SORTIE D’USINE DU MÊME AUTEUR Sortie d’usine, roman, 1982. Limite, roman, 1985.

SORTIE D’USINE DU MÊME AUTEUR Sortie d’usine, roman, 1982. Limite, roman, 1985. Le Crime de Buzon, roman, 1986. Décor ciment, roman, 1988. Calvaire des chiens, roman, 1990. La Folie Rabelais, essai, 1990. Un fait divers, roman, 1994. Parking, 1996. Impatience, 1998. SITE DE L’AUTEUR www.tierslivre.net FRANÇOIS BON SORTIE D’USINE LES ÉDITIONS DE MINUIT r 1982/2011 by LES ÉDITIONS DE MINUIT www.leseditionsdeminuit.fr Une gare s’il faut situer, laquelle n’importe il est tôt, sept heures un peu plus, c’est nuit encore. Avant la gare il y a eu un couloir déjà, lui venant du métro, les gens dans le même sens tous ou presque, qui arri- vent sur Paris. Lui contre la foule, remontant. Puis couloir un autre, à angle droit l’escalier mécanique, qui marche c’est chance aujourd’hui, le descend à la salle, vaste carré souterrain où les files se croisent une presse, se divisent, des masses, un désordre pourtant quantifié par bouffées, l’ordre d’arrivée des trains. La pendule, l’heure, regard réflexe, dressé huilé. Ça marche en général à la minute près : six minutes il lui reste d’ici au quai, le temps donc largement pour qu’il prenne son journal, au kiosque là dans le milieu de la salle, s’il n’y a pas trop de queue. Moins de toute façon qu’aux cigarettes, la file qu’il a dû traverser, lui ne fume pas. Préparer sa monnaie, coup d’œil aux titres, quelle page il va lire appuyé debout sur le quai. Mais souvent c’est par le métro suivant qu’il débarque, une minute de marge alors, seulement, il faut marcher plus vite, quitte à bousculer ceux d’en face, dispersés, ou se doublant à vitesses inégales les traînards de son sens. 7 Quelquefois c’est même vraiment le métro de retard, le train loupé de trois minutes à moins, ce qui, ques- tion attente, revient au même, que ce soit celui d’avant les six minutes qui le dépote, puisque dans les deux cas c’est onze. Onze minutes à perdre, soit le train loupé, soit en avance de six plus cinq onze, mais lui ce serait plutôt les retards qui lui tombent dessus par périodes, sans règles mais régulières, comme par vagues. Des semai- nes entières il arrive au métro près soit à trente-cinq, soit à quarante et puis ça flanche. Sait alors qu’avant de restabiliser c’est bien quatre cinq jours qu’il fau- dra, au minimum jusqu’au lundi suivant, un coup en avance puis deux fois le quart d’heure à la bourre la même semaine. Remarque en principe il se fait pointer. Système à deux, le premier arrivé pointe l’autre, discret charge de revanche. Avec son pote. D’autant qu’à trois retards dans le mois c’est la prime d’assiduité qui saute, quinze sacs dans le lard. Alors s’il a un trou comme ça, les onze minutes à paumer, mieux vaut le prendre à la bonne et se payer un jus que rester compter les trains sur le quai. Heureux, des pendules il y en a partout. Celle-ci fait de la pub au-dessus du zinc. La cafét dans le souterrain. Pas besoin d’avoir de montre dans ce pate- lin, la sienne est fichue depuis un bail il ne s’en porte pas plus mal. C’est du serré autour de lui, café crème ou pas, petit noir ils disent ou express un-express-un, plus les demis, sauvignons ou croissants la valse de l’autre côté du rade, les trois gars à cette heure ils ne 8 chôment pas. Leurs vannes aussi elles ont leurs pério- des leurs modes, allez les enfants mangez-buvez-payez ou bien voilà docteur en balançant sous votre nez la tasse, il en tombe toujours un petit peu. Sans échap- per au type qui lui louche par-dessus l’épaule pour lire avec lui son canard, ça il n’a jamais pu s’y faire. Détourner la feuille, jouer le renfrogné. Un des trois surtout, parmi les serveurs, qui brasse on n’entend que lui, son accent auvergnat nous les immigrés dit-il, ses lunettes rondes et l’orange cru du zinc les plasti- ques. C’est mieux de monter sur le quai avec un peu de sécurité, la minute. Leurs visages identifiés sauf rares, les retours de week-ends par exemple. Mais la se- maine ils ne sont pas nombreux ceux qui ici ne sont pas au quotidien de l’heure. La troupe des gamins du C.E.T. à se rouler leur tabac, eux c’est tous les jours qu’on les voit. Cela fait qu’aux vacances scolaires c’est comme si on en profitait aussi, un peu. Même il sait qui lit quel journal, ça l’amuse de bigler les titres, les scandales du Parisien surtout. Un type ou deux de sa boîte mais c’est convenu ils s’évi- tent mine de rien, à cette heure on marche au radar. Le quai donc et l’arrivée du train, en général précis. Le premier vrai bruit, un grondement doublé d’aigus, ce crissement d’acier sur acier. À peine cesse-t-il que vient le lâcher des freins, cette décharge d’air com- primé qui se répète ensuite à chaque arrêt juste der- rière les oreilles. Viser plutôt le milieu du wagon, ça dépendra du monde cette bousculade toujours, entre eux et malgré cela chaque jour comme un assaut, la 9 formation d’une grappe rude. Le marchepied si haut, attraper la tige inox un peu grasse. Signal déjà de fermeture des portes, le retardataire qui en fout un bon coup puis excuses mais. Place assise voir vite où se rencogner, sinon l’angle, debout contre la portière, pas le côté quai l’autre. En principe personne ici de sa boîte, il se débrouille à grimper dans un wagon bien vers l’arrière, que ceux ramassés aux arrêts pré- cédents sortent avant lui au portillon. Fixité tacite de leur répartition au wagon près, les bonjours viendront bien assez tôt. Assis reprendre le journal, l’ouvrir déplier froisser replier, ne s’en sort pas. Déplier encore, regard à côté du vieux. M’emmerde il s’est pas vu cette gueule. Fumeurs qui se croient obligés de fumer, parce que pancarte ou pas ils fument n’importe où à cette heure, puis jamais de contrôle d’ailleurs lui serait le premier à râler, bien assez cher qu’on paye la joie de se taper ça tous les jours. Fumée avec en prime leurs toux. Répétition aussi des groupes, le clan des lycéens, il faut dire L.E.P. maintenant, qui échangent leurs maths. Organisés les jeunes. Répétition des conversations, les quatre là, dans leur commentaire au quotidien de l’Équipe, mais c’est le lundi qu’il faut les voir. D’ail- leurs le lundi c’est pas difficile, ça cause ou ça dort, maussades ou comptes rendus des aventures de famille. Ils descendent avant lui les sportifs. Pas des métallos, un genre entrepôt qu’ils doivent gratter. Et les trois avec Libé, un qu’il salue des fois, un instit en imper noir, l’école juste sur le chemin de la boîte, il y a chaque matin la troupe de gamins, il faut descendre 10 du trottoir pour passer. Et premier arrêt, les arrêts qu’il ne compte même plus. Ne les compte pas. Noir encore dehors et l’été des gris, du sombre une brume, du brouillard un glauque sauf, juste passé le périph, très propre et très nette au bord de la voie l’usine à ordures, on voit les bennes qui dépotent à la file sous les cheminées. Puis les immeubles, cités vaguement roses les plus vieilles, de la brique leurs quatre étages et gris béton les plus récentes, pourtant l’air plus vétuste déjà. Aux fenêtres identiques dans la dispersion des carrés jau- nes, l’activité des cuisines, ou le damier des linges à pendre. C’était rare qu’il s’en occupe du bord de voie, sauf parfois à s’accrocher au défilement, les lende- mains de fête, ces jours vasouilleux comme un faux départ ou d’autres de levée brusque du ras-le-bol, quand alors il n’achetait même plus le journal, les nouvelles au goût soudain de ressassé, de trop fade, ou dont la prolixité même lui était un haut-le-cœur. Cela le tenait quatre jours, cinq, enfin le reste de la semaine mais pas plus, puisque, quand même, ça aide le journal. Oh, pas d’être au courant ou pas, les dis- cussions on s’en tire toujours, et puis la cantine, les on-dit, elle lui arrivait tout de même, l’actualité. Fina- lement ils n’étaient pas si nombreux, à préférer lire plutôt qu’écouter au lever la radio, ceux-là n’avaient même plus à pousser de bouton, le réveil et c’est parti, les pubs le naturel au galop. Lui n’avait même pas de poste, la télé encore moins non merci, mais son jour- nal... accrocher au jour ce qui en faisait, oui, le jour malgré tout. 11 Le bord de voie, connu sans qu’il le regarde, sans qu’il puisse en dire la succession organisée des signes. Mais quand il levait le nez rien ne surgissait de l’inconnu, et lui arrivait comme à sa place, sans sur- prise. Localisé identifié, recelant à coup sûr l’annonce du signe à suivre jusqu’au détail. Ce noir luisant des passerelles, rambardes entremêlées, se décroisant d’entre les lignes électriques. Les arrêts qu’il ne comp- tait jamais et pourtant ne se trompait pas quand il fallait se lever, qu’il refermait jusqu’au uploads/Litterature/ fr-bon-sortie-d-usine-incipit.pdf

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