Fiche de lecture : La Princesse de Clèves « Il le vit faire… » Introduction : M

Fiche de lecture : La Princesse de Clèves « Il le vit faire… » Introduction : Madame de Lafayette entre dans l'aristocratie grâce à son mariage avec le compte de Lafayette. Son nouveau statut social lui permet d'organiser des salons pour intellectuels et écrivains. Elle développe une grande amitié avec le duc de La Rochefoucauld l'un des maîtres du classicisme qui va l’assister dans l’écriture de La princesse de Clèves publiée en 1678. L’œuvre est considérée comme le premier grand roman de la littérature française car elle dote l'héroïne d'une psychologie complexe. Le passage que nous allons étudier se situe dans la dernière partie du roman. Le duc s’infiltre dans la demeure de sa bien-aimée afin de contempler sa beauté. L’extrait met en évidence la réciprocité de leur amour. Problématique : Quelles images des personnages cette scène intime donne-t-elle ? Mouvements : o Présentation du décor (L1 à 7) o L’ouvrage de la princesse (L8 à 16) o Un amour réciproque (L16 à 23) Mouvement 1 : Présentation du décor  Le début de ce passage souligne d’emblée l’infranchissabilité du jardin de la princesse, avec la présence des palissades et l’adverbe intensif « fort » : « Les palissades étaient fort hautes » (L2). On peut voir le symbole d’un amour inaccessible.  L’intrusion en est presque sur le point d’échouer (« il était assez difficile de se faire passage » (L3)), ce qui constitue l’une des rares scènes d’action dans ce roman de la parole et de la vue.  L’adverbe « néanmoins » souligne ainsi la prouesse du duc : « Monsieur de Nemours en vint à bout néanmoins » (L4). Cette tonalité épique assimile le duc de Nemours à un amant courtois qui surmonte les obstacles pour approcher son aimée.  L’adverbe temporel « sitôt » restitue la hâte de l’amant, qui, grâce à son amour, semble bénéficier d’un discernement qui le guide vers la princesse : « sitôt qu’il fut dans ce jardin, il n’eut pas de peine à démêler où était Madame de Clèves. » (L4).  La Princesse de Clèves est d’emblée associée à la lumière, comme auréolée par l’amour du duc : « Il vit beaucoup de lumières dans le cabinet » (L4). L’allitération en « t » dans « toutes les fenêtres en étaient ouvertes » semble faire entendre les battements de cœur du duc, restituant son émotion.  Les fenêtres ouvertes suggèrent que la princesse est désormais accessible à la rencontre amoureuse. Le narrateur souligne le trouble amoureux du duc tout en nouant une complicité avec le lecteur, grâce à la tournure impersonnelle « il est aisé de se représenter » : « il s’en approcha avec un trouble et une émotion qu’il est aisé de se représenter. » (L5 et 6) Mais le duc « se rangea » derrière une fenêtre faisant usage de « porte ». La porte symbolise de nouveau l’inaccessibilité de la princesse. Mouvement 2 : L’ouvrage de la princesse  L’anaphore en « il vit » (« il vit beaucoup de lumières », « il vit qu’elle était seule« , « il la vit »(L8)) souligne le plaisir à voir du duc, fasciné par « une si admirable beauté ».  La chaleur qui règne (« Il faisait chaud » (L9)) peut se lire comme une hypallage : la chaleur serait plutôt celle qui brûle le cœur du duc, face à la demi-nudité de la princesse : « elle n’avait rien sur sa tête et sur sa gorge » (L9). L’érotisme de cette scène, renforcé par l’adverbe « confusément », est unique dans ce roman de cour raffiné : « ses cheveux confusément rattachés » (L9).  L’imparfait de description forme le tableau charmant d’une princesse : « elle était sur le lit », « il y avait plusieurs corbeilles » (L10). Les occupations intimes de la princesse de Clèves révèlent son amour pour le duc, puisqu’elle manipule des rubans « des mêmes couleurs que le duc avait portées au tournoi. » (L11) L’évocation du tournoi crée un parallèle avec les romans courtois : le duc de Nemours s’apparente à un chevalier du Moyen-âge qui défend les couleurs de sa dame.  La « canne des Indes » (L13), sur laquelle la princesse dispose des rubans, pourrait constituer un symbole phallique, dans une scène évoquant discrètement la littérature libertine. Mais il s’agit surtout d’une preuve d’amour : la princesse n’a pas accès au duc de Nemours, mais seulement à un des objets de celui qu’elle aime. Mouvement 3 : Un amour réciproque  Le portrait de la princesse est élogieux : elle est pleine de « grâce » et de « douceur » (L16). Il est intéressant de remarquer que ce sont les « sentiments qu’elle avait dans le cœur » (L16 et 17) qui se répandent sur son visage : c’est donc son amour pour le duc de Nemours qui la rend belle. Ce passage descriptif constitue ainsi un éloge du sentiment amoureux qui transfigure l’individu.  Le « flambeau » (L17) tenu par la princesse pourrait représenter le feu amoureux qui l’anime. L’intimité de la scène garantit l’absence d’artifice : ne se sachant pas observée, la princesse de Clèves laisse transparaître ses véritables sentiments. Le duc de Nemours et le lecteur peuvent ainsi voir le cœur de la princesse dans sa nudité et sa vérité.  On observe dans ce passage une gradation des objets : la princesse manipule d’abord les rubans, la canne des Indes, puis s’approche du « portrait de Monsieur de Nemours » (17). Cette gradation peut symboliser l’amour croissant que la princesse porte au duc. La « rêverie » (19) de la princesse est une litote par laquelle le narrateur révèle l’amour de la princesse. Ce terme permet de garder une part de mystère : la passion de la princesse n’est que suggérée.  L’émoi amoureux du duc est tel qu’il est ineffable : « On ne peut exprimer ce que sentir Monsieur de Nemours » (L19). Le narrateur reconnait son incapacité à restituer la liesse de Monsieur de Nemours, inscrivant cette scène dans une intensité qui va au-delà des mots. De nouveau, l’anaphore en « voir », redoublée par la polyptote « voir, voyait », souligne l’intensité de la vision amoureuse.  L’enchâssement de propositions restitue la complexité de cette scène amoureuse où chacun s’abîme dans la contemplation de l’autre, sans jamais que les regards ne se croisent : « la voir sans qu’elle sût qu’il la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion qu’elle lui cachait » (L22). La sophistication de la phrase est propre à l’écriture précieuse.  L’hyperbole « dans le plus beau lieu du monde » (L21) participe au caractère idéal de cet instant qui se déroule au « milieu de la nuit » (L21), moment chargé de fantasmes et d’interdit. Ce bonheur amoureux est paroxystique comme le souligne la négation : « ce qui n’a jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant. ». (L22et 23) Conclusion : Cette scène voyeuriste joue avec les limites de la bienséance précieuse. Son érotisme voilé cherche à troubler le lecteur, autant qu’il souligne l’intense passion amoureuse qui relie la princesse de Clèves et le duc de Nemours. La contemplation presque religieuse à laquelle les deux personnages se livrent montre à quel point l’amour est lié à la vue. L’ironie profonde de cette scène tient au fait que le duc croit voir sans être vu ; or il est lui-même vu, sans le savoir, par le gentilhomme envoyé par Monsieur de Clèves. Cette scène, malgré sa douceur, précipite donc la suite tragique de ce roman moral où la passion est représentée comme un risque pour la vertu. uploads/Litterature/ fiche-de-lecture-la-princesse-de-cleves-il-le-vit-faire.pdf

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