BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE SECTION PSYCHOLOGIE dirigée par Paul F
BIBLIOTHÈQUE SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE SECTION PSYCHOLOGIE dirigée par Paul FRAISSE, Professeur il la Sorbonne PSYCHOLOGIE DU TEMPS par PAUL FRAISSE Professeur à la Sorbonne Directeur de l'Institut de Psychologie de l'Université de Paris DEUXIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1967 DÉPOT LÉGAL 1 re édition .... 3" trimestre 1957 i 2e - augmentée leT - 1967 TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation I réservés pour tous pays (: 1957, Presses Universitaires de France A ma, femme Avant-propos de la deuxième édition Les études sur les problèmes psychologiques du temps ont pris depuis dix ans un nouvel essor. Il était impossible de rééditer l'ouvrage antérieur sans une révision profonde. Nous avons conservé l'architecture générale mais nous avons intégré de très nombreux résultats nouveaux et nuancé quelque interprétations. Nous avons été grandement aidé dans cette révision par Madeleine Léveillé qui a revu les épreuves, les références et réalisé les Index. Qu'elle en soit remerciée en cette première page. P. F. INTRODUCTION L'homme vit dans le changement. Avant de savoir qu'il change lui-même, il est le spectateur d'une universelle trans- formation. Les nuits succèdent aux jours, le beau temps au mauvais, les hivers aux étés. Des animaux naissent, meurent ; rien n'arrête le courant de la rivière et l'érosion de la roche. Tout est entraîné par le changement, y compris l'homme. Sa vie biologique, psychologique et sociale est tout entière changement. Mais, à la différence des autres êtres, l'homme sait qu'il vit dans le changement. Il peut le reconstituer par la mémoire et en découvrir les lois pour prévoir les successions futures. Ainsi il apprend très tôt à utiliser le devenir au lieu de le subir seulement. ' L'expérience de successions dont les unes sont périodiques, les autres non, de changements continus et disco.ntinus, de renouvellements entrelacés, de permanences relatives, explique sans doute la naissance de l'idée de temps. Peut-être explique-t-elle aussi le mot lui-même. En effet le mot temps est employé couramment, même dans une langue aussi évoluée que la nôtre, pour indiquer les moments du changement : « faire chaque chose en son temps », « n'être pas de son temps », « de tout temps ». Plus concrètement encore, le temps c'est « le temps qu'il fait », c'est-à-dire les états successifs de l'atmo- sphère. Ce dernier sens confond, comme le mot latin tempus, le temps qu'il fait et le temps qui s'écoule. D'autre part, il manifeste la primauté, dans notre expérience, des rythmes du jour et de la nuit, ce que soulignait déjà la racine sanscrite du mot temps, qui signifiait éclairer, brûler. D'autres expressions temporelles ont facilement ce même double sens : ainsi le jour désigne la clarté, et la durée de l'éclairement par le soleil, que l'on oppose à la nuit (Regnaud, 1885). Dès l'origine donc, le sens concret a été lié au sens abstrait, et cette liaison est encore vivante de nos jours. P. FRAISSE 1 2 PSYCHOLOGIE DU TEMPS * * * Au cours des âges, l'effort des hommes a tendu à la maîtrise des conditions fondamentales de leur existence. Les change- ments périodiques -- jours, lunaisons, retours annuels des saisons - ont offert à la fois un cadre naturel permettant de situer tous les autres et un moyen de mesure. Les savants se sont efforcés de scruter ces retours périodiques, de les accorder entre eux dans un effort millénaire, qui ne peut être dit achevé puisque nous perfectionnons sans cesse nos moyens de mesurer l'heure et la seconde (1) et que la réforme du calendrier est à l'ordre du jour des Nations Unies. Les sages et les moralistes, attentifs à l'angoisse des hommes devant leur propre devenir et son terme inéluctable, se sont interrogés sur le sens même du changement à l'échelle de l'homme, des sociétés et du monde. Enfin les philosophes, partant d'une idée du temps devenue de plus en plus abstraite, en ont étudié la nature. L'histoire du temps se confond ainsi avec l'histoire de la pensée humaine. De quelle façon la pensée occidentale a-t-elle abordé le problème ? On sait que les philosophes ne se sont pas préoccupés du tout de l'origine de l'idée de temps, ni de sa nature en tant qu'idée, mais plutôt de la réalité à laquelle elle pouvait corres- pondre. Quel est le rapport du temps et de ses apparences avec le mouvement ? Est-il éternel ou non ? Existe-t-il en dehors d'un esprit qui unit l'antérieur et le postérieur ? Cette recherche n'est pas épuisée. Comme celle des moralistes à laquelle elle est étroitement liée, elle se renouvelle à chaque époque. La pensée platonicienne concevait le temps comme l'image mobile de l'éternité se déroulant dans un monde dominé par un retour cyclique des changements. La pensée judéo-chrétienne a été modelée par la révélation d'un monde créé avec son temps où se joue l'histoire de la faute et du rachat ; elle s'achève en une eschatologie, et, dans la cité de Dieu, le temps retourne à l'éter- nité. Le monde moderne a découvert l'ancienneté illimitée de son histoire ; les lois de l'évolution, que les réussites du progrès technique lui suggèrent d'extrapoler à celles des sociétés (1) La douzième conférence générale des poids et mesures a admis, en 1964, que la mesure de la seconde devrait être fondée désormais non plus sur le mouve- ment des astres, mais sur les phénomènes intra-atomiques. La précision sera de dix à cent fois supérieure. INTRODUCTION 3 humaines, ont engendré les conceptions immanentistes du temps : ce dernier devient alors le lieu du progrès indéfini réalisé par l'engagement des hommes. L'ère critique de la philosophie qu'a ouverte la réflexion de Descartes a posé à l'homme des questions d'une autre sorte. D'où nous vient cette idée de temps et quels sont ses rapports avec nos expFriences immédiates ? Ce problème épistémolo- gique allait déboucher sur des questions proprement psycho- logiques. Non certes que les hommes et a fortiori les philosophes et les moralistes ne se soient pas toujours posé des problèmes psychologiques. Leurs oeuvres sont pleines de notations vécues ; un historien remarquerait aisa;ment que leurs conceptions philo- sophiques ont correspondu à leur manière même de vivre le temps. Mais, à partir du moment où la réflexion se centre sur l'origine et la portée de l'idée de temps, les perspectives s'éloi- gnent d'une méditation sur Dieu et le monde, pour se tourner vers l'homme et en particulier vers les lois qui régissent son esprit. Tous les philosophes - y compris Kant - qui se sont inter- rogés sur l'origine de notre idée de temps ont été unanimes à reconnaître qu'elle venait du changement. Aristote avait déjà noté « que le temps... n'existe pas sans le changement » (Phy- sique, IV, p. 149). Mais de quel changement s'agit-il ? De celui de nos sensations ou de celui de nos pensées ? La réponse à cette question est liée à la conception même que chaque philo- sophe se fait de l'idée. Condillac représente, on le sait, une tentative d'empirisme intégral. Sa statue « n'aurait jamais connu qu'un instant, si le premier corps odoriférant eût agi sur elle d'une manière uni- forme, pendant une heure, un jour ou davantage... Il n'y a a donc qu'une succession d'odeurs transmises par l'organe ou renouvelées par la mémoire qui puisse lui donner quelque idée de durée » (Traité de.c sensations, éd. de 1921., p. 85) (1). Hume a le même mouvement de pensée. « Un homme plongé dans un profond sommeil ou fortement occupé d'une seule pensée est insensible au temps... Chaque fois que nous n'avons pas de perceptions successives, nous n'avons pas de notion de temps, (1) Cette citation, comme plusieurs de celles qui survent, est empruntée à l'ouvrage de Sivadjian, Le temps (1938), où est réuni un ensemble considérable de textes sur le temps. 4 PSYCHOLOGIE DU TEMPS y eût-il même une succession réelle dans les objets... Le temps ne peut faire son apparition ni tout seul ni accompagné d'un objet constant et invariable, mais se laisse toujours découvrir à quelque succession perceptible d'objets changeants » (Traité de la nature humaine, t. II, p. 52). Par contre, Descartes pense trouver dans notre expérience intérieure l'origine de notre idée de temps, qu'il ne distingue pas de celle de durée. « ... Quand je pense que je suis mainte- nant, et que je me ressouviens outre cela d'avoir été autrefois et que je conçois plusieurs diverses pensées dont je connais le nombre, alors j'acquiers en moi les idées de la durée et du nombre, lesquelles peu après je puis transférer à toutes les autres choses que je voudrai » (Troisième Méditation, oeuvres, t. I, p. 66). Locke dit de même : « Car tandis que nous pensons et que nous recevons successivement plusieurs idées dans notie esprit, nous connaissons que nous existons ; et ainsi la conti- nuation de notre être (c'est-à-dire notre propre existence) et la continuation de tout autre être, laquelle est commensurable à la succession des idées qui paraissent et disparaissent dans notre esprit, peut être appelée uploads/Litterature/ fraisse-psychologie-du-temps-m-1967-pdf.pdf
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- Publié le Nov 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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