Essais Revue interdisciplinaire d’Humanités 14 | 2018 Plurilinguismes en constr

Essais Revue interdisciplinaire d’Humanités 14 | 2018 Plurilinguismes en construction Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues Vers une didactique réticulaire Pierre Martinez Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/essais/372 DOI : 10.4000/essais.372 ISSN : 2276-0970 Éditeur École doctorale Montaigne Humanités Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2018 Pagination : 157-177 ISBN : 979-10-97024-06-2 ISSN : 2417-4211 Référence électronique Pierre Martinez, « Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues », Essais [En ligne], 14 | 2018, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 12 décembre 2019. URL : http:// journals.openedition.org/essais/372 ; DOI : 10.4000/essais.372 Essais Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues Vers une didactique réticulaire Pierre Martinez Langues vivantes : Les malheurs de la France viennent de ce qu’on n’en sait pas assez. Innovation : Toujours dangereuse. G. Flaubert, Dictionnaire des idées reçues. À l’origine, l’idée de donner ce texte à une revue scientifique de la qualité des Essais, à l’Université Bordeaux Montaigne, m’a paru difficile à concrétiser. Deux raisons à cela. D’une part, la conférence qui avait été à l’origine de la proposition relevait d’un genre oral à l’évidence spécifique et le passage à l’écrit en laisserait voir bien des imperfections et des insuffisances. Ainsi, des ques- tions abordées lors de cette intervention à l’Université Bordeaux Montaigne avaient donné lieu à des échanges qui ne figureraient pas ici. D’autre part, beaucoup de thèmes abordés (la médiation, le contexte, l’historicité…) demandaient à être creusés et cet approfondissement ne peut guère trouver sa place que dans des textes plus longs et plus étayés, qui sont d’ailleurs, pour ce qui me concerne, en voie de publication.1 Le projet même sur lequel nous nous étions mis d’accord, les organisa- teurs et moi-même, tenait en revanche toujours aussi solidement.2 Ni dans la 1 Pierre Martinez, La Didactique des Langues Étrangères, Paris, PUF, 1996. Une 8e édition de cet opuscule, fortement remanié dans ses orientations scientifiques, est parue en novembre 2017, ainsi que, début 2018, un ouvrage intitulé Un regard sur l’enseignement des langues. Des sciences du langage aux NBIC, Paris, Éditions des Archives Contemporaines. Le titre lui-même dit assez quel déplacement épistémologique est opéré dans ce dernier volume : le concept de didactique réticulaire, esquissé dans le présent article, y est, bien entendu, plus largement explicité. 2 Qu’il me soit permis de remercier particulièrement la Professeure Mariella Causa, respon- sable au plus haut niveau de ce qui peut faire avancer la connaissance du champ didactique à l’Université Bordeaux Montaigne et le Professeur Sandro Landi, directeur de l’École Doctorale Montaigne-Humanités. 158 Pierre Martinez conférence, ni dans le présent article, l’objet de la réflexion ne serait de retracer l’archéologie de la didactique, ce qui a déjà été fait dans de bons ouvrages.3 Il ne serait pas non plus, bien entendu, de se livrer à un exercice autobiogra- phique tel qu’un universitaire émérite (encore directeur de thèses, mais disons, étymologiquement, sorti des cadres de l’enseignement) pourrait en concevoir avec gourmandise l’intention égocentrique. Le propos est à la fois plus simple et plus ambitieux. Il consiste à dégager et mettre en lumière, dans ses grandes orientations, la problématique actuelle de la didactique des langues étrangères et secondes (désormais DLES), un domaine scientifique qui vise à faciliter l’appropriation des langues et à donner aux acteurs de ce domaine les moyens d’optimiser cette appropriation. Pour cela, il m’a semblé judicieux d’associer deux parcours. Il s’agit, d’un côté, de dessiner l’itinéraire du professionnel que j’ai été pendant longtemps, immergé ou plutôt « embarqué » (Pascal rejoint Montaigne), vivant les vicissitudes d’un champ théorico-pratique, ancré dans la formation humaine et professionnelle, dans l’intervention sociale. De l’autre, c’est bien de ces vicissitudes qu’on voudrait retracer quelques temps forts, et la didactique des langues en a été, dans les quatre ou cinq dernières décennies, riche en exemples : des méthodologies traditionnelles, fondées sur la grammaire, le texte littéraire et la traduction interlinguale, jusqu’aux approches communicatives et actionnelles qui ont fait pencher le balancier vers d’autres zones d’attente, on peut repérer bien des évolutions, des contradictions, des avancées aussi. Une partie de cette dynamique tient au fait suivant : si la DLES peut être considérée, à certains égards, comme une discipline, que ce soit en fonction de sa désignation académique ou parce qu’elle constitue bien une communauté de pratiques de recherche, elle est davantage à mes yeux un domaine scientifique qui définit son identité par la diversité des polarités vers lesquelles il s’est tourné et par les ressources auxquelles il a recours. Certes, ce sont les sciences du langage qui viennent aussitôt à l’esprit, mais bien d’autres aussi, de l’ethnographie de la communication et des sciences sociales en général, jusqu’aux technosciences numériques et cognitives de notre temps, et j’insisterai donc fortement sur cette diversité. La DLES a été depuis plusieurs décennies en voie de construction, de durcification (comme on dit aux Antilles), de solidification. Elle est à la recherche de son équilibre, ou plutôt de son centre de gravité, et elle continue de le faire, justement parce qu’elle est vivante et qu’elle n’existe qu’en situation. Il m’apparaît vain – j’en montrerai dans ce qui suit immédiatement quelques raisons – d’essayer de parler de la didactique sans tenir compte du contexte dans lequel elle est opératoire. Une didactique hors du contexte, décontextua- 3 Par exemple : Christian Puren, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris, Nathan-CLE international, 1988. Claude Germain, Évolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, Paris, CLE international, 1993. 159 Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues lisée (ou, pis encore, atopique, sans contexte) ne fait pas sens. C’est l’ornitho- logie sans l’air et sans la pesanteur. On le comprendra mieux par la suite, mais les exemples que l’expérience de terrain peut en fournir ne manquent pas, à commencer par celui que donnent, à l’heure actuelle, l’Union Européenne et son texte-phare (pour ne pas dire son mantra), le CECRL.4 Le discours de la DLES reste donc en voie de formation, il n’est ni figé sur une théorie (fût-elle le nec plus ultra actuel que semble être l’approche actionnelle), ni passéiste en ce qu’il regretterait la perte de ses fondamentaux anciens, notamment la relation historique du pédagogue, du maître (magister) à son élève (discipulus). Il me resterait à expliquer le choix de mon titre, mais peut-être les mots « vieux démons, nouveaux défis » parleront-ils tout seuls au long des pages : promesses et dangers, pour et contre, avant et après, contra- dictions, questions non résolues, difficultés en vue. Pour en venir à l’organisation de mon propos, j’adopterai très simple- ment quatre angles d’approche. Ils correspondent au trajet personnel que j’ai mis en regard de l’évolution du domaine de la DLES.5 À travers quatre types d’expériences, longues et prenantes, sur le plan des savoirs et, plus encore, des contacts et des enrichissements culturels et scientifiques, j’entends ainsi donner l’idée de ce que j’ai pu vivre sur quatre continents, comme enseignant, chercheur et formateur d’enseignants. Si la diversité des contextes conditionne l’intervention, il m’appartiendra de mettre en évidence, de donner à sentir, à partir d’une série d’exemples regroupés thématiquement, comment la didac- tique s’attache non pas à commander l’humain, mais à organiser les choses.6 Il me semble que le dégagement de la problématique dont j’ai parlé plus haut sera peut-être utile aux jeunes chercheurs, en master ou en thèse, en ce qu’il illustre une posture ou une position de recherche qui réunit expertise (toujours imparfaite) et expériences (toujours à poursuivre). À l’instar de son objet, le discours tenu dans ce texte, loin de trop grandes certitudes, reste toujours en évolution, ouvert à un horizon d’attente mais certainement pas à une quelconque doxa. Il sera, je l’espère en tout cas, une occasion d’approfon- dir leur réflexion pour ceux qui s’engageront dans cette voie et dans ce métier (au sens de ministerium, autant une vocation qu’une fonction) aux facettes variées, leur faisant se souvenir toujours des mots de Dante Alighieri, qui n’aimait pas moins le doute que les certitudes.7 4 CECRL : Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, Conseil de l’Europe, Division des Politiques Linguistiques, Strasbourg, 2001. 5 La linéarité chronologique est évidemment parfois mise de côté au profit du regroupement thématique. 6 Pierre Martinez, « Contextualiser, comparer, relativiser : jusqu’où aller ? », in Philippe Blanchet et Patrick Chardenet (éds), Guide de recherche en didactique des langues et des cultures : une approche contextualisée, Paris, EAC, édition 2011, p. 509-517. 7 « Che non men che saper, dubbiar m’aggrada. », Enfer, XI. 160 Pierre Martinez Une permanence des questions s’impose donc. J’en retiens trois. D’abord, la question théorique, qui pousse à constater l’extension épistémologique d’un domaine dont les objets, les processus et les méthodes sont en constante redéfinition au fil des mutations. Ainsi, il y a la DLES avant et après l’appa- rition du numérique, qui fait que l’apprenant n’est plus tout à fait le même en face-à-face et dans un dispositif collaboratif ; il y a les interrogations qu’on éprouvera au vu de sa diversité : il s’agit aussi de savoir par quel bout uploads/Litterature/ essais-372-pdf.pdf

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