S3 Explication linéaire n°1 : « La Coccinelle », Les Contemplations, I-15 Dans

S3 Explication linéaire n°1 : « La Coccinelle », Les Contemplations, I-15 Dans la préface de son premier recueil, Odes et ballades (1822), Victor Hugo prétendait que le poète devait toujours voir « sous le monde réel » ou apparent, « le monde idéal », « voir dans les choses plus que les choses ». Or, cet art de la vision et de la contemplation, a nécessité tout un apprentissage, que le poète suggère au détour d’une anecdote savoureuse. [Lecture]. Le texte à l’étude est un petit poème léger, appartenant de plein droit au premier livre des Contemplations (1856), intitulé « Aurore », où le poète revient sur ses amours enfantines. En cinq quatrains d’heptasyllabes, le poète romantique narre une mésaventure sentimentale et joue avec les codes de la fable animalière : l’insecte doué de parole étant le dispensateur d'une morale finale. Cependant, derrière l’anecdote personnelle se cache un enseignement profond sur le regard que le poète doit apprendre à porter sur la Création, afin d’en révéler les mystères. Enseignement qui concerne aussi le lecteur, qui doit lui aussi apprendre à lire « sous » les mots. En quoi, dans cette fable ironique, Victor Hugo met-il en scène un souvenir d’enfance tout en instruisant le lecteur sur la lecture véritable du monde ? Nous expliquerons d’abord en quoi ce poème est une saynète ambigüe (vers 1-4), puis nous étudierons le regard rétrospectif du poète (vers 5-8). Enfin, après avoir analysé la promesse érotique de l’insecte (vers 9-14), nous aborderons le coup de théâtre du poème et la morale de cette petite fable (vers 15-20).  1er mouvement : Une saynète ambigüe (v. 1 à 4) Le vers 1 du poème nous introduit directement dans le temps du souvenir en utilisant un début in medias res, marqué par l’univers du théâtre. Le pronom « elle » introduit en effet un personnage féminin qui prend aussitôt la parole au discours direct. Mais cette prise de parole est mystérieuse : le pronom indéfini « quelque chose » revêt un aspect mystérieux annonce l’ambigüité du poème. Chez Hugo, la chose est souvent une périphrase du sentiment amoureux mal perçu, ce qui sera ici le sujet central du poème. Après une brève isotopie de la vue au vers 2 (« j’aperçus »), Hugo utilise une métaphore, celle du « cou de neige », au vers 3. Alors que le « cou » rappelle la sensualité et l’intimité, la « neige » est un symbole de pureté, de virginité, de candeur ; autant d’éléments renvoyant d’une part à la sensualité de l’invitation muette de la jeune fille, et d’autre part à l’aveuglement du jeune auteur, dont le regard a quelque chose d’innocent. Enfin, au vers 4, la périphrase « petit insecte rose » désignant la coccinelle évoque un autre signe amoureux non perçu par le jeune Hugo. En effet, le rose étant la couleur de l’amour (et non de la coccinelle), des lèvres et de la peau. Le jeune Hugo ne sait qu’« apercevoir » le monde, il reste à la surface des choses.  2e mouvement : Le regard rétrospectif du poète (v. 5 à 8) Dans ces quatre vers, le Victor Hugo du présent s’adresse au lecteur et exprime ses regrets via différents procédés. L’utilisation du pronom personnel « je » au vers 5 ainsi que l’emploi du conditionnel passé « j’aurais dû » appartiennent au registre élégiaque (plaintif). Les regrets du Moi d’Aujourd’hui sont clairement énoncés, en proposant rétrospectivement deux lectures différentes de la même scène. Comme pour pardonner à son Moi d’Autrefois, les tirets d’incise du vers 5, produisent un effet d’aparté. Grâce à l’emploi du pronom indéfini « on » et du présent de vérité générale, le poète adresse au lecteur une maxime universelle sur l’adolescence comme âge de l’inconstance amoureuse (« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » écrira Rimbaud quelques années plus tard). De plus, les deux lectures de la situation sont explicitées aux vers 7 et 8 grâce au parallélisme de construction. Le « baiser » hypothétique s’oppose alors à « l’insecte ». Voilà ce qu’il fallait « voir », et non se contenter d’« apercevoir ». A cet égard, le schéma de rimes embrassées de ce poème est important à commenter : il semble faire écho au baiser manqué qui continue de hanter l’auteur.  3e mouvement : La promesse érotique de l’insecte (v. 9 à 14) Victor Hugo, dans les deux premiers vers de la troisième strophe, crée une comparaison entre la coccinelle et un coquillage, ce qui ne va pas sans équivoque. En effet, le coquillage est un des symboles de Vénus, déesse de l’amour et de l’érotisme. Or, le dos tacheté de ce-dernier pourrait évoquer la peau de la jeune fille grâce à une synecdoque, la peau serait « tachetée » de grains de beauté. De plus, la coccinelle-coquillage rappelle le dos d’un « grain de café », coquillage qui est une image commune du sexe féminin. Le dos de la coccinelle présente donc au jeune Hugo une promesse érotique si l’on sait voir « sous » les choses. Plus loin, cette sensualité semble gagner les fauvettes des vers 11 et 12, qui observent avec attention la scène depuis les feuillages alentour. Tout est propice à la rencontre amoureuse, Hugo reprend le topos du locus amoenus (le lieu amène, agréable), marqué par la présence de la faune et de la flore. N’est-ce qu’une simple scène de théâtre dont les oiseaux seraient les spectateurs ? On pourrait y déceler une scène de voyeurisme. Ainsi, même la nature participe à l’érotisme de la scène, lequel culmine dans la position audacieuse suggérée par l’imparfait « courbais » du vers 14, au comble du suspense et de la méprise.  4e mouvement : Coup de théâtre et morale de la petite fable (v. 15 à 20) L’auteur crée ensuite un véritable coup de théâtre, symbolisé par les deux conjonctions de coordination « et » et « mais », situées respectivement au début des vers 15 et 16. Ces conjonctions marquent une rupture dans le texte. De plus, on peut noter au vers 15 un passé simple qui tranche avec l’imparfait utilisé dans les vers précédents. Remarquons l’animalisation du baiser au vers 16, lequel « s’envol[e] » et acquiert les qualités de la coccinelle. La confusion entre le baiser et l’animal met le doigt sur la méprise du jeune Hugo. Le baiser perdu était aussi fugace et fragile que l’insecte. La dernière strophe énonce la morale du poème. Comme dans les Fables de La Fontaine, la morale est prise en charge par un animal qui va s’exprimer au discours direct dès le 1er vers : un tournant merveilleux est assumé. La présence de l’impératif « apprends » renforce la référence à la fable et à ses enjeux didactiques. Mais que s’agit-il d’apprendre ? Une leçon d’essence divine ? Nous pouvons effet relever dans cette leçon plusieurs références au divin, à commencer par l’apostrophe « Fils », qui donne l’impression que Dieu parle à travers la créature. La périphrase « insecte du ciel bleu » renvoie également au divin. Mais le Dieu de Victor Hugo n’est pas un austère moralisateur, il s’amuse plutôt de la bêtise humaine, comme nous le montre le jeu de mots final entre le substantif « bêtes » et la périphrase « bête à Bon Dieu ». Dans ce parallélisme de construction, Hugo associe la plus petite bête au divin et les oppose à l’homme. Comme si Hugo, au-delà de la pirouette verbale, nous invitait à contempler aussi bien l’infime que l’immense, la coccinelle que le ciel, le brin d’herbe que la voie lactée. Relevons pour terminer la rime entre « nomme » et « homme » des vers 17 et 20. Elle illustre le désir majeur de Victor Hugo dans ses œuvres, qui est de nommer l’expérience humaine, ses victoires comme ses défaites, notamment dans ce qu’elles ont de plus dérisoire. Nommer l’homme, c’est dire la spécificité de l’aventure humaine et partant, son universalité. Conclusion : Ainsi, nous avons vu dans le texte porté à l’étude comment Victor Hugo met en scène un souvenir marquant de sa jeunesse avec une distance humoristique. Alors que la confusion règne dans l’esprit du Moi d’Autrefois, le Moi d’Aujourd’hui sait lire « sous le monde réel » les signes de la Nature, et notamment le baiser caché derrière la coccinelle. Ce faisant, c’est à travers ce poème que l’auteur nous fait part d’une leçon générale sur notre manière de contempler le livre du monde, — il nous apprend à lire, en somme. Mais une question demeure : le Victor Hugo d’autrefois commet-il véritablement une erreur en faisant honneur à la nature plutôt qu’à un baiser ? uploads/Litterature/ expli-n1-varvara-kouznetsov.pdf

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