LE PASSAGE À L’ACTE CHEZ LES ADOLESCENTS Philippe Lacadée L'École de la Cause f

LE PASSAGE À L’ACTE CHEZ LES ADOLESCENTS Philippe Lacadée L'École de la Cause freudienne | « La Cause freudienne » 2007/1 N° 65 | pages 219 à 226 ISSN 2258-8051 ISBN 9782905040565 DOI 10.3917/lcdd.065.0219 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2007-1-page-219.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'École de la Cause freudienne. © L'École de la Cause freudienne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Dans cette période, par nature de grande fragilité, l’auto-affirmation de soi, surtout dans un milieu social hostile, les explosions de violences urbaines, régulières depuis quelques années, ou encore le taux élevé, et semble-t-il incompressible, du suicide des jeunes devraient pourtant nous inciter à porter le regard sur ces réalités moins voyantes, plus intimes et pourtant décisives de la formation du sujet. C’est là votre terrain d’investigation en tant que psychanalyste. Philippe Lacadée – L’adolescence est effectivement un moment difficile dans la mesure où le sujet doit se détacher, comme disait Freud, de l’autorité parentale, ce qui est à la fois le moment le plus nécessaire, mais aussi le plus douloureux de son développement1. D’ailleurs, plutôt que de crise d’adolescence, nous préférons parler de la plus délicate des transitions, en référence au poète Victor Hugo. La métamorphose de la puberté2 est un moment de transition qui ne va peut-être pas sans prise de risques. Mais Freud ne s’interrogeait-il pas sur ce que serait une vie qui ne comporterait pas une prise de risques3. Certains adolescents s’appuient, sans le savoir, sur ce formidable syntagme du poète 219 Le passage à l’acte chez les adolescents Philippe Lacadée* *Philippe Lacadée est psychiatre, psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne 1. Freud S., « Le roman familial des névrosés », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 157. 2. Freud S., « Les métamorphoses de la puberté », Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 141. 3. Cf. Freud S., Essais de psychanalyse, Payot, 1975 © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 14/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.165.224.92) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 14/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.165.224.92) Philippe Lacadée Arthur Rimbaud, « la vraie vie »4, et ce qui, en son nom, les pousse à prendre des risques souvent vitaux, sans aucune conscience du danger encouru. Les conduites à risques intéressent beaucoup les sociologues, notamment David Lebreton5 qui présentifie ces conduites sur le mode d’une nouvelle modalité d’existence moderne. Il ne parle pas de nouveaux symptômes, car il n’y a pas ici pour lui de pathologie, mais plutôt une nouvelle approche de l’existence et de ce qui peut être difficile dans cette époque de transition de l’adolescence. Dans cette notion de conduites à risques, on peut mettre beaucoup de choses plus ou moins obscures. Nous préférons les appeler les nouveaux symptômes, signes d’une nouvelle clinique, qui ont à voir avec une sorte de pratique de rupture, un court-circuit de la relation à l’Autre. Mais paradoxalement, ces conduites à risques maintiennent une certaine adresse à l’Autre. De quel Autre s’agit- il ? C’est ce que nous essayons de déchiffrer. Comment et pourquoi certains adolescents décident-ils de se passer de l’Autre, et peuvent-ils même refuser l’Autre sur lequel, enfants, ils avaient pris appui pour, d’un coup, mettre leur vie en jeu, leur « vraie vie ». Cette vie authentique, à laquelle justement tiennent ces jeunes de banlieue, et qui peut les conduire au pire, est aussi une solution parfois en impasse pour avoir accès à quelque chose d’Autre. Alors quel est cet Autre ? Ceci reste un mystère à éclaircir. J.M. – La liste de ces conduites à risques est hélas bien connue : la toxicomanie, l’alcoolisme, la vitesse sur la route, les tentatives de suicide, les troubles alimentaires, les fugues, et puis bien sûr, les banlieues. Il semble que ces explosions de violence deviennent presque endémiques. P .L. – Nous prenons appui sur la clinique analytique pour déchiffrer une part non négligeable de ces comportements dits de violence, ce que l’on appelle les provocations langagières, qui sont d’ailleurs inhérentes à ce moment de transition de l’adolescence. Posons-nous la question de savoir pourquoi, à un moment donné, l’adolescent ne peut pas faire autrement que d’être pris par cette attirance d’un acte à produire, comme s’il était plus authentique que les mots. Cet acte, nous l’appelons passage à l’acte. Nous pouvons faire référence à la lettre 46, adressée par Freud à Fliess : « L’excédent sexuel empêche la traduction [en images verbales]. »6 Autrement dit, tout excédent de sensations, de tensions empêche une traduction en signifiants dirions-nous avec Lacan, là où Freud parle d’images verbales. Ainsi, peut-on mieux saisir comment, par moments, certains adolescents peuvent être confrontés à quelque chose de nouveau : une sensation, une tension qui surgit justement à cette époque de délicate transition caractérisée par le fait qu’ils n’ont pas forcément les mots pour pouvoir traduire ce qui leur arrive dans leur corps ou dans leurs pensées. C’est là que peut surgir la provocation langagière, ou une certaine violence qui se traduit par un acte. N’oublions pas que provocation vient du latin provocare qui veut dire appeler vers le dehors. La question, dès lors, devient celle de 220 4. Rimbaud A., Une Saison en enfer, Délires I, Vierges folles, in Œuvre-vie, Éditions du Centenaire, édition établie par Alain Borer, Arléa, 1991, p. 422. 5. Cf. Lebreton D., Conduites à risques, PUF, Quadrige, 2002. 6. Freud S., La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, p. 145. © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 14/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.165.224.92) © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 14/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 37.165.224.92) Le passage à l’acte chez les adolescents savoir quelle modalité de réponse nous allons offrir à ces jeunes qui peut-être utilisent cette scène, cette mise en scène, pour pouvoir dire quelque chose, que ce soit dans le privé, par le biais d’un symptôme, ou sur la place publique, par une conduite de rupture parfois si dramatique. J.M. – Voici justement un extrait tiré de l’ouvrage de Freud, Résultats, idées, problèmes, avec notamment la réponse au plaidoyer d’un pédagogue qui ne voulait pas laisser peser une accusation injustifiée sur l’école, institution qui lui est chère : « Si les suicides de jeunesse ne concernent pas seulement les lycéens, mais également les apprentis, entre autres, cette circonstance en soi n’innocente pas le lycée ; peut-être exige-t-elle l’interprétation selon laquelle le lycée sert à ses ressortissants de substitut aux traumatismes que d’autres adolescents rencontrent dans d’autres conditions de vie. Mais le lycée doit faire plus que de ne pas pousser les jeunes gens au suicide ; il doit leur procurer l’envie de vivre et leur offrir soutien et point d’appui à une époque de leur vie où ils sont contraints, par les conditions de leur développement, de distendre leur relation à la maison parentale et à leur famille. Il me semble incontestable qu’il ne le fait pas, et qu’en bien des points il reste en deçà de sa tâche : offrir un substitut de la famille et éveiller l’intérêt pour la vie à l’extérieur, dans le monde. Ce n’est pas ici le lieu d’une critique du lycée dans son organisation actuelle. Peut-être me sera-t-il permis de dégager cependant un seul facteur. L’école ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures, auxquels ne peut être dénié le droit de s’attarder dans certains stades, même fâcheux, de développement. Elle ne doit pas revendiquer pour son compte l’inexorabilité de la vie, elle ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie. » 7 Belle réflexion de Freud sur l’école « qui ne doit jamais oublier qu’elle a affaire à des individus encore immatures ». Je pense que les enseignants en sont conscients. Et vous-même, qui travaillez en milieu scolaire ? P .L. – Ce texte de Freud est d’une étonnante actualité. La question de la violence à l’école, surtout au collège d’ailleurs, tient aujourd’hui plus que jamais le haut de l’affiche. Freud est très clair : l’école « ne uploads/Litterature/ lacadee-le-passage-a-l-x27-acte-chez-les-adolescents.pdf

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