une Photographie conceptuelle très en vogue actuellement dans le milieu de l'art contemporain et qui,après quelques essais à la chambre photographique,donnait au sujet une forme surréaliste contraire au coté "humaniste"de cette histoire. J'ai photographié,pendant trois années avec cette unique obsession dans mon esprit de m'exprimer sur ce sujet qu'est une disparition.Je n'ai eu,pendant tout ce temps que la volonté de traduire en image l'émotion que suscitait chacune de mes rencontres avec un parent de disparu.À chaque voyage,je redoutais l'instant d'être confronté,non pas,à une rencontre avec les bourreaux de cette tragédie mais à la découverte des nouvelles photographies que je ramenais dans mes bagages.Seule l'évocation dune émotion,d'une sensation,d'une impression visuelle en rapport avec cet évenement grave m'importait à chacun de mes tirages que je faisais dans la solitude la plus absolue.Je travaillais ainsi à la recherche du détail qui pouvait réveiller en moi l'émotion pouvant évoquer la mémoire de la victime. J'avais donc commencé avec la chambre photographique .Mais ,au premier contact avec les parents de disparus,je lisais l'inquiètude dans les regards car ces gens se sentaient toujours sous la menace d'une descente de police,qu'ils avaient déjà subie avec tout son lot de violence et d'humiliation.Ces gens me faisaient comprendre qu'il ne fallait pas tarder,car je leur faisais courir de graves dangers et que la situation ne s'était pas améliorée pour eux.Le moindre bruit suspect de la rue,une voiture qui s'arrêtait devant la maison ou une porte qui s'ouvrait nous donnaient le sentiment d'être à la merci d'une descente de police avec son lot de violence. Je me rendais compte que je me uploads/Litterature/ entretien-omar-d-sur-le-livre-quot-les-disparus-quot.pdf
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- Publié le Jui 23, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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