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www.eruditio-antiqua.mom.fr Eruditio Antiqua 1 (2009) : 1-14 L’ÉRUDITION DES GROMATIQUES ROMAINS JEAN-YVES GUILLAUMIN UNIVERSITÉ DE FRANCHE-COMTÉ Résumé L’extrême spécialisation des textes des arpenteurs romains n’empêche pas l’irruption, dans ce corpus, d’une érudition souvent de bon aloi. À côté de l’étalage un peu cuistre de connais- sances encyclopédiques dans les traités du Bas Empire, on peut mettre en évidence, dès les écrits du Haut Empire, un certain nombre de références et de développements de nature philo- sophique, géographique et astronomique, et même mathématique ; mais peut-être le trait plus notable est-il le recours à des étymologies d’origine varronienne qui ne sont pas gratuites, car leur rôle est de participer à l’expression de cette idéologie de la victoire romaine qui sous-tend largement les quatre grands traités « gromatiques » qui sont parvenus jusqu’à nous. Riassunto L’estrema specializzazione dei testi degli agrimensori romani non impedisce l’irruzione in questo corpus d’una erudizione spesso di buona qualità. Insieme allo sfoggio un po’ pedante delle conoscenze enciclopediche dei trattati del basso Impero, si possono evidenziare, fin da- gli scritti dell’Alto Impero, un certo numero di riferimenti e di argomentazioni di natura filosofica, geografica, astronomica ed anche matematica. Ma forse l’aspetto più notevole è il ricorso ad etimologie di origine varroniana che non sono gratuite, poiché la loro funzione è di partecipare a quella ideologia della vittoria romana che sottende largamente i quattro grandi trattati gromatici che sono giunti sino a noi. JEAN-YVES GUILLAUMIN L’ÉRUDITION DES GROMATIQUES LATINS Eruditio Antiqua 1 (2009) 2 Il est tout à fait étonnant de constater l’importance que tient l’érudition dans ce que l’on appelle la littérature gromatique1, c’est-à-dire ce corpus de 500 pages dont l’édition la plus complète reste celle de K. Lachmann (Berlin, 1848), qui ras- semble les bribes parvenues jusqu’à nous de l’ensemble des écrits romains ayant trait à l’arpentage, couvrant une époque qui s’étend au moins du Ier s. av. J.C. jusqu’au IVe après, pour les auteurs et les textes les plus notables. L’idée que l’on se fait spontanément des agrimensores est en effet celle de personnages dont l’ambition ne va pas plus loin que d’organiser le mesurage et le traçage des territoires, donnant pour cela des méthodes géométriques et rappelant des conven- tions juridiques dans un contexte où l’érudition semble n’avoir que faire. Et cependant l’érudition joue ici un rôle exceptionnel, soit par une intention procla- mée, soit en filigrane. Je ne parle même pas du savoir approfondi et autant que possible exhaustif que revendiquent les arpenteurs romains dans le domaine de connaissance qui est le leur, ni de la connaissance précise des matériaux sur les- quels ils vont travailler, ce qui est bien la moindre des choses pour tout spécialiste qui se revendique comme tel. Si les gromatiques sont des érudits, c’est évidem- ment parce qu’ils collectent les connaissances venues d’une époque plus ancienne et qu’ils entendent les transmettre ; mais, théologiens, juristes, étymologistes, his- toriographes, antiquaires, ils poursuivent, dans la mémorisation et dans la transmission de ces connaissances, des buts bien affirmés. Les domaines dans lesquels se manifeste l’érudition de ces auteurs sont va- riés et très étendus. Ils satisfont ainsi à l’exigence d’universalité imposée par Vitruve à son architecte, et de manière générale par tous les théoriciens de l’antiquité aux spécialistes des sciences et des techniques auxquelles ils consa- crent un traité. Des textes tardifs demanderont encore au mensor de posséder toutes les qualités, et arte et moribus2, que devait avoir l’orateur de Cicéron et de Quintilien. On sera alors devant des revendications relativement uniformes, ins- crites dans l’optique délibérément encyclopédiste qui tend à être l’attitude romaine et tardo-antique de référence ; la préoccupation sera aussi de revendiquer pour l’ars mensoria une place parmi les disciplines libérales. Sans doute sera-t-il plus intéressant d’observer, à l’époque antérieure et dans des écrits plus spécifi- quement « gromatiques », les manifestations d’une érudition dont les causes et la justification sont plus originales. 1 L’adjectif est tiré du nom de la groma, l’appareil dont se servent les arpenteurs romains pour tracer des alignements et des perpendiculaires. Les auteurs de traités d’arpentage sont dési- gnés comme « gromatiques », ou agrimensores, ou mensores, ou tout simplement arpenteurs romains. 2 Exigences du Pseudo-Agennius Urbicus, auteur chrétien du début du VIe s. (?), p. 26 l. 15- 16 Lachmann, à la fin de son commentaire de Frontin ; car le mensor ne doit se tromper ni per imperitiam, ni per imprudentiam (l. 18). JEAN-YVES GUILLAUMIN L’ÉRUDITION DES GROMATIQUES LATINS Eruditio Antiqua 1 (2009) 3 Une érudition de qualification de l’ars mensoria au sein des disciplines libérales Il faut faire ressortir d’abord, car cela n’est guère connu ni étudié, qu’il existe dans certains traités du corpus gromatique des exposés érudits d’une cer- taine importance, même s’ils peuvent paraître chercher en eux-mêmes leur propre justification. Certes, cette érudition ne se distingue guère de celle que manifestent beaucoup d’autres traités relatifs à des disciplines différentes. Mais le fait même qu’un écrit d’arpentage puisse intégrer des développements qui ne dépareraient pas un exposé à vocation encyclopédiste tel que Rome en a connu à l’époque clas- sique et aux époques tardives est quelque chose d’assez remarquable. Un bon exemple sera celui du commentaire d’Agennius Urbicus, auteur par ailleurs in- connu. Au IVe siècle sans doute, il rédige un traité De controuersiis agrorum3 qui est le commentaire d’un texte d’époque flavienne, dont les uns accordent la pater- nité à Frontin et les autres non ; peu importe ici. L’introduction d’Agennius et plusieurs passages internes de son commentaire donnent à admirer une érudition qui va plus loin que le strict domaine de la gromatique. Avec un rien de cuistrerie, le professeur de droit, spécialiste des controverses sur les terres comme l’indique le titre de son ouvrage, se montre en philosophe dans son introduction, en mathé- maticien par la suite. Voulant en effet, dans son introduction, faire comprendre combien on est récompensé des efforts d’un long apprentissage quand on parvient enfin à dominer un ensemble de la connaissance humaine, sinon cette connais- sance dans sa totalité, et combien il est indispensable d’exercer et de forcer à l’effort un esprit humain qui, par nature, possède toutes les dispositions à la con- naissance mais aucun savoir acquis, c’est une véritable méthodologie de la connaissance, inspirée des théories stoïciennes, que l'auteur expose dans cette in- troduction qui ne nous est parvenue que sous une forme tronquée. Prenant l’exemple du langage, il développe la théorie stoïcienne selon laquelle le langage s’est formé naturellement (φυσικῶς en grec = naturaliter4 en latin), et la significa- tion des mots est donc naturelle (φύσει) et non conventionnelle (θέσει) ; au contraire, l’écriture relève de la convention et donc de l’apprentissage, comme re- lève de l’apprentissage la connaissance des arts libéraux. « Nous sommes trompés par une fausse conviction quand nous pensons que le savoir se trouve en nous d’une manière naturelle. C’est l’instruction, si je ne me trompe, qui est la gar- 3 Dans l’édition Lachmann, p. 59-90. 4 AGENNIUS URBICUS, p. 59 l. 9 Lachmann. JEAN-YVES GUILLAUMIN L’ÉRUDITION DES GROMATIQUES LATINS Eruditio Antiqua 1 (2009) 4 dienne de l’enfance », écrit-il5 en reprenant le thème de la nécessité de l’instruction des enfants qu’avait déjà soulignée Quintilien6. Après ce morceau initial de philosophie stoïcienne, Agennius termine son introduction7 avec un développement de nature géographique et astronomique as- sez long où il présente les quatre parties de la terre, oïkouméné, antoïkouméné, antichthones, antipodes ; où, ensuite, il donne la division tripartite de l’oïkouméné en Europe, « Libye » et Asie, avec les mers et les fleuves qui les limitent. Les données contenues dans cet exposé n’ont rien d’original et se laissent comparer à ce qu’on lit chez tous les géographes latins, de Pline à Martianus Capella en pas- sant par le Liber memorialis de L. Ampelius. L’auteur justifie ces développements de la façon suivante : Quom autem quaerendum uideatur quid sit ager et ubi sit, ad ordinem mundi partesque reuocamur, « Puisque l’on doit, semble-t-il, chercher la nature d’une terre et sa localisation, nous sommes ramenés à l’organisation du monde et à ses parties »8. De fait, les controverses sur le statut des terres, sujet de son ouvrage, touchent toujours une terre bien localisée dans telle ou telle partie du monde. Cependant, on ne se défend pas de l’impression que l’exposé gromatique est surtout un prétexte que saisit Agennius pour livrer un exposé érudit de sa science géographique et assurer du même coup à son ars le statut d’une discipline libérale et à lui-même un prestige indispensable à un professeur du IVe siècle. Un peu plus loin9, Agennius Urbicus se livre à un éloge de la géométrie qui n’apporte sans doute pas grand-chose à son étude des controverses et qui apparaît plutôt, lui aussi, comme un morceau de gloire écrit par un professeur au savoir étendu. Ce texte doit pourtant être mentionné parce qu’il possède l’extrême intérêt d’évoquer la question des médiétés arithmétiques, chose rare et même unique dans la littérature latine : Quin et geometricam analogiam aut armonicam aut arithmeticam aut con- trariam aut quintam aut sextam uploads/Litterature/ eruditio-antiqua-1-2009.pdf
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- Publié le Jan 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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