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http://crg.polytechnique.fr/v2/aegis.html#libellio Le Libellio d’ AEGIS Vol. 7, n° 2 – Été 2011 D’ un article qui se propose de traiter de la manière de faire une revue de littérature, on s’attend à ce qu’il fournisse surtout des conseils pratiques, ce que les anglo-saxons appellent des tips, à propos des deux volets complémentaires et nécessaires : la pêche aux références (literature search) et, pour poursuivre dans la métaphore, l’art de préparer ce qui a été pêché pour finalement lever les filets (literature review)2. Comment chercher sur le web, dans une bibliothèque, comment classer ce qu’on a trouvé, comment organiser les références, les mobiliser, les composer en bouquets ? Etc. L’article s’efforcera de répondre à ces questions et de donner des conseils (pour aller plus loin, voir Hart, 2009 ; 2010, qui sera mobilisé à plusieurs reprises dans ces pages). Mais il apparaît d’abord nécessaire de donner quelques précisions, le terme « revue de littérature » recouvrant des éléments divers, et de rappeler ensuite le sens que prend une revue de littérature dans la démarche de recherche. On en viendra alors à ses objectifs, aux deux mouvements qui la caractérisent, avant de donner des indications sur la manière de la mener. Quelques règles seront enfin données dans un tableau récapitulatif. Définitions Quelques éléments de définition tout d’abord. Pour les anglo-saxons, dans le cadre d’un PhD, l’étape décisive est le projet (proposal) qui s’écrit souvent la première année de thèse. Le travail préparatoire qui mène à la rédaction de ce projet est appelé revue de littérature. Dans le projet écrit, une partie centrale (à ce stade, la partie empirique est forcément succincte et les résultats sont juste annoncés et espérés) est constituée par la revue de littérature (surtout si on estime, comme c’est généralement le cas, que la méthodologie en fait partie intégrante). L’expression « revue de littérature » recouvre donc au moins trois choses distinctes mais reliées entre elles : x en amont de la rédaction du projet de thèse ou de mémoire (proposal), un travail de recherche bibliographique, de lecture, d’analyse de ce qui a été lu, de catégorisation, de détermination de la méthodologie à suivre (travail préparatoire qui, estime-t-on, est souvent de l’ordre d’un an pour un PhD) ; x dans le cadre de la rédaction du projet, l’écriture d’une partie centrale de ce projet (sur la littérature et la méthodologie) ; x dans le cadre de la rédaction du document final (thèse ou mémoire), l’écriture d’une partie limitée en taille mais essentielle sur la littérature, aboutissant à des hypothèses (démarche hypothético-déductive) ou propositions (étude de cas). Faire une revue de littérature : pourquoi et comment ?1 Hervé Dumez CNRS / École Polytechnique pp. 15-27 1. J e r emerc ie J ulie B a s t i a n u t t i , P a u l Chiambaretto, Cécile Chamaret, Colette Depeyre, et Marie-Rachel Jacob pour l e u r s s t i m u l a n t e s remarques et suggestions. L’auteur doit évidemment être tenu pour seul responsable des erreurs que pourrait comporter ce texte. 2. Comme on sait, le mot « review » a, en anglais, des sens beaucoup plus forts qu’en français, en particulier : « a formal assessment or examination of something with the possibility or intention of instituting change if necessary », « a critical appraisal », « a survey or evaluation of a particular subject. » Page 16 AEGIS le Libellio d’ Souvent ces trois approches sont confondues dans la mesure où il est admis qu’elles doivent être étroitement imbriquées pour que la démarche conduise à un projet de thèse solide, puis à une thèse réussie dans la ligne de ce projet. La démarche à suivre pour l’écriture d’un article de recherche comporte des particularités, mais elle est en partie similaire. Les conseils qui vont être donnés sont donc plus directement tournés vers les doctorants et les élèves de Master ayant à rédiger un mémoire final de recherche, mais elle vaut également pour l’écriture d’un article. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient maintenant de s’interroger sur le sens même de la revue de littérature dans toute démarche de recherche. Que fait-on quand on fait une revue de littérature ? La meilleure définition de ce qu’est un problème scientifique (la fameuse question de recherche qui doit orienter le travail) est la plus simple : [...] la connaissance commence par la tension entre savoir et non-savoir : pas de problème sans savoir – pas de problème sans non-savoir. (Popper, 1979, p. 76 ; voir Dumez, 2010, p. 9). Un problème scientifique a la forme d’une tension entre savoir et non-savoir. Il se situe aux frontières de la connaissance, sur cette ligne qui en marque la limite, l’objectif de la recherche étant de déplacer cette ligne pour agrandir (un peu) la sphère du savoir. Si vous situez votre question de recherche en deçà de la frontière, vous êtes en train de refaire quelque chose qui a déjà été fait, et votre apport est nul. Si vous êtes très au-delà, vous risquez de rédiger un essai, pas une recherche, ou de vous perdre dans les sables. C’est bien à la frontière qu’il faut situer sa démarche et il convient de s’interroger un instant sur cette métaphore. Première remarque, le départ se fait très loin de cette frontière. Lorsqu’on se lance dans un sujet de recherche, le non-savoir subjectif (celui du chercheur lui-même) est immense. Il ne sait pas le quart de la moitié du centième de ce qui a déjà été écrit sur le sujet qu’il a choisi d’investiguer. Le premier objectif de la revue de littérature est d’essayer de prendre la mesure de cette immensité de son propre non-savoir. Seconde remarque, la frontière du savoir objectif et collectif est quant à elle inconnue, pour au moins trois raisons. Pour comprendre la première, il faut faire un effort de réflexion. Afin de savoir où se situe la frontière de la connaissance avec précision, il faudrait pouvoir prendre une vue aérienne du territoire du savoir et du non-savoir. Il faudrait donc être dans un avion ou satellite de reconnaissance survolant le savoir humain, dans la posture d’un démon (Laplace) ou d’un dieu comme on voudra, qui saurait tout et contemplerait à un instant t l’ensemble du savoir humain du moment pour en déterminer la frontière. Cette position n’existe évidemment pas. Wittgenstein note le même phénomène avec le langage : nous ne pouvons pas sortir du langage pour en montrer, de l’extérieur, comme par une vue aérienne, les limites. Nous devons faire l’expérience des limites du langage depuis l’intérieur du langage et, dit-il joliment, cela ne peut se faire qu’en se cognant. Ce sont les bosses qui nous indiquent que nous avons heurté une limite. Il en est exactement de même des limites de la connaissance, du savoir. Une revue de la littérature est une tentative de détermination de la frontière entre savoir et non- savoir, à la manière de ces explorateurs qui, tel George Vancouver, s’attaquaient à une partie encore inconnue de la terre, sans carte et cherchant précisément à établir cette carte. Un travail de recherche établit dans un même mouvement la frontière de la connaissance et la déplace. La deuxième raison qui fait que nous ne savons pas où se situent les limites du savoir est que nous croyons savoir des choses, que l’objet de Page 17 Volume 7, numéro 2 la démarche de recherche est précisément de remettre en cause. Les revues scientifiques sont pleines d’idées, de théories, de concepts, d’hypothèses, qui se présentent comme du savoir solide et qui n’en sont évidemment pas : tout savoir scientifique est provisoire et doit être un jour ou l’autre remis en cause. Sans parler des théories admises et qui sont carrément fausses. D’où la dimension critique de la revue de littérature : il faut déterminer quel savoir peut être tenu comme solide pour le moment (quelqu’un le remettra en cause, mais plus tard), et où se situent les points de fragilité actuels auxquels il faut consacrer ses efforts. La troisième raison est inverse : nous croyons ignorer des choses, et elles sont pourtant déjà connues. Ceci est notamment dû à la spécialisation de la démarche scientifique et au fait que nous nous situons dans le cadre d’une discipline. La spécialisation de la recherche est nécessaire, utile, et en même temps dommageable : nous ignorons souvent ce qui se passe dans les disciplines scientifiques voisines ou plus éloignées, alors que ce qui est non-savoir dans une discipline peut être savoir dans celle d’à-côté. C’est un lieu commun de la recherche : beaucoup d’avancées dans un champ sont simplement des transpositions de ce qui s’est fait dans un champ voisin (méthodes, concepts, hypothèses). Pour comprendre le sens d’une revue de littérature, il faut revenir sur l’idée wittgensteinienne de bosse. On sait que l’on a mené une recherche de littérature à un degré d’approfondissement intéressant quand on prend un coup sur les tempes, façon coup de massue. Il est de la forme uploads/Litterature/ faire-une-revue-de-litterature-pourquoi-et-comment.pdf
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- Publié le Dec 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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