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Baroque 6 | 1973 Actes des journées internationales d'étude du Baroque, 1973 Essai d'une définition de la notion de « baroque littéraire » Adrian Marino Édition électronique URL : http://baroque.revues.org/414 DOI : 10.4000/baroque.414 ISSN : 2261-639X Éditeur : Centre de recherches historiques - EHESS, Éditions Cocagne Édition imprimée Date de publication : 15 mars 1973 ISSN : 0067-4222 Référence électronique Adrian Marino, « Essai d'une définition de la notion de « baroque littéraire » », Baroque [En ligne], 6 | 1973, mis en ligne le 15 mars 2013, consulté le 01 octobre 2016. URL : http:// baroque.revues.org/414 ; DOI : 10.4000/baroque.414 Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2016. © Tous droits réservés Essai d'une définition de la notion de « baroque littéraire » Adrian Marino 1 Insuffisamment assimilé par la critique, l’histoire et l’esthétique littéraire, le « baroque littéraire » est resté un terme assez confus et équivoque, gros de difficultés et de contradictions1. La critique et l’histoire littéraire traditionnelles hésitent ou, parfois même, évitent de l’adopter eu toute confiance. Par contre, les revues littéraires, surtout en France, en font un emploi assez abusif et chaotique2. Entre ces deux extrêmes, le concept de baroque se fraye difficilement un chemin, le long duquel il oscille continuellement entre les sens adjectivaux et nominaux, négatifs et positifs, synchroniques et dyachroniques, historiques et typologiques, stylistiques et esthétiques. Et il n’est guère facile de le rappeler à l’ordre et de le clarifier. Mais dès que l’incertitude et la confusion commencent à se dissiper, l’idée de baroque s’avère particulièrement utile et même nécessaire, au sens strict du mot, étant donné qu’elle définit une catégorie esthétique fondamentale, elle-même définie par des particularités spécifiques, irréductibles. 2 1. La controverse commence .dès l’instant où l’on serre de plus près l’origine même de ce mot, selon tous les indices, à double provenance, dont les sens se sont mêlés, au cours du XVIe siècle, dans l’adjectif baroque. Il s’applique, semble-t-il, tout d’abord aux perles de formes irrégulières, importées des Indes par les Portugais (perolas barrocas ou berruecos). Mais il existe des indices que ce mot aurait également possédé une signification totalement différente de la signification courante, et qui ne serait pas sans rapport avec la figure syllogistique que la scolastique désignait du nom de baroco. Cette figure était assimilée, ironiquement, aux sophismes et à la pédanterie, ainsi qu’on peut le constater chez l’humaniste Luis Vives (1519) et surtout chez Montaigne (I.1. chap. XXV). Ce qui importe, toutefois, c’est que les deux sens retiennent l’idée « d’étrange », « surprenant », « inusité », « bizarre », en lui donnant, dès la fin du XVIe siècle, une acception péjorative certaine qui ne cesse de se raffermir au cours du siècle suivant. D’autres étymologies (esp. Berrueco = roche de granite; ital. baroccho = fraude commerciale ou fiscale). que l’on Essai d'une définition de la notion de « baroque littéraire » Baroque, 6 | 2013 1 retrouve également au XVIIe siècle, semblent bien moins probables. Néanmoins, l’idée n’a vraiment commencé à faire carrière qu’à partir du moment où le sens technique (terme usité dans la joaillerie) et logique (ragioni barl’ochi) ayant été dépassés, elle s’est définitivement fixée dans les dictionnaires, avec son acception adjectivale. Le dictionnaire de l’Académie française (éd. 1740) précise que « Baroque se dit aussi au figuré pour bizarre, irrégulier, inégal. Un esprit baroque, une expression baroque, une figure baroque »3. L’assimilation et la définition de la notion deviennent ainsi possibles. 3 2. Le principal obstacle dans la voie de toute tentative de clarification théorique réside, encore de nos jours, dans l’extraordinaire résistance qu’oppose le sens négatif du terme. Le sens populaire. traditionnel, plus ou moins invincible, demeure toujours le même, à savoir: «irrégulier », donc imparfait, « bizarre », donc laid, « extravagant », donc faux, ridicule, strident, identique à « mauvais goût », à exagération, désordre, manque de sens esthétique. est facile de voir que la naissance et la propagation de ce préjugé sont dues tout d’abord aux résistances qu’opposent au baroque le goût et l’esthétique classiques, plus exactement, le classicisme, dont le rigorisme jette toujours davantage l’opprobre sur ce concept, surtout à partir du XVIIe siècle, lorsque voit le jour la dualité classique = parfait/baroque = imparfait. D’une part, rigueur, sévérité, harmonie, équilibre, bienséance : de l’autre, affectation, excès, extravagance, absence de mesure et de sens des convenances. 4 C’est de cette époque que date l’acception négative. et même ridicule du baroque, renforcée par les romanciers (Le Sage, Gil Blas, 1. VII, chap. XIII), les idéologues (Voltaire, art. Goût, Dictionnaire Philosophique : Rousseau, art. Baroque, mais seulement en musique, Encyclopédie. Supplément, 1796), les esthéticiens encyclopédistes (Quatremère de Quincey, Encyclopédie méthodique, 1788), les théoriciens (F. Milizia, Dizionario della belle arti, 1797). Les derniers textes, surtout sont révélateurs. Pour Quatremère de Quincey le baroque a, en architecture, une « nuance de bizarre », de raffinement abusif. « L’idée de baroque entraîne celle de ridicule poussé à l’excès ». Milizia est encore plus catégorique : « Le baroque est le superlatif du bizarre, l’excès du ridicule » fait de stranezze, bizzarrerie, irregolarità, acorrezioni, convufsioni, etc.4. Cette nuance polémique devient l’un des principaux lieux communs de l’esthétique du XIXe siècle, toujours enclin, du haut de son esprit traditionnel, classique, à confondre, comme le fait Hegel (Verlesungen über die Aesthetik, II, l, 1-2) le baroque avec le « barbare », avec ce qui est « brut, dépourvu de beauté, sauvage », ou, comme l’estime Burkhardt (Der Cicerone, 1855), et après lui Nietzche (Menschliches, Allzumenscliches, 1878), avec la « décadence » de l’art de la Renaissance. Le prestige de l’art classique pèse lourdement sur le destin tout entier de l’idée de baroque, entre laquelle et lui-même il affirme l’existence d’une incompatibilité essentielle, catégorielle. 5 Le dernier des grands détracteurs du baroque, B. Croce, a vis-à-vis de celui-ci la même attitude que celle adoptée avant lui par Francesco de Sanctis. Sa Storia della età barocca in Italia (1928) pousse jusqu’à ses dernières conséquences la démonstration de la « décadence » : « Mode de perversion et de laideur artistique », « ruine littéraire », « époque de dépression spirituelle et d’aridité créatrice », dont le symbole de « valeur esthétique négative » est le baroque. L’intransigeance de l’esthéticien italien se maintient entière en dépit des progrès des recherches modernes : « variété du laid », « forme de mauvais goût esthétique »5. Sans doute. la vision actuelle est totalement différente, ne serait-ce qu’en raison du principe esthétique (admis par le même Croce) qu’il n’y a pas d’œuvre d’art intégralement « laide ». Toutes sont sauvées par des fragments Essai d'une définition de la notion de « baroque littéraire » Baroque, 6 | 2013 2 qualitativement égaux à n’importe quelle autre création. Il existe, par ailleurs, des œuvres « baroques » réussies ou ratées, selon les circonstances. Toute œuvre, quel que soit son style, est esthétique si elle participe à la condition de l’art. En tous cas. la thèse traditionnelle strictement négative selon laquelle le baroque ne représenterait qu’une altération et une dégénérescence de la Renaissance, un phénomène d’irrégularité. doit être définitivement abandonnée. Il existe un « ordre » baroque6. L’analyse actuelle reconnaît au baroque les mêmes attributs catégoriels spirituels et esthétiques qu’à tout autre genre ou époque nettement caractérisés de l’histoire de l’art et de la littérature. de même qu’elle reconnaît au baroque, tout comme à n’importe quelle autre œuvre d’art, une personnalité esthétique nettement définie. 6 3. Le baroque se heurte également à de sérieuses résistances lorsqu’on l’englobe dans la série des catégories essentielles de l’esprit, dans la typologie fondamentale des conceptions de vie. Il devient ainsi une forma mentis, une constante de la vie spirituelle et, implicitement, une structure permanente de l’histoire de l’art. D’où la reconnaissance et la définition d’un baroque éternel. trans-historique, avec d’incessantes et parfaitement normales manifestations, vérifiées depuis la préhistoire et jusqu’à nos jours. Le baroque constituerait donc. avec le classicisme et le romantisme, un troisième type « utopique » de contemplation et de manière de prendre la vie, une manière fondamentale de vivre et de sentir. Mais la difficulté ne réside pas tellement dans l’acceptation de ce postulat, que dans la manière de définir et de dissocier exactement la « vision » du type baroque des autres formes éternelles de la conscience. Si, dans une semblable typologie, c’est surtout la relation entre les énergies de l’esprit, se trouvant en relations harmoniques ou dysharmoniques, unitaires ou contradictoires, qui est essentielle, et si l’on reconnaît que c’est l’esprit classique qui réalise de façon exemplaire la première tendance, alors c’est le baroque qui exprime et symbolise la tendance opposée au déséquilibre, à la contrariété et à l’irrégularité. Lorsque l’ordre, la mesure et la norme ne correspondent plus aux aspirations de l’esprit, en pleine effervescence et dilatation intérieure, le baroque apparaît comme une nécessité existentielle, comme la solution de certaines insatisfactions morales inévitables. D’où on peut tirer la conclusion que la « rébellion » et, en tout cas la perturbation de la stabilité existante, constitue une tendance « baroque uploads/Litterature/ essai-d-x27-une-definition-de-la-notion-de-baroque-pdf.pdf

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