1 Fédéralisme et pactisme : la voie canadienne À propos de : Alain-G. Gagnon, L
1 Fédéralisme et pactisme : la voie canadienne À propos de : Alain-G. Gagnon, L’âge des incertitudes. Essai sur le fédéralisme et la diversité nationale, Presses de l’Université Laval par Serge Champeau , le 10 octobre 2013 Comment les nations de taille et de cultures différentes peuvent-elles être également traitées au sein d’un État fédéral ? Pour A.-G. Gagnon, seul un pacte instaurant entre elles une souveraineté partagée peut le permettre. C’est donc de l’expérience canadienne qu’il faut s’inspirer pour comprendre autrement le fédéralisme Recensé : Alain-G. Gagnon, L’âge des incertitudes. Essai sur le fédéralisme et la diversité nationale, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, 224 p. Comment un État fédéral composé de plusieurs nations, dont une majoritaire et au moins une minoritaire, peut-il et doit-il être organisé ? Cette question est l’objet du dernier livre d’Alain-G. Gagnon, qui propose une histoire de la construction de l’État canadien et introduit aux débats sur la nature du fédéralisme qui ont eu lieu dans ce pays, et plus particulièrement au Québec, depuis la fondation de la fédération. Le cas canadien est considéré par l’auteur comme « un microcosme d’expériences mettant en dialogue les diverses nations à l’origine du pacte fondateur » (p. 175). Il peut donc selon lui éclairer l’histoire et le présent d’autres États, en particulier européens (par exemple l’Espagne et la Grande-Bretagne) qui sont confrontés à un problème similaire. Un autre modèle de l’État fédéral Le constat de départ de l’auteur est que la voie traditionnelle suivie par les États-nations unitaires est, lorsqu’il s’agit d’ensemble multinationaux, une impasse (p. 67). La logique de ces États, lorsqu’elle est appliquée à des ensembles politiques plus vastes (États fédéraux, Union européenne) ne permet pas d’articuler l’unité de l’ensemble et la diversité des communautés. Même si l’objectif de l’auteur n’est pas de construire une théorie générale du fédéralisme, il examine les différentes solutions qui ont été avancées par les États pour tenter de s’accommoder de leur multiplicité interne : fédéralisme territorial (USA), fédéralisme binational ou multinational, fédéralisme de type canadien (« un modèle hybride de fédéralisme territorial de jure et multinational de facto », p. 82), État multiculturel, unions d’États (sur le modèle de l’Union européenne), etc. S’agissant plus particulièrement des États qui reconnaissent en leur sein une pluralité de nations, l’auteur rappelle les formules qui ont été et sont encore proposées (dans le cas, par exemple, des relations du Québec et du Canada), en particulier l’idée d’un fédéralisme construit autour d’une nation majoritaire, certes disposée à accorder une autonomie culturelle aux divers territoires de l’État, mais réticente devant l’idée d’un fédéralisme multinational c’est-à-dire devant la reconnaissance d’une égalité des nations au sein de la fédération (p. 130-133). Sur la base de cette enquête historique et théorique, et en prenant appui sur les acquis du Québec dans la conquête de son autonomie interne et externe au sein de l’État fédéral canadien, le projet de l’auteur est, à la suite de plusieurs théoriciens contemporains (entre autres le catalan Miquel Caminal Badia) de reconstruire le fédéralisme sur de nouvelles bases, « en abandonnant les éléments uniformisateurs et centralisateurs qui ont souvent servi d’ancrage à l’implantation du fédéralisme aux États-Unis », pour faire advenir une société « plus égalitaire et fondée sur le lien de confiance plutôt que sur la menace et la contrainte » (p. 6). L’idée centrale de l’ouvrage est qu’une telle fédération peut être construite sur la base d’un pacte passé entre les nations qui la composent, lequel instaure une « confiance conditionnelle et réversible » (p. 7, 89). L’auteur estime que les autres formes de fédéralisme ne peuvent résoudre durablement les conflits politiques entre les nations (l’État multiculturel, en particulier, reconnaît bien des droits aux diverses communautés, mais non l’égalité des diverses nations). L’ouvrage se présente donc comme un plaidoyer en faveur du renforcement ou de l’instauration d’États fédéraux multinationaux. Le titre, L’âge des incertitudes, montre l’ampleur de la tâche. Alain G. Gagnon décrit finement la situation incertaine qui est aujourd’hui celle des nations au sein des États fédéraux, à une époque où les nations, comme unité politique, ne jouissent plus de la même considération, où l’accent est mis davantage sur les politiques de reconnaissance des identités culturelles, sexuelles ou ethniques, et où les institutions internationales ont tendance à penser le problème des nationalités en termes de droits individuels des membres des nations opprimées (p. 176). Et la mondialisation économique, en favorisant la constitution de grandes entités politiques, conduit souvent les États-nations, eux-mêmes menacés dans leur identité, à présenter les revendications nationales comme un risque d’affaiblissement (p. 176). La tradition pactiste Il n’est pas possible, dans le cadre de cette recension, de faire justice aux riches interprétations historiques que contient l’ouvrage. Le lecteur français, qui ignore bien souvent l’histoire du Canada, pourra y trouver des repères précieux. S’il est davantage intéressé par l’élaboration de la théorie du fédéralisme, la fin de l’ouvrage retiendra plus particulièrement son attention. Comment les nations minoritaires et majoritaires peuvent-elles être, dans un État fédéral, égales ? Comment les nations minoritaires peuvent-elles construire avec la nation majoritaire un partenariat négocié entre égaux ? (p. 137). Tel est le problème que l’ouvrage explore, dans une série d’études qui éclairent tel ou tel aspect du fédéralisme ainsi compris (les divers modèles de l’aménagement de la diversité linguistique ; le régime des citoyennetés dans un tel État ; le type de constitution qui convient à ce fédéralisme ; le type d’autonomie, interne et externe, dont jouissent les diverses nations ; la notion de pacte, etc.). Le lecteur européen sera sans doute plus particulièrement intéressé par les élaborations conceptuelles de l’auteur qui, tout en prenant appui sur l’histoire du Canada, sont les plus universalisables. C’est le cas de l’ensemble des réflexions de la deuxième partie de l’ouvrage, consacrées à la tradition pactiste. Un État multinational disposé à traiter à égalité les diverses nations qui le composent est un État où plusieurs demoï construisent une entité politique commune afin de partager leur souveraineté. L’auteur estime que le concept de pacte est celui qui permet le mieux de penser un tel État et de le construire. Même si Alain G. Gagnon ne développe pas ce point, la tradition pactiste est en effet très différente de celle du contrat social, en particulier dans sa version rousseauiste : le pacte instaure, comme le fait le contrat social, un corps politique antérieur à l’autorité qu’il met en place, mais ce corps politique est composé de communautés de force inégale et non d’individuségaux. Il débouche non sur un pouvoir suprême mais sur un équilibre des pouvoirs entre l’autorité politique et les assemblées diverses qui représentent les peuples (p. 157). L’auteur attire en particulier l’attention, dans cette tradition, sur l’œuvre du catalan Francesc Eiximenis (1330-1409) et sur l’élaboration ultérieure des principaux concepts du pactisme, au XVIIIe siècle, par Hume et Ferguson. 2 Alain G. Gagnon peut alors mettre en évidence comment l’histoire des États fédéraux peut-être comprise à la lumière de ce concept de pacte. Ce dernier constituant une étape historique à l’évidence moins mythique que ne l’est celle du contrat social, on comprend, rétrospectivement, pourquoi ce livre est à la fois historique et théorique : une partie de la construction de l’État canadien est effectivement conforme au processus que les théoriciens ont nommé pacte. Dans une section intitulée « Le fédéralisme des traités », l’auteur peut ainsi interpréter l’histoire de certains États fédéraux à partir du concept de « constitutionnalisme conventionnel », tel qu’il a été défini en particulier par le philosophe James Tully, comme un moyen de conciliation « qui permet à des peuples de se reconnaître mutuellement et d’en venir à un accord qui rassemble ou fédère les différences juridiques et politiques qu’ils souhaitent prolonger à l’intérieur de l’association ». L’histoire du Canada et d’autres États fédéraux est cependant loin, selon l’auteur, de se laisser toute entière expliquer à partir de ce concept, les États-nations ayant souvent étouffé ce processus de construction conventionnelle des fédérations : « il est donc urgent de redresser la barre en réactualisant ces ententes au nom des valeurs d’égalité, d’équité et de liberté pour ces nations » (p. 170). L’objectif de l’auteur n’est pas d’explorer les divers montages institutionnels sur lesquels débouche un tel pacte, même s’il met précisément en évidence ce qui, dans le cas du Canada, en relève (p. 165). Il s’attache davantage à dégager, à la fin de l’ouvrage, les dimensions morales et normatives sous-tendant les États fédéraux, en d’autres termes la culture fédérale, dont les valeurs fondamentales sont le respect mutuel, la reconnaissance, la dignité de chaque nation, la tolérance, la réciprocité, l’intégrité (p. 160). L’auteur explore en détail les composants d’une telle culture, même s’il n’aborde pas les diverses manières dont elle peut être implantée et vivifiée dans les États fédéraux, au niveau de l’éducation en particulier. Tout l’ouvrage vise finalement à montrer que la reconnaissance d’une telle souveraineté partagée (y compris dans le domaine de la politique extérieure, dans le respect de la compétence du gouvernement fédéral et du gouvernement national) permet de construire un État uploads/Litterature/ federalisme-et-pactisme.pdf
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- Publié le Jul 02, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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