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roman L Le e c ca av va al li ie er r F Fo or rt tu un ne e BeQ Paul Féval (1816-1887) Le cavalier Fortune roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 577 : version 1.0 2 Du même auteur, à la Bibliothèque : La Fée des Grèves Le loup blanc Une histoire de revenants L’homme sans bras La fabrique de crimes Contes de Bretagne Le dernier vivant Les Compagnons du Silence Les Habits Noirs (huit tomes) 3 Le cavalier Fortune Édition de référence : Alteredit, 2007. 4 Première partie La conspiration en dentelles 5 Où Fortune établit qu’il a une étoile – Monseigneur, dit Fortune, nous autres Français nous n’avons point la vanterie des Espagnols. S’il y a chez nous un défaut, c’est que nous ne savons pas nous faire valoir suffisamment. Je suis brave, mes preuves sont faites, et quant à la prudence, j’en ai en vérité à revendre. À Paris, comme à Florence, à Turin et dans d’autres villes capitales, mon adresse passe en proverbe, et c’est justice, car aussitôt que j’entreprends une affaire elle est dans le sac. En me choisissant, Votre Éminence a eu la main heureuse : je lui en fais mon sincère compliment. C’était un magnifique garçon, à la taille élégante et robuste à la fois. Il disait tout cela en souriant, debout qu’il était, dans une attitude noble mais respectueuse, incliné à demi devant un personnage aux traits sévères et fortement accentués qui portait le costume de prêtre. Il avait, lui, notre beau jeune homme, l’accoutrement d’un cavalier d’Espagne. La plume de son feutre, qu’il tenait à la main et dont les bords étaient relevés à la Castillane, balayait 6 presque le sol. L’expression de son visage était douce, franche, mais légèrement moqueuse, et ses traits auraient péché par une délicatesse un peu efféminée, sans une belle moustache soyeuse et noire, qui relevait ses crocs galamment tordus jusqu’au milieu de sa joue. Il y avait un singulier contraste entre cette figure jeune et charmante, où s’étalait en quelque sorte effrontément toute l’insouciance d’une jeunesse aventureuse, et le front maladif de ce prêtre qui semblait courbé sous les fatigues de la pensée. Ce prêtre était un Italien, fils de jardinier, ancien sonneur de la cathédrale de Plaisance, présentement cardinal, grand d’Espagne de première classe et ministre d’État du roi Philippe V. Il avait nom Jules Alberoni, et voulait refaire en plein dix-huitième siècle la grande monarchie de Charles-Quint. La Suède, une portion de l’Italie, toute l’Allemagne du sud, la Turquie et jusqu’à la Russie, qui naissait à peine à l’existence politique, étaient pour lui les éléments d’une redoutable ligue sous laquelle il voulait écraser la France et l’Angleterre : la France, qu’il rêvait province espagnole, et l’Angleterre, où il prétendait réintégrer les Stuarts, sous cette condition que l’Église 7 protestante serait anéantie. On était en 1717. Alberoni entrait dans sa cinquante- cinquième année et atteignait le faîte de sa puissance politique. Dans toute l’Europe, les connaisseurs pariaient pour lui contre l’Angleterre et la France. Outre ces ennemis du dehors, la France avait en effet contre elle, à ce moment, les vices compromettants du régent, les menées des fils légitimes de Louis XIV et les troubles de la province de Bretagne. Quant à l’Angleterre, le parti des Stuarts y semblait si puissant en Écosse et aussi en Irlande, que la présence seule du chevalier de Saint-Georges, fils du roi Jacques, devait suffire, selon la croyance générale, à déterminer une révolution. Il nous reste à dire que la scène se passait à l’ancien palais d’été de la princesse des Ursins, dans la campagne de Alcala de Hénarès, près de Madrid. L’œil pensif et demi-clos du cardinal interrogeait avec distraction la riante physionomie de son jeune compagnon. Quand celui-ci eut achevé l’énumération de ses mérites, le cardinal dit entre haut et bas : – Avec cela, seigneur cavalier, vous regorgez de modestie ? 8 – On s’accorde à le reconnaître, Monseigneur, répondit Fortune avec une entière bonne foi. Il salua militairement. Un sourire où il y avait de la bonhomie vint aux lèvres pâles du Premier ministre. – S’il vous plaît, seigneur cavalier, poursuivit-il, où avez-vous pris ce nom de Fortune ? – J’étais certain, répliqua notre jeune homme, que Votre Éminence le remarquerait. Il sonne bien et plaît à tout le monde. Je ne l’ai pas pris, on me l’a donné. Dans le cours de mes voyages, j’ai été poursuivi par une chance si constamment heureuse, que les gens se disaient : « Voici un jeune homme qui est né coiffé, assurément ! » – Vous êtes gentilhomme ? demanda ici le cardinal. – Il y a cent à parier contre un, oui, Monseigneur. Ma figure et ma tournure en sont d’assez bons garants, je suppose. Mais il y a autour de ma naissance un nuage que je n’ai encore eu ni le temps ni l’occasion de dissiper. Au demeurant, cela ne m’inquiète point : certain ou, à peu près, d’être le fils d’un marquis ou d’un duc, il m’importe assez peu de savoir au juste, quel est ce duc ou ce marquis. J’ai le caractère admirablement fait et ne me nourris jamais de mélancolie. Pour en revenir à mon nom, ce fut en Italie, 9 je crois, qu’on me le prêta pour la première fois... ou bien, à Milan, voici de cela deux ou trois années. Je fus attaqué sur le tard, dans une petite rue qui est derrière la cathédrale ; les voleurs me jugeant sur la mine avaient cru faire un excellent coup, car on jurerait à me voir que j’ai des doublons pleins les poches. « J’étais seul contre une demi-douzaine de coquins, et perdis pied après m’être vaillamment défendu. L’histoire est assez piquante, ne vous impatientez pas, Monseigneur. Couché dans mon sang sur le pavé et ne pouvant plus me défendre, je sentis les coquins mettre leurs mains dans mes goussets, où il n’y avait absolument rien. Ils blasphémèrent comme des ruffians qu’ils étaient, et s’en allèrent fort mécontents ; mais au moment où le dernier se relevait, un objet heurta ma poitrine et rendit un son harmonieux. « Une bourse fort bien garnie, ma foi, et que le bandit avait sans doute dérobé à quelqu’un de moins heureux, mais de plus riche que moi, venait de glisser hors de sa poche. C’était un cadeau que ce scélérat me faisait malgré lui... J’avais oublié de dire à Monseigneur que je me promenais ainsi de nuit parce que mon hôtelier, pour une misérable dette de quatorze ducats, m’avait envoyé coucher à la belle étoile. La bourse contenait cinquante doubles pistoles, mais je n’en eus pas besoin pour rentrer à mon logis. Une 10 jalousie se releva tout auprès du lieu où j’étais tombé, une fenêtre s’ouvrit, et une voix plus douce que celle des anges... » La main du cardinal, sèche et blanche comme un ivoire sculpté, fit un geste, et notre jeune homme s’inclina en ajoutant : – Monseigneur, mon histoire pourrait être racontée devant une carmélite. J’en abrégerai néanmoins les détails. La jeune dame était de la cour, et Votre Éminence sait par expérience comme on monte vite à la cour, quand on a du bonheur et du génie. Sans la méchante humeur du mari, qui était un homme à courte vue et qui me fit jeter peu de temps après dans un cul de basse-fosse, je serais à présent un personnage considérable, voilà le fait certain. – Singulier dénouement, murmura le prélat, pour une aventure qui vous mérita le nom de Fortune ! – J’en demande pardon à Votre Éminence ! s’écria vivement le jeune cavalier. Je n’ai pas tout dit : le jour même où j’entrai en prison, mon logis brûla misérablement depuis les caves jusqu’aux greniers. Sans la jalousie maladroite de cet excellent seigneur, c’en était fait de moi ! En prison, d’ailleurs, je fis la connaissance d’un gentilhomme qui commandait une bande dans l’Apennin. Nous rompîmes nos chaînes ensemble, et, voyez la filière ! ce hasard me conduisit 11 jusqu’à Rome sous prétexte d’y être pendu. Je dis tout à Monseigneur, sachant que les vrais politiques aiment à employer les gens qui ont une étoile. On me pendit en effet, mais la corde cassa, et Sa Sainteté ayant eu la curiosité de me voir, défendit qu’on recommençât avec une corde neuve. « J’avais fait impression sur le père commun des fidèles par ma tournure galante et mon agréable caractère : au lieu d’être pendu, j’eus le petit collet, et Dieu sait où je serais parvenu dans cette voie nouvelle si le protonotaire apostolique n’avait eu une nièce. « Je m’éveillai un matin au château Saint-Ange, et il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître là l’influence de mon étoile : ma vocation est l’épée, et huit jours de plus j’avais la tonsure ! « Au lieu de cela et en moitié moins de temps, une personne charitable qui venait visiter les prisonniers, eut pitié de ma jeunesse uploads/Litterature/ feval-cavalier.pdf

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