Langue française L'insulte : la parole et le geste Sophie Fisher Abstract It is
Langue française L'insulte : la parole et le geste Sophie Fisher Abstract It is the title of Leroy-Gourhan's work in this inverted order that will lead our path: insults are not limited to screams or vocatives - they are very often expressed by gestures, whether or not thèse are accompanied by words. The recent example of the "anarchist- entarteur" who targeted the French politician Chevènement clearly shows the link between an act and an interpretation by its victim. Thus, insults are not necessarily some abuse or a swearword; they may be a punctual act. Such an act further supposes in an enunciative analysis the recognition of the central role of the enunciator in action interprétation. This is evidenced by a corpus based on Sobrino's Spanish-French grammar as well as Argentinean, Brazilian, Spanish and French data. This study concentrâtes on the notions of injunction, exclamation and onomatopoeia, which belong to the borders of the structured systems studied by grammars. Citer ce document / Cite this document : Fisher Sophie. L'insulte : la parole et le geste. In: Langue française, n°144, 2004. Les insultes : approches sémantiques et pragmatiques. pp. 49-58. doi : 10.3406/lfr.2004.6807 http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807 Document généré le 08/09/2015 Sophie Fisher CELITH-EHESS fisher@ehess.fr L'insulte : la parole et le geste L'utilisation inversée du titre de Leroi-Gourhan n'est pas un hasard : l'insulte n'est pas seulement un cri, une interpellation, mais très souvent un geste, accompagné ou non d'une parole. Ce mode d'expression se trouve illustré par l'exemple récent de Ventarteur-anarchiste : « L'attentat pâtissier est une sorte de matérialisation de la lettre d'insulte, avec des mots qui sauteraient à la figure et dégoulineraient dans le cou » (P. Robert-Diard, 22-23.09.2002, « Jean- Pierre Chevènement retrouve son entarteur devant le tribunal », Le Monde). Comme l'insulte verbale, cet acte a une source, mais aussi une cible - le candidat Chevènement -, qui interprète cet acte, dont « [l]e but était de salir, de ridiculiser. Un homme public n'a pas d'autre capital que son image » (Ibid.). Le caractère situé de l'acte montre tout l'intérêt d'une analyse énonciative mettant au centre de la problématique le rôle du co-énonciateur comme inter prétant. Une telle analyse peut trouver des préliminaires utiles dans la consi dération de sources métalinguistiques. Les études faites par certains grammairiens constituent à ce titre un matériau de choix. C'est l'exemple d'une grammaire bilingue, français/espagnol, l'un des classiques de la fin XVIIIe siècle jusqu'au XIXe siècle, qui est considéré dans les deux premières sections de cet article. Elles montrent les difficultés de la définition des notions d'interjection, d'injure et d'insulte. Ces difficultés s'expliquent par le caractère culturalisé de l'appréciation des notions, l'angle sous lequel elles sont envisagées (dans le juridique par exemple), et par la situation énonciative des usages où la portée des actes est fixée de façon déterminante par la gestuelle. Ces paramètres sont directement pertinents pour la compréhension des faits français, langue voisine d'une société bâtie sur le même modèle que l'espagnole, comme le montrent les convergences avec les contributions à ce volume. L'incarnation gestuelle de la parole agissante est le propos de la tro isième section. 1ÂNGDE FRANÇAISE 144 49 Les insultes : approches sémantiques et pragmatiques I. LES INSULTES ET INJURES COMME INTERJECTIONS La grammaire français /espagnol de Sobrino a connu à trois époques trois versions et trois réécritures. Ces réécritures attestent de changements dans ses définitions du phénomène de l'insulte et de l'injure, changements qui sont le signe autant des transformations sociales que de la prudence linguistique qui les accompagne. Envisagée dans le sens du parlable, du dicible ou de l'interdit, Yinterpellation apparaît en général hors des parties traditionnelles de la phrase, puisqu'elle concerne le rapport à l'autre, mais aussi avec soi-même. Ces rapports sont présents dans la problématique de l'interjection. Cette notion reçoit trois définitions selon les trois versions du Sobrino, où elles sont données en français, puisque c'est bien de grammaires pour des francophones qui apprendraient l'espagnol qu'il s'agit (les soulignements sont les nôtres) * : Les Interjections sont des Particules qui s'entremettent dans le discours, pour marquer les passions de l'âme. Mais comme elles sont peu importantes dans la Grammaire, je ne m'arrête point à les expliquer. (Sobrino 1752 : 198) Les Interjections sont des Particules qui sont employées dans le discours, pour marquer les passions de l'âme... » (Sobrino 1801 : 182) Vinterjection est un mot dont on se sert pour exprimer un sentiment de l'âme, comme la joie, la douleur, etc., ou pour réveiller l'attention. (Sobrino 1881 : 181) Ces définitions sont suivies d'une liste des différentes interjections (pp. 181-3). Dès à présent, nous pouvons voir les différences entre les textes. Les deux premières versions emploient Particules pour caractériser l'interjec tion, ce qui grammaticalement la met au rang de l'article, si on considère ce dernier comme l'articulation nécessaire de termes porteurs de sens. Par ailleurs, ces deux versions parlent des passions de l'âme, le troisième des sentiments. La transformation de la passion en sentiment n'est pas un simple problème de style. Une indication allant dans ce sens est donnée au début des deux premières définitions puisqu'il s'agit de particules qui s'entremet tent ou qui sont employées dans le discours : l'on passe de l'involontaire au choisi. Et, ici, le point de vue énonciatif est fondamental car il suppose ce que, à la suite de Culioli, nous appellerons le « haut degré », ou l'aspect phatique au sens de Jakobson. Ces définitions peuvent être comparées avec la troisième qui part de l'usage et le recentre sur le sujet énonciateur. De Y interjection/interpellation, on aboutit à Y interjection/expression du moi. On passe d'une société d'ancien régime, une société policée, à une société indi vidualiste, centrée sur le sujet. On le voit aussi dans la manière d'envisager 1. Je remercie Irène Tamba de ses remarques à propos des formes plurielle ou générique de l'article dans les citations ci-dessus. 50 L'insulte : la parole et le geste ce qui est aux limites de l'interaction verbale comme dans le cas de certaines insultes. Prenons comme exemple le traitement d'une expression qui nous sembler ait étrange dans une grammaire espagnole actuelle : Sobrino, avant de consi dérer hidalgo, discute un hideputa qui n'a pas d'équivalent en français. Les éditions de 1752 et de 1801 diffèrent peu, mais ce peu donne la mesure des transformations entre ce qui se dit et ce qui ne peut plus se dire : De la diction Hideputa [...] les espagnols ont une certaine exclamation on interjection d'admirer, à savoir hideputa, qui s'emploie dans les comparaisons pour se moquer d'une personne, la montrant n'être telle qu'elle devoit (1752 : 199) (nous soulignons) De la diction Hideputa Les espagnols ont une expression moqueuse ou interjection, savoir : hideputa, qui s'emploie pour exprimer du mépris : O hideputa y que Roldân, para hacer fieros ! O quel Roland pour faire des bravades ! ô hideputa y que Nembroth, que magno Alexandro ! ô quel Nembroht, quel grand Alexandre ! (1801 : 183) (nous soulignons) Notons que les deux définitions : « une certaine exclamation ou interjection d'admirer » (1752) et « une expression moqueuse ou interjection, qui s'emploie pour exprimer du mépris » (1801) montrent la difficulté de rendre compte du phatique dans la transformation des situations énonciatives et sociales à cinquante ans de distance, à une époque marquée par des bouleversements tels que la Révolution et le début de l'épopée napoléonienne. Marque de l'excès, ce type d'injure - qui n'est pas une insulte - s'inscrit néanmoins dans une longue tradition hispanique (Moro, judio, ladrôn, herético), comme bougre (Puto) et son double (Paillard, lascif, érotomane). Celle-ci étant la seule version acceptable pour les honnêtes gens. D'ailleurs, le réfèrent étymologique de l'antonyme hidalgo est envisagé à travers l'évocation de l'Examen de Ingenios de Huarte, livre rare dont l'argumentaire sur la question est résumé dans le Sobrino de 1752 : II faut dire qu'il fait une comparaison de ce mot, algo, dont la diction est en partie composée ; & son contraire, qui est nada. (...) or il rapporte ledit nada au péché, ou vice, qui est à bon droit dit rien : & par algo, il entend la vertu : voulant inférer que hijo dalgo, signifie fils de la vertu. Une autre analyse est en outre présentée : [...] qui a bien de l'apparence, mais elle est fort ancienne <...> hidalgo seroit composé de trois dictions, qui sont hijo de Godo ;fils du Goth & cela à cause que les Goths ont été les premiers Chrétiens en Espagne, & par succession étant les vieux & plus anciens, ils sont tenus pour les plus nobles, à la différence des nouveaux convertis, tellement que par corruption de ces trois dictions se seroit formé hidalgo, comme qui diroit hijo dalgo. (p 101) Par rapport à ces deux éditions, celle de 1881 ne comporte plus comme exemp les des mots ou des expressions comme celles que nous avons vues (hidalgo, LANGUE FRANÇAISE 144 51 Les insultes : approches sémantiques et pragmatiques hideputa, etc.). Car nous sommes dans la modernidad (1881 : 181) uploads/Litterature/ fisher-l-x27-insulte-la-parole-et-le-geste.pdf
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- Publié le Sep 11, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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