Études photographiques Notes de lecture | 2010 Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les
Études photographiques Notes de lecture | 2010 Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire, 1. François Brunet Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3133 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Référence électronique François Brunet, « Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire, 1. », Études photographiques [En ligne], Notes de lecture, mis en ligne le 16 mars 2011, consulté le 09 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3133 Ce document a été généré automatiquement le 9 juin 2022. Propriété intellectuelle Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire, 1. François Brunet RÉFÉRENCE Paris, éditions de Minuit, coll. “Paradoxe”, 2009, 269 p. , 46 ill. , 22,50 € 1 Premier volume d’une série annoncée sous le titre L’œil de l’histoire, cet essai est issu de séminaires tenus à Bâle et à Paris en 2007-2008 et a été précédemment publié en espagnol. Le sujet principal en est Bertolt Brecht et ses pratiques d’écriture « illustrée » de l’histoire – de la guerre – dans le Journal de travail (1938-1955) et l’ABC de la guerre (édité pour la première fois, dans une version expurgée, en 1955), lues surtout à partir des échanges entre Brecht et Walter Benjamin et de la pensée benjaminienne d’une « connaissance par l’image ». Ainsi, ce nouvel ouvrage de l’auteur de Devant l’image (1990) s’inscrit-il dans la continuité de plusieurs de ses travaux antérieurs (notamment L’Image survivante, 2002, et Images malgré tout, 2003), qui exploraient déjà « l’œil de l’histoire » ou, comme Didi-Huberman l’exprime p. 46, « les conditions photographiques de la visibilité de l’histoire au xxe siècle ». Parmi ces conditions figurent au premier chef, sur le plan conceptuel, l’interaction du politique et de l’esthétique ; et sur le plan technique, la pratique du montage (au sens large de l’ensemble des pratiques d’insertion et de mise en relation des images). Selon le prière d’insérer, Brecht met en œuvre ses montages comme des « prises de parti » dialectiques et didactiques, alors que Benjamin en donne une lecture plus formelle, plus spatiale ou plus esthétique comme « prises de position ». Entre « prendre parti » au nom d’une raison politique et didactique et « prendre position » dans un sens plus pédagogique et formel, voire esthétique, se situerait donc une alternative quant à la nature et la légitimité de « l’œil de l’histoire ». Derrière cette alternative est posée la question plus générale de ce qui peut ou ne peut pas constituer la ou les visibilité(s) de l’histoire du Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoir... Études photographiques , Notes de lecture 1 xxe siècle. Mais, comme on peut l’attendre chez Georges Didi-Huberman, cette question n’est pas traitée ici sur le mode de la dissertation philosophique : c’est au contraire dans la série des analyses concrètes de situations documentaires concrètes, déployées au fil du livre, que se révèle tout l’intérêt critique et, à son tour, pédagogique de l’enquête dans le corpus brechtien. 2 La composition de l’ouvrage, en six chapitres eux-mêmes subdivisés en quatre à six sections, tend à imiter la structure lacunaire des montages de Brecht, dont elle reproduit en illustrations un nombre conséquent de pages issues surtout de l’ABC de la guerre. Le court premier chapitre (« La position de l'exilé : exposer la guerre ») présente le contexte du travail de Brecht sur les images de la guerre, soulignant la position de l’exilé « exposé » à la guerre à distance et l’intention qui en découle d’« exposer la guerre » par les images (photos tirées de magazines, mais aussi cartes, etc.) et les légendes courtes, ou « épigrammes », qui les accompagnent. Le deuxième chapitre (« La disposition aux choses : observer l’étrangeté ») pénètre dans la mécanique de la « puissance de vue » brechtienne en examinant plusieurs des planches de l’ABC, décrit comme une « chronique poético-documentaire » (p. 48). Chez Brecht, la présentation des images est constamment soumise à « une médiation très complexe » (p. 42) qui les constitue en champs de relations. Les montages de Brecht manient notamment l’ironie et la forme épigrammatique (juxtapositions d’images d’objets techniques modernistes et d’images de destruction, photographies d’allure surréaliste comme la planche A 13 de l’ABC, reproduite p. 59, où voisinent un parapluie, des béquilles, une prothèse de jambe, des grenades [fruits et non armes], etc.). Soulignant la proximité et la distance de ces assemblages, volontiers empathiques et épiques, par rapport aux antécédents photolittéraires surréalistes, Didi-Huberman relie ici avec efficacité la technique du montage à la fameuse « distanciation » brechtienne, « critique de l’illusion » par le « démontage » (p. 65-72). Dans le chapitre suivant (« La dysposition des choses : démonter l’ordre »), l’auteur revient sur la conception brechtienne de la mise en scène pour suggérer que « le montage constitue un élément fondamental de la poétique brechtienne », et de toute la poétique d’une époque d’après-guerre. « Procédure formelle néede la guerre » (1914, avant 1939), plus généralement du « désordre du monde », le montage « serait devenu la méthode moderne par excellence » (p. 86). Ainsi, devant une page du Journal de 1944 où sont réunies une photographie de Pie XII les mains levées pour une bénédiction, une autre de Rommel indiquant une stratégie de sa baguette pointée sur une carte, et une troisième montrant un groupe de femmes russes embrassant leurs morts massacrés par les nazis, si « l’observateur […] ne dispose d’aucune certitude sur la détermination » du rapport supposé par le montage, et n’a aucune « vérité » à sa disposition, il voit « des fusées, des bribes, des bris de vérité se disperser ici et là dans la “dys-position” des images ». Le montage est ici glosé, avec l’aide de Benjamin, comme « recadrage, interruption, décalage, retard » (p. 95), bref démontage de tel ordre ou de telle série institué(e) par mise en page concrète d’un autre ordre, d’une autre série, inventés ; c’est là ce que l’auteur nomme « dialectique du monteur » (p. 98). 3 Poursuivant une forme de mimétisme entre cette dialectique et sa propre dynamique d’écriture, Didi-Huberman en vient dans la seconde moitié du livre aux visées d’exposition, de « remonstration » et de remontage qui nourrissent les montages brechtiens. Le chapitre IV, « La composition des forces : remontrer la politique », débute par une discussion du rapport de Brecht au réalisme, au sens « dogmatique » de Georges DIDI-HUBERMAN, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoir... Études photographiques , Notes de lecture 2 Georg Lukács : contre la critique par ce dernier du montage comme formalisme plus ou moins bourgeois, « mot d’esprit réussi » qui abandonne le « reflet objectif de la réalité », Brecht, selon Didi-Huberman, « admet – ou revendique – que son travail consiste, non pas à rendre le réel, c’est-à-dire à en exposer la vérité, mais à rendre le réel problématique, c’est-à-dire à en exposer les points critiques, les failles, les apories, les désordres » (p. 108-109). À cela près, et Didi-Huberman pointe ici « la contradiction la plus fondamentale » de Brecht, que la critique du réalisme et la revendication d’un certain formalisme ne sont nullement incompatibles chez lui avec l’exigence d’un art politique – d’un réalisme comme « méthode de combat » (Brecht, cité p. 112) – bref, d’une « prise de parti ». C’est cette contradiction que Didi-Huberman tente de résoudre en proposant de lire l’ABC de la guerre non comme un discours de parti mais comme un simple montage, où « les éléments – images et textes – prennent position au lieu de se constituer en discours et de prendre parti ». Exercice d’« imagination opératoire » plutôt que de simple didactique, l’ABC serait « le livre le plus benjaminien de Bertolt Brecht », qui pose en termes sensibles, voire formalistes, « la question des rapports entre l’esthétisation de la politique et la politisation de l’image » (p. 118-119). Le chapitre V, « L’interposition des champs : remonter l’histoire », prolonge cette analyse en montrant, à partir de Benjamin et d’Ernst Bloch, comment la technique du (dé)montage des images (décrite ici comme dialectique entre transgression et « prise de position ») est la condition de tout « remontage » de l’histoire, au double sens de réparation et de remontée : « il n’y a donc de “remontée” historique que par “remontage” d’éléments préalablement dissociés de leur place habituelle » (p. 131). Concédant que cette lecture benjaminienne contredit la « discipline » politique brechtienne (Brecht dénonçait le côté mystique de Benjamin), Georges Didi-Huberman argue à nouveau que le Journal de guerre rompt bel et bien avec l’esprit de parti en laissant « fuser les prises de position et les mouvements de transgression », en « démont[ant] avec joie le sens de l’histoire » pour y semer « toutes sortes d’anachronismes ou d’impertinences ». Cela, selon notre auteur, se justifie à l’intérieur du « système » brechtien : d’une part parce que l’anachronisme permet « une véritable opération de uploads/Litterature/ etudesphotographiques-3133.pdf
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- Publié le Dec 07, 2021
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