Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Les fragments de Numénius d'Apamée dans la Préparation Évangélique d'Eusèbe de Césarée Monsieur Édouard des Places Citer ce document / Cite this document : des Places Édouard. Les fragments de Numénius d'Apamée dans la Préparation Évangélique d'Eusèbe de Césarée. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 115ᵉ année, N. 2, 1971. pp. 455-462; doi : 10.3406/crai.1971.12650 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1971_num_115_2_12650 Document généré le 04/06/2016 LES FRAGMENTS DE NUMÉNIUS d'aPAMÉE 455 COMMUNICATION LES FRAGMENTS DE NUMÉNIUS d'aPAMÉE DANS LA PRÉPARATION ÉVANGÉLIQUE d'eUSÈBE DE CÉSARÉE, PAR LE R.P. EDOUARD DES PLACES, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE. Plus d'un siècle sépare le philosophe Numénius d'Apamée et l'apologiste Eusèbe de Césarée ; le premier vivait vers le milieu ou la fin du 11e siècle de notre ère, le second de 263 à 339 environ. Eusèbe est à peu près contemporain de Jamblique (v. 250-325) et, comme lui, postérieur d'une génération à Porphyre (v. 233-303), de deux générations à Plotin (205-270). Ce sont tous des Orientaux. Il ne faut pas, cependant, majorer chez eux l'élément oriental ; leur doctrine est principalement ou totalement grecque1, et les Oracles chaldaïques, dont l'édition vient de paraître dans la collection des Universités de France, n'ont guère de chaldéen que le nom ; l'auteur, un des Juliens contemporains de Marc-Aurèle, ou les auteurs, si le père et le fils ont contribué à la formation du recueil, se rattachent à la tradition platonicienne2. Les Oracles et Numénius sont de la même époque et prêtent à comparaison ; Plotin paraît avoir connu les Oracles, si même il ne nous en a conservé le fragment contre le suicide3 ; Jamblique leur doit plus qu'à Plotin, et son maître Porphyre, disciple immédiat de Plotin, est peut-être moins néoplatonicien que platonicien moyen. C'est ce qui ressort du commentaire de Calcidius sur le Timée de Platon, qui se situe autour de 400 ; dans l'ensemble, il ne dérive ni de Plotin ni des continuateurs néoplatoniciens de celui-ci, mais du platonisme moyen (duquel Porphyre lui-même tient beaucoup de ses idées)4. Sans doute, ce platonisme intermédiaire manque de relief ; il ne peut se réclamer d'un chef comparable à Plotin ; ne pouvant revendiquer non plus le trop éclectique Plutarque, il ne 1. H.-Ch. Puech, dont l'article des Mélanges Ridez (II, Bruxelles, 1934, p. 745-778), semblait, à la suite d'E. Norden (Agnostos Theos, Leipzig et Berlin, 1913, p. 72-73), définitivement établir l'aspect oriental et spécifiquement sémitique de Numénius, retirait vingt-cinq ans plus tard, à Vandœuvres, une partie de ses affirmations (Entretiens sur l'Antiquité classique, V, 1960, p. 36) ; de son côté, E. R. Dodds, sans écarter tout élément oriental (Ibid., p. 7 et 11), juge que dans ses deux traités Numénius reste fidèle à la tradition philosophique grecque (Ibid., p. 61). 2. Cf. Oracles chaldaïques (Paris, 1971), Notice, p. 7. 3. Fr. 166 (Psellus, P.G., 122, 1125 d 1-2 = Ennéades, î, 9 début). Pour E. R. Dodds, cependant (Z.c, p. 7), « Plotinus will hâve ignored the Oracles ». 4. Cf. P. O. Kristeller, in The Journal of Philosophy, LX, 1963, p. 16. 456 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS présente que des œuvres assez minces (Albinus, Apulée) ou, le plus souvent, fragmentaires (Atticus, Numénius, Celse)1. Son importance historique est pourtant considérable ; comme J. H. Waszink l'a observé, en pensant particulièrement à Calcidius : « plus facilement accessible, moins exigeant quant à ses conditions d'intelligibilité, ce platonisme a continué d'agir sur le monde intellectuel des chrétiens bien après que le néoplatonisme se fut répandu dans les cercles cultivés tant païens que chrétiens »2. De l'influence du platonisme moyen sur la patristique grecque un exemple privilégié est Numénius, tel qu'Eusèbe de Césarée nous l'a conservé. En effet, mis à part les « témoignages », pour la plupart tirés de Proclus, tous les fragments proprement dits de Numénius (à l'exception du fr. 10, tiré du Contra Celsum d'Origène) proviennent de la Préparation évangélique d'Eusèbe. Ils appartiennent presque tous à deux ouvrages fort différents, intitulés Sur ce qui sépare de Platon l'Académie et Sur le Bien. Le premier fournit au recueil de Leemans les fr. 1-8 ; le second, les fr. 9 a et 11-29. Le fr. 30 Leemans est le seul vestige d'un traité Sur les secrets de Platon. Logiquement, il précède l'histoire de l'Académie postplatonicienne, et je le mettrais avant les fragments du Ilepi tyjç... Siacrràaecoç ; il portera dans la nouvelle édition le n° 23. Disons tout de suite que si une édition nouvelle s'imposait pour les Mystères d'Egypte de Jamblique et pour les Oracles chaldaïques, le besoin en semblait moins urgent dans le cas de Numénius. Celle d'E. A. Leemans ne remontait qu'à 19373. Elle marquait un progrès notable sur les textes de F. Thedinga et de K. S. Guthrie4. Pour la Préparation évangélique d'Eusèbe, source unique, répétons-le, de la plupart des fragments, Leemans disposait de l'édition d'E. H. Gif- ford (1903), où le manuscrit de Bologne, 0, tenait pour la première fois sa place. De plus, Karl Mras, l'éditeur du Corpus de Berlin, avait mis, à lui communiquer ses collations, l'empressement dont ont bénéficié tant d'autres éditions5. Dans l'ensemble, le texte de Leemans demeure excellent. On pouvait seulement l'établir sur une base plus ferme depuis qu'avait paru, en 1954 et 1956, le grand 1. Cf. H. Dôrrie, in Entretiens sur l'Antiquité élastique, Vandœuvres-Genève, XII, 1966, p. 9, n. 1 ; 10, n. 1. 2. Entretiens..., III, 1957, p. 158. 3. E. A. Leemans, Studie over den Wijsgeer Numénius van Apamea met Uitgave der Fragmenten, Bruxelles, 1937 (Acad. royale de Belgique, cl. des Lettres, Mémoires in-8°, XXXVII.2). 4. F. Thedinga, De Numenio philosopha platonico, diss. Bonn, 1875 ; K. S. Guthrie, Numénius of Apamea, Londres, 1917. 5. Ainsi pour les Lois et l'Épinomis ; cf. Platon, Œuvres complètes, XI, lre partie, Paris, 1951, p. ccxvn et n. 2. LES FRAGMENTS DE NUMÉNIUS d'aPAMEE 457 travail de Mras1. D'autre part, une traduction complète n'existait pas en français. Pour les fragments tirés d'Eusèbe, celles de Migne et de Séguier de Saint-Brisson manquaient de rigueur2 ; mais E. Vacherot, E. Lévêque, A.-E. Chaignet fournissaient des éléments3, et le P. Festugière avait traduit un certain nombre de passages dans La Révélation d'Hermès Trismégiste, comme, plus récemment, dans les Commentaires de Proclus sur la République et sur le Timée, les « témoignages » empruntés à ces œuvres4. Un effort spécial a porté sur l'annotation, et l'index verborum permettra plus d'un rapprochement ; la communauté de vocabulaire entre les fragments du traité historique et ceux du traité Sur le Bien confirme l'unité d'auteur, qui, à vrai dire, n'a jamais été contestée. La langue de Numénius est riche, parfois chatoyante. Le style est d'une extrême variété : solennel et d'une majesté religieuse, parfois hymnique de ton en plusieurs fragments du Ilspi TayaGou, il se distingue dans les parties dialectiques par la limpidité de la rédaction. « La diffusion, prix habituel chez lui de cette clarté, devait d'autant moins lasser le lecteur ancien qu'elle se pare de toutes les grâces de la rhétorique sophistique : Numénius est un modèle achevé du genus dicendi asianique, surtout dans son histoire de l'Académie, où l'indigence du fond se masque habilement sous une élocution piquante et à la mode »5. Les longues citations d'Eusèbe posent deux questions : a) en quoi ces fragments de Numénius l'intéressaient-ils ? b) en retrouve-t-on la trace dans sa propre théologie ? A. L'intérêt d'Eusèbe pour les fragments de Numénius. La bibliothèque de Césarée de Palestine, une des plus importantes du monde antique, avait été fondée par Pamphile, le maître et père spirituel d'Eusèbe, lequel prit son nom : « Eusèbe de Pamphile ». Elle possédait, entre autres, les livres qu'Origène avait apportés d'Alexandrie à Césarée. Il y manquait les tragiques, les 1. Eusebius Werke, 8er Band, Die Praeparatio evangelica, hrsg. v. Karl Mras (Griech. christl. Schriftsteller, 43), Berlin, 1954-1956. 2. L. Migne, Démonstrations évangéliques, I, Paris, 1843 ; Séguier de Saint-Brisson, La Préparation éuangélique traduite du grec d'Eusèbe Pamphile, I-II, Paris, 1846. 3. E. Vacherot, Histoire de l'École d'Alexandrie, I, Paris, 1846 ; E. Lévêque, ap. M.-N. Bouillet, Les Ennéades de Plotin, I, Paris, 1857, p. xcviii-civ ; A.-E. Chaignet, Histoire de la psychologie des Grecs, III, Paris, 1890. 4. Cf. A.-J. Festugière, La Révélation d'Hermès Trismégiste, III, Paris, 1953, p. 42-47 ; IV, Paris, 1954, p. 123-132 ; Proclus, Commentaire sur la « République, I-III, Paris, 1970 ; Commentaire sur le « Timée », I-V, Paris, 1966-1968. 5. H. Usener, recension de Thedinga (1875), in Kleine Schriften, I, Leipzig et Berlin, 1912, p. 368-369. 1971 30 458 COMPTES RENDUS DE L* ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS comiques, les lyriques, sans doute aussi les écrits des premiers Stoïciens et Épicuriens ; mais elle comptait nombre d'ouvrages d'histoire et d'œuvres philosophiques de l'école platonicienne, depuis Platon, représenté par des manuscrits de valeur, jusqu'à Plotin et Porphyre1. Parmi les adeptes du platonisme moyen, Atticus, comme Numénius, ne nous est connu que par Eusèbe2. A l'un et à l'autre, l'apologiste emprunte les textes les plus uploads/Litterature/ fragments-de-numenius-d-x27-apamee-dans-la-preparation-evangelique-d-x27-eusebe-de-cesaree-pdf.pdf

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