1 Madeleine Delbrêl et la Parole de Dieu Conférence donnée aux prêtres du diocè

1 Madeleine Delbrêl et la Parole de Dieu Conférence donnée aux prêtres du diocèse de Nanterre – Mardi 19 avril 2011 Se mettre à l’école des amis de Jésus-Christ offre souvent l’occasion d’un enrichissement précieux pour sa propre vie spirituelle. En suivant aujourd’hui la manière dont Madeleine Delbrêl a reçu et vécu la Parole de Dieu, nous allons tenter de recueillir quelques pistes afin de renouveler notre propre lecture de la Sainte Ecriture. Nous laisserons le plus possible la parole à Madeleine Delbrêl elle-même, tout en mettant en perspective ses réflexions avec quelques citations de l’Ecriture, source de son inspiration et de toute sa vie. Une fréquentation assidue La première fois que je suis entré dans le bureau de Madeleine Delbrêl, au 11 rue Raspail à Ivry, il n’y avait sur la grande table de travail qu’un seul livre, son titre : « Les quatre évangiles ». En l’ouvrant, je découvrais que la quasi-totalité du texte avait été souligné ou annoté, signe que cet ouvrage avait été lu et relu. Or, la date de parution de l’ouvrage indiquait 1964, l’année même du décès de Madeleine le 13 octobre. Cette petite découverte indique à quel point le recours constant à l’Evangile fut pour Madeleine Delbrêl une réalité jusqu’à son dernier souffle. Depuis son arrivée à Ivry en 1933, son activité ne devait guère lui laisser beaucoup de temps pour la lecture d’ouvrages de théologie ou de spiritualité. Certes, elle avait eu l’occasion de lire les grands auteurs, mais au fil des années, il semble que sa lecture quotidienne devait de plus en plus se limiter à la seule Parole de Dieu. L’Evangile représentait véritablement son pain quotidien dans lequel elle recevait chaque jour sa nourriture, et il n’y eu probablement guère de jour dans la vie de Madeleine sans un temps consacré à la lecture de l’Evangile. Hélène Jung témoigne à ce propos : « Lorsqu’on a connu Madeleine Delbrêl, on ne peut la séparer du petit livre qui était sa vie. Tout son être était pétri par l’Evangile et elle s’y référait naturellement, spontanément, de la manière la plus concrète1. » Pour Madeleine en effet : « on ne peut rencontrer Jésus pour le connaître sans un recours concret, constant, obstiné à l’Evangile, sans que ce recours fasse intimement partie de notre vie » (IA 47)2. Les adjectifs qu’elle utilise ici : « concret, constant, obstiné » en disent long sur sa détermination et son assiduité à lire l’Evangile. Cette activité n’était pas pour elle réservée aux moments de pause ou aux rares temps libres de son emploi du temps, mais il constituait le cœur de sa journée au prix souvent d’un âpre combat. Dans les moments importants de sa vie, comme dans les petites décisions de la vie quotidienne, c’est toujours vers l’Evangile que Madeleine vient d’abord puiser les lumières et la force dont elle a besoin. Seule une fréquentation assidue et constante permet une transformation profonde de tout notre être à l’image du Christ : « je pense que l’essentiel est la « reproduction » du Christ en nous par l’Evangile, par son assimilation priante et réaliste. » (JC 59). Cette transformation, pour être effective, doit s’inscrire dans la durée, dans la fidélité, et dans une détermination sans faille permettant d’offrir les conditions favorables à une véritable intériorité. « Ces paroles, nous dit Madeleine, doivent être gardées par nous, elles doivent demeurer en nous. Il faut lire ou écouter pour les connaître ; mais lues ou entendues, elles doivent être portées en nous comme la terre porte le grain ; portées , elles doivent germer et faire qu’il y ait du fruit, un fruit sur nous… on ne peut pas toujours lire vite. » (JC 58) Nous pouvons entendre en écho le Psaume 1 où est justement déclaré heureux celui qui « murmure la Loi du Seigneur jour et nuit » (Ps 1, 2). 1 Hélène Jung, La vie Spirituelle 1971, cité par J. LOEW, Vivre l’Evangile avec Madeleine Delbrêl, Centurion 1994. 2 Pour les citations, nous renvoyons aux ouvrages publiés : IA : Indivisible Amour, JC : Joie de croire, NA : Nous autres gens des rues, MSB : Missionnaires sans bateaux, SGO : Sainteté des gens ordinaires. 2 Voici sans aucun doute le premier enseignement que nous donne Madeleine Delbrêl dans son rapport à l’Ecriture à savoir ce recours incessant à la lecture de la Parole de Dieu comme la condition nécessaire non seulement de tout apostolat mais aussi de toute vie chrétienne. Un accueil radical Autre caractéristique du rapport de Madeleine Delbrêl à la Parole de Dieu : l’accueil radical qu’elle lui réserve. Cette radicalité trouve sa source et sa raison d’être dans la nature même de cette Parole, à savoir une Parole inspirée où Dieu nous offre le salut. « Celui qui ne prend pas dans ses mains le mince livre de l’Evangile avec la résolution d’un homme qui n’a qu’une seule espérance, ne peut ni en déchiffrer ni en recevoir le message. » (NA, 79) De la résolution dépend la compréhension. Seul un acte de foi ouvre pleinement à l’accueil de la Parole de Dieu pour ce qu’elle est réellement, ainsi que l’écrit saint Paul aux Thessaloniciens : « Voilà pourquoi, de notre côté, nous ne cessons de rendre grâces à Dieu de ce que, une fois reçue la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’hommes, mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu. Et cette parole reste active en vous, les croyants. » (1 Th 2, 13) Sans cet acte de foi radical, la Parole ne peut produire son fruit dans le cœur de l’homme. Voilà pourquoi Madeleine mettait en garde contre une lecture qui ne serait pas d’abord croyante : « L’Evangile, pour livrer son mystère, ne demande ni un décor, ni une érudition, ni une technique. Il demande une âme prosternée dans l’adoration et un cœur dépouillé de toute confiance en l’homme. » (NA 80), elle poursuit : « L’Evangile n’est pas fait pour des esprits en quête d’idées. Il est fait pour des disciples qui veulent obéir. » (NA 80). La radicalité dont il est ici question se manifeste par une attitude d’obéissance totale qui nous dépouille de nous-mêmes, comme l’écrit Madeleine : « En chaque chrétien qui laisse la Parole prendre une forme inédite en lui, c’est en quelque sorte le mystère de l’Incarnation qui se poursuit. Cette œuvre divine requiert de nous un consentement en profondeur, une obéissance qui fait devenir pauvre. » Nous avons ici une intuition centrale dans la pensée de Madeleine : l’obéissance permet en nous la poursuite du mystère de l’Incarnation. Or, pour s’incarner en nous, la Parole doit prendre le chemin que le Christ lui-même a emprunté : « Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 6-8). La Parole de Dieu n’a d’autre but que de passer dans la vie. Avant toute tentative d’interprétation ou de commentaire, il s’agit d’accueillir ces paroles comme des « consignes simples et impitoyables ». Elle parle à ce propos de « l’indiscutable parce que dit, donné et ordonné par le Christ » en illustrant ainsi ses réflexions : « Quand Jésus nous dit : « ne réclame pas ce que tu as prêté » ou « oui, oui, non, non, tout le reste est du malin », il ne nous est demandé que d’obéir… et ce ne sont pas les raisonnements qui nous y aideront » (JC 32). Dans ces conditions, l’accueil de la Parole ne peut se réaliser sans résistances et sans combats, car il s’agit de laisser de côté nos propres sécurités. Madeleine note à ce propos : « La Parole : il est très onéreux de recevoir en soi son message intact. C’est pourquoi tant d’entre nous le retouchent, le mutilent, l’atténuent. On éprouve le besoin de le mettre à la mode du jour comme si Dieu n’était pas à la mode de tous les jours, comme si on retouchait Dieu. » L’insécurité représente, pour Madeleine, la condition de vie du disciple, car elle invite à dépasser le connu pour se risquer vers la nouveauté radicale du Christ, l’incarnation exprimant la plus grande insécurité voulue par Dieu lui-même afin de rejoindre tout homme. Madeleine met justement en lumière l’un des mécanismes de protection qui empêche la Parole de s’incarner en nous à savoir cette tendance qui consiste à vouloir la réduire ou l’adapter : « les paroles de l’Evangile, il faut aller les écouter sur le bord du mystère d’où elles sortent, dans leur simplicité abrupte, dégagées de tous les commentaires, de toutes les traductions, de toutes les équivalences. » (IA 46). 3 Cette volonté d’accueil radical de la Parole ne doit toutefois pas se comprendre comme une forme uploads/Litterature/ madeleine-delbrel-et-la-parole-de-dieu.pdf

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